Édition du 17 décembre 2024

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Environnement

Northvolt assemblera des produits chimiques avec un impact inconnu sur l’eau du Richelieu

L’usine utilisera du nickel, du cobalt et du manganèse, pour lesquels il n’existe aucune norme dans l’eau potable.

Le gouvernement a donné son feu vert à la construction de la méga-usine de Northvolt, qui assemblera une gamme de produits toxiques pour fabriquer des batteries sur les rives du Richelieu. Faute d’un examen public, on ignore quel sera l’impact sur la qualité de l’eau de la rivière.

5 mars 2024 tiré de Pivot.quebec | Photo : L’accès au site de la future usine de batteries de Northvolt est interdit. -Francis Hébert-Bernier
https://pivot.quebec/2024/03/05/northvolt-assemblera-des-produits-chimiques-avec-un-impact-inconnu-sur-leau-du-richelieu/

« À cette étape du dossier, je vous dirai qu’il faut surtout faire preuve de vigilance », estime Benoit Barbeau, professeur de génie civil à l’École polytechnique de Montréal, spécialisé dans le traitement des eaux.

« Je serais très surpris que les considérations environnementales aient été en haut des priorités », a-t-il dit au cours d’un entretien avec Pivot.

« Si j’habitais à côté [de la future usine], en raison de mon expertise, je serais curieux de savoir quel type de molécules ils vont rejeter par jour, et en quelle quantité. »

« Notre plus grande préoccupation porte sur l’eau qui va être renvoyée à la rivière [après avoir été utilisée à l’usine] », dit Sylvain Lapointe, directeur général du Comité de conservation et de valorisation du bassin versant de la rivière Richelieu.

« La rivière Richelieu est la source d’eau potable pour environ 80 000 personnes en aval [de la future usine]. Elle est aussi un lieu d’attraction touristique et constitue l’habitat principal du chevalier cuivré. » Ce poisson unique au Québec fait partie des espèces désignées en voie de disparition.

Traitement spécial pour un méga complexe de produits chimiques

Dans la première usine, Northvolt fabriquera des cathodes composées de produits chimiques, soit des oxydes de nickel, de cobalt et de manganèse sous forme de poudre.

Les batteries seront fabriquées dans une deuxième usine. Les cathodes (positives) seront assemblées dans des cellules électrochimiques lithium-ion légèrement pâteuses avec des anodes (négatives) à base de graphite et une solution liquide, appelée électrolyte. Ces centaines de cellules seront contenues dans des boîtes de métal, les batteries comme telles.

À plus long terme, une troisième usine est prévue pour le recyclage.

Le gouvernement Legault a beau parler de batteries « vertes », ces batteries sont des produits chimiques et toxiques. L’énorme complexe qui sera construit par Northvolt sur les rives du Richelieu – le plus gros complexe industriel de l’histoire du Québec – fait en effet partie de l’industrie chimique. Ce n’est pas nous qui l’affirmons, mais bien le ministère de l’Environnement… jusqu’à l’année dernière.

Au départ, le projet de Northvolt était en effet classé par le ministère dans une catégorie intitulée « fabrication de produits chimiques ». Cette catégorie est décrite à l’article 20 d’une annexe du règlement sur l’évaluation des impacts sur l’environnement de divers projets.

L’énorme complexe qui sera construit par Northvolt sur les rives du Richelieu fait partie de l’industrie chimique.

En vertu de cet article, la construction d’une usine de fabrication de produits chimiques produisant plus de 50 000 tonnes par année est soumise à un examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Au départ, cela devait s’appliquer au projet d’usine de Northvolt, celle-ci devant produire 56 000 tonnes de produits chimiques par année.

Après que les représentants du ministère de l’Économie aient rencontré en toute discrétion les représentants de Northvolt, le gouvernement Legault a modifié le règlement sans tambour ni trompette. Il a ajouté un article fait sur mesure pour l’entreprise : il s’agit de l’article 39, qui ajoute la catégorie « équipements de stockage d’énergie ». En vertu de ce nouvel article, les usines de batteries ne sont plus classées dans la catégorie des « produits chimiques » et sont soumises au BAPE seulement si elles produisent plus de 60 000 tonnes par année.

Autrement dit, le gouvernement a retiré expressément la construction d’une usine de batteries de la catégorie « produits chimiques » pour créer une nouvelle catégorie spéciale, et faisant en sorte que l’usine de Northvolt ne soit pas soumise à l’examen du BAPE.

La modification du règlement établit en lettres rouges que l’article sur la « fabrication de produits chimiques » ne s’appliquera plus aux projets d’« équipement de stockage d’énergie », pour lesquels est rehaussé le seuil minimal de production pour une évaluation environnementale. Source : « Règlement modifiant le Règlement relatif à l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement de certains projets », MELCCFP, en vigueur depuis le 20 juillet 2023.

