Édition du 17 décembre 2024

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Négociation dans les secteurs public et parapublic : Rien ou presque rien…

J’ignore si vous êtes comme moi, mais en ce moment il me semble que nous sommes dans l’attente de la conclusion de quelque chose dans la présente ronde de négociation dans les secteurs public et parapublic. Il y a dix jours (soit le 23 octobre 2020), les infirmières menaçaient de ne pas effectuer le « Temps supplémentaire obligatoire « (« TSO »). Devant cette menace, qui se serait nécessairement répercutée, en cette période de pandémie, sur la qualité et la quantité des services hospitaliers offerts à la population, la présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel, a précisé qu’elle était prête à intensifier les pourparlers avec les porte-parole de la FIQ et depuis… rien ou presque rien.

Je m’explique. Les moyens de pression ont été suspendus, la « main tendue » du gouvernement a été accueillie favorablement par la direction de la FIQ, les rencontres à la table se poursuivent (au moment où nous écrivons les présentes lignes du moins) et pour ce qui est des sujets abordés et de l’état d’avancement des négociations : rien. Les instances décisionnelles de la FIQ seront éventuellement consultées sur le résultat des présentes discussions-négociations, mais, d’ici là, c’est la règle du silence étanche qui est observée et rigoureusement suivie par les personnes qui participent à la table de négociation de la FIQ.

Le moment que nous traversons dans la négociation entre le gouvernement et les 560 000 salariéEs syndiquéEs, qui sont à 75% des femmes, nous donne l’occasion de réfléchir sur un mot dont le contenu semble évident tant il est réputé parler par lui-même, ce mot est le suivant : rien. Justement, qu’est-ce que « Rien » ?

Mais qu’est-ce que « Rien » ?

Pour un mot dont le contenu est, pour le commun des mortels, l’incarnation même du vide absolu, la définition dans le Petit Robert se déploie sur deux colonnes ou l’équivalent d’une page complète (1625 mots pour être plus précis). Je vous épargne les détails tant j’ai dû éveiller votre curiosité. Pour celles et ceux qui souhaitent vérifier la solidité de mes dires, je vous invite à vous rendre sur-le-champ à la définition du mot « Rien » dans Le Petit Robert.

Rien = « Quelque chose », « Aucune chose, nulle chose ». Bref, les choses peuvent être en mouvement, mais, étant donné qu’elles font du sur-place, l’impression qui se dégage est qu’il ne se passe « Rien ». En termes de négociation, qu’il y ait des rencontres ou non, des discussions ou pas, il se peut que dans tous les cas, le tout n’avance guère. Il est facile pour l’État négociateur (qui est aussi l’État employeur et l’État législateur) de jouer au simulacre dans une négociation et de faire traîner les choses en longueur en fonction de ses intérêts.

C’est ce qui semble être le constat de la majorité des organisations syndicales présentement en négociation (mis à part la FIQ et peut-être une autre organisation syndicale). Rien. Il ne semble pas y avoir de réponse de la part des porte-parole du Conseil du trésor aux propositions syndicales. Bref, les négociatrices et négociateurs syndicaux ont l’impression d’attendre… Godot (voir à ce sujet la célèbre pièce « En attendant Godot » de Samuel Beckett).

L’importance de politiser la présente négociation

Il est établi au Canada, en raison de certains jugements de la Cour suprême, que le droit de négocier ses conditions de travail et de rémunération est un élément important de la « dignité » d’une personne et ce droit jouit d’une protection constitutionnelle. Tout se passe comme si en ce moment, le premier ministre, fait fi de ses obligations de négocier de manière conforme aux règles juridiques en vigueur. Rappelons-nous que François Legault a prononcé, durant la présente ronde de négociation, qu’en sa qualité de premier ministre en position d’exercice du pouvoir, il considère qu’il peut « tout faire ».

("On peut tout faire, au gouvernement, par décret ou par une loi spéciale."

http://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/conferences-points-presse/ConferencePointPresse-59461.html Consulté le 2 novembre 2020.)

Est-ce que quelqu’unE dans son entourage lui a rappelé ses obligations constitutionnelles ? Nous l’ignorons. En tout cas, c’est à travers ce prisme que nous évaluerons la manière qu’il a mené et conclu éventuellement la présente ronde de négociation.

C’est à travers la façon dont les députéEs des partis politiques de l’opposition ont politisé ou non le présent exercice de détermination des rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic que nous jugerons leur contribution au débat concernant le respect et l’avancement des droits des salariéEs syndiquéEs. Le devoir politique de ces députéEs ne s’arrête pas à organiser des rencontres extra-muros avec des salariéEs syndiquéEs indignéEs des réseaux de la santé et de l’éducation. Leur obligation parlementaire les oblige à scruter de près les choix gouvernementaux, à questionner ces choix, à indiquer le caractère injuste et inique ou non de ces choix et à préciser concrètement ce qu’elles ou qu’ils feraient à la place du gouvernement de la CAQ. C’est précisément ce que nous entendons par « politiser » la présente négociation, le travail des députéEs de l’opposition, tous partis confondus, consiste à interroger la manière du gouvernement Legault de gouverner. La présente négociation dans les secteurs public et parapublic est une question d’intérêt public. Il s’agit des conditions de travail et de rémunération de personnes qui sont au service de la population. Il s’agit d’un travail qui est vital dans notre société. Si tel n’était pas le cas, ces services seraient dispensés par des entreprises privées et la rémunération des salariéEs ne figurerait pas dans le budget du gouvernement. Jusqu’à preuve du contraire, c’est par la nécessaire confrontation des points de vue dans l’enceinte même où se déroule les débats parlementaires qu’il est encore possible de remettre en question et d’infléchir les choix du gouvernement. C’est aussi de cette comparaison des positions entre les choix gouvernementaux et les solutions préconisées par les partis politiques de l’opposition qu’une solution de compromis favorable aux salariéEs syndiquéEs peut voir le jour. Devant le silence des voix de celles et de ceux qui se voient en position d’alternance au gouvernement, le premier ministre se sent conforté et surtout non-contesté dans ses choix.

Il est urgent que les députéEs de l’opposition interpellent le gouvernement Legault au sujet du déroulement de la présente ronde de négociation. Jusqu’à maintenant ce sont 17 000 salariéEs syndiquéEs du réseau de la santé, toutes catégories confondues (préposéEs aux bénéficiaires, infirmières, infirmiers, infirmières auxiliaires, personnel de l’entretien, personnel affecté à la désinfection, agents administratifs, etc.), qui ont été infectéEs par le COVID-19. Rappelons qu’à la mi-mars, le premier ministre Legault disait que la présente ronde devait être conclue à la fin mars 2020. Depuis, les choses traînent en longueur. Les négociatrices et les négociateurs du Conseil du trésor (et des divers comités patronaux de négociation) rejettent du revers de la main, les unes après les autres, les demandes syndicales. Les porte-parole du gouvernement offrent plutôt des reculs sur les conditions de travail. Tout se passe comme si, dans l’échelle d’appréciation du premier ministre, les « anges gardiens » sont des « moins que rien » !

Impression et supputation

Mon impression à ce moment-ci est à l’effet que le gouvernement a son calendrier de dénouement de la présente ronde de négociation en tête et ce calendrier nous amène à un aboutissement entre le 12 novembre (mise à jour de la situation financière) et la mi-décembre (moment prévu pour la détermination des enveloppes de dépenses pour chaque ministère et l’ajournement des travaux à l’Assemblée nationale). Il s’agit là d’une supputation. Rien de plus.

Pour ce qui est maintenant de ce à quoi je m’attends comme intervention de la part des députéEs des partis politiques de l’opposition à l’Assemblée nationale, elle se résume en un mot ou presque juste en un seul mot : « Rien » ou « Presque rien »…

Yvan Perrier

2 novembre 2020

yvan_perrier@hotmail.com

https://www.newswire.ca/fr/news-releases/negociation-du-secteur-public-ce-sont-les-travailleuses-et-les-travailleurs-des-services-publics-qui-nous-sortiront-de-la-crise-le-gouvernement-doit-les-ecouter-affirme-le-president-de-la-csn-842196313.html. Consulté le 3 novembre 2020.

http://www.fsss.qc.ca/mesures-deuxieme-vague-sante/. Consulté le 2 novembre 2020.