Des produits toxiques

Le nickel, le cobalt et le manganèse, qui entrent dans la fabrication des cathodes, ne font l’objet d’aucune norme dans le règlement sur la qualité de l’eau potable au Québec, contrairement à d’autres substances inorganiques comme l’arsenic, le cuivre ou le plomb. Cela signifie que leur présence éventuelle n’est ni détectée, ni mesurée, ni analysée dans les usines de filtration d’eau potable. Dissouts dans l’eau, ils ne sont pas éliminés.

Selon le professeur Benoit Barbeau, le manganèse, toxique en grande quantité, fera bientôt l’objet d’une norme pour l’eau potable. Mais rien n’est prévu pour le nickel et le cobalt, des métaux également toxiques.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une branche de l’Organisation mondiale de la santé, classe les composés de nickel dans le « groupe 1 », regroupant les « cancérigènes sûrs », et le cobalt dans le « groupe 2 », regroupant les cancérigènes probables.
Oxyde noire de nickel. Photo : TheMrBunGee (CC BY-SA 4.0)

Contrairement au Québec, d’autres juridictions ont des normes pour la concentration de nickel dans l’eau potable. C’est le cas de l’Union européenne, et aussi de Taïwan, où les autorités s’inquiètent de la présence de nickel dans l’eau potable distribuée dans des écoles primaires.

Alors que le gouvernement a donné le feu vert pour couper les arbres et aménager le vaste terrain où sera érigé le complexe de Northvolt, les experts du ministère de l’Environnement ignorent encore ce que ses usines rejetteront dans l’eau (et dans l’air). C’est que Northvolt a choisi de déposer ses demandes d’évaluation et d’autorisation une étape à la fois, ce qui ne permet donc pas d’avoir une vue d’ensemble du projet et de ses conséquences à ce stade-ci, même s’il est entamé.

Comment seront traitées les eaux industrielles dites « de procédé » servant à la fabrication des batteries ? Où aboutiront-elles ? Directement dans le Richelieu, après un premier traitement sur place ? Quelles seront les quantités des rejets et leur concentration en contaminants ?

Autant de questions qui sont sans réponse.

Soupçons de délits en Suède

En Suède, la police a été saisie d’une plainte pour « suspicion de délit environnemental » contre Northvolt à la suite d’une inspection de routine effectuée en octobre à ses installations de Västerås, à l’ouest de Stockholm. « Les soupçons reposent sur le fait que Northvolt a stocké des déchets et des produits chimiques de manière dangereuse », relate la presse suédoise. « En outre, l’entreprise est accusée d’avoir dépassé à plusieurs reprises la limite de teneur en métaux dans ses eaux usées. »

Questionnée par Pivot, la responsable des communications de l’entreprise au Québec, Emmanuelle Rouillard-Moreau, s’est faite rassurante. « Depuis l’inspection, nous avons identifié l’ensemble des améliorations nécessaires afin de corriger la situation et nous sommes à les mettre en place », nous a-t-elle écrit. « Nous tenons à être clairs : il n’y a eu aucun déversement de matières. »

Quoiqu’il en soit, plusieurs citoyen·nes se sont montré·es inquiet·es lors des assemblées d’information qui se sont tenues les 28 et 29 février à McMasterville et Saint-Basile-le-Grand, souligne Ariane Labonté, co-porte-parole du Comité d’action citoyenne Northvolt.

Tout comme une coalition d’organisations environnementales, le comité de citoyens réclame que le projet de Northvolt soit examiné par le BAPE. Une revendication qu’appuient 68 % des Québécois·es, selon un récent sondage.

« Les manœuvres modifiant le cadre législatif pour éviter un examen du BAPE et pour empêcher les citoyens d’être bien informés sont une insulte à la population », dit Mme Labonté.

« À ce jour, les fonctionnaires du gouvernement affirment ne pas savoir combien d’eau de la rivière Richelieu sera pompée par l’usine, ni si d’autres milieux naturels seront détruits pour les autres phases du projet, ni combien de trains et de camions circuleront, ni combien de décibels seront émis », s’inquiète-t-elle.

« La tenue d’un BAPE aurait permis de répondre à ces questions concernant la construction d’une des plus grosses usines de produits chimiques au Québec, tant au bénéfice des citoyens que des élus. »

Auteur·e
André Noël

André Noël a été journaliste à La Presse pendant près de 30 ans. Ses nombreuses enquêtes lui ont permis de remporter de nombreux prix de journalisme, dont le prix Judith-Jasmin, le Concours canadien de journalisme, le prix Michener du Gouverneur général et le prix du Centre canadien pour le journalisme d’enquête. Il a aussi été enquêteur et rédacteur à la Commission Charbonneau

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