https://spgq.qc.ca/negociation-secteur-public-le-spgq-deplore-labsence-doffre-formelle/. Consulté le 2 novembre 2020.

https://www.newswire.ca/fr/news-releases/manifestation-des-travailleuses-et-travailleurs-du-secteur-public-devant-le-bureau-du-premier-ministre-on-ne-vit-pas-dans-un-monde-de-licornes--836050888.html . Consulté le 1er novembre 2020.

https://www.newswire.ca/fr/news-releases/negociations-des-conventions-collectives-du-secteur-public-apres-un-an-de-negociations-mettons-fin-a-la-mascarade-844474177.html. Consulté le 1er novembre 2020.

https://www.newswire.ca/fr/news-releases/l-ecole-publique-en-souffrance-le-gouvernement-doit-mettre-fin-a-son-silence-dans-le-cadre-des-negociations-avec-les-enseignantes-et-enseignants-du-secteur-public-811843257.html. Consulté le 1er novembre 2020.

https://negociation.lacsq.org/2020/10/29/un-an-plus-tard-le-bruit-des-criquets-se-fait-toujours-entendre/?fbclid=IwAR2XR-8w8mv5k3agT_v5YNTroGAjdb10dGcQoNjU8mVHbISlxIyZh37yanE. Consulté le 1er novembre 2020.

Il faut aussi écouter ce point de presse du 22 octobre 2020 de la présidente du Conseil du trésor, madame Sonia Lebel. Dans la section de la conférence qui se déroule en anglais (à partir de 12 minutes 25 secondes), la ministre semble suggérer que pour rendre les postes d’infirmières à temps complet plus attirants et le travail à temps partiel moins alléchant, elle n’élimine pas la possibilité de modifier les règles d’application de la rémunération du travail effectué en temps supplémentaire.

http://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/archives-parlementaires/activites-presse/AudioVideo-87041.html . Consulté le 2 novembre 2020.

Dernière heure :

Lia Lévesque, journaliste à La Presse canadienne, écrit le 3 novembre 2020 (à 16h19) que « La FIQ rapporte mardi « des avancées majeures » dans sa négociation avec Québec concernant la charge de travail des infirmières ». Nous n’avons pas encore été en mesure de confirmer cette information.

https://www.lapresse.ca/actualites/sante/2020-11-03/charge-de-travail-des-infirmieres/des-avancees-majeures-dans-les-negociations-rapporte-la-fiq.php. Consulté le 3 novembre 2020.

Yvan Perrier
3 novembre 2020
16h42

Nouvel ajout :
3 novembre 2020, 17h10 :
La FIQ nous confirme l’information selon laquelle "le gouvernement fait des concessions importantes sur les demandes syndicales".

https://www.lacsq.org/actualites/toutes-les-actualites/nouvelle/news/premier-anniversaire-du-depot-des-demandes-syndicales-les-syndicats-de-la-fsq-csq-installent-des-b/. Consulté le 4 novembre 2020.

Ajout
4 novembre 2020
9h45
Une rencontre de négociation est prévue aujourd’hui le 4 novembre 2020 entre le Conseil du trésor et certaines organisations syndicales. À suivre.

Ajout
4 novembre 2020
17h55

Depuis mars dernier, "au moins 18 000" salariéEs des secteurs de la santé et en éducation "ont été contaminées" et "11 sont décédées".

https://www.newswire.ca/fr/news-releases/le-12-novembre-une-pause-en-hommage-aux-travailleuses-et-travailleurs-de-premiere-ligne-807044062.html . Consulté le 4 novembre 2020.

« Depuis mars dernier, au Québec, nous sommes tous mobilisés dans la lutte contre la COVID-19, particulièrement en santé et en éducation. Dans ces secteurs, à ce jour, au moins 18 000 personnes ont été contaminées, principalement en santé ; 11 sont décédées. Nous ne pouvons rester indifférents à leur sacrifice. Il faut également saluer ceux et celles qui, dans tous les milieux de travail, se sont dévoués, bien souvent au risque de leur santé, pour prendre soin de notre population. C’est ensemble et solidaire que nous combattons la pandémie ! », déclare le président de la FTQ, Daniel Boyer.

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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