Certains faits de l’actualité génèrent des prises de positions tranchées ou, a contrario, amènent certains acteurs principaux à se terrer dans un mutisme lâche (pensons ici au recteur et vice-chancelier de l’Université d’Ottawa, Jacques Frémont, qui refuse de prendre la parole publiquement pour répondre aux questions que plusieurs personnes se posent en lien avec l’histoire de la professeure Lieutenant-Duval). Pendant ce temps, la vie continue. Le temps à ma disposition pour l’écriture est limité. Autrement dit, le temps pour livrer mes observations par écrit au sujet des plus récents développements dans la négociation des secteurs public et parapublic me fait parfois défaut. Tant mieux. Cela me donne plus de temps pour éviter les formules toutes faites. Cela me donne également un peu plus de temps avant d’emprunter les chemins risqués de l’analyse. Prendre du recul, sur les principales interprétations médiatiques, attendre 24 ou 48 heures en vue de substituer la réflexion à l’information-spectacle, pourquoi pas.
Les conditions de travail dans le réseau de la santé et des services sociaux
Il n’est pas facile en ce moment au Québec d’œuvrer dans les établissements du réseau de la santé et des services sociaux. La charge de travail est lourde. Les effectifs manquent à l’appel. Le temps supplémentaire obligatoire est particulièrement répandu et fait l’objet d’une dénonciation depuis plus d’une décennie par les infirmières. Le temps requis pour former une main-d’œuvre spécialisée, selon les standards à respecter, n’est pas toujours compressible. Former des professionnelLEs en santé prend souvent des années et c’est maintenant qu’il faut trouver du personnel en vue de pourvoir les postes affichés. Les conditions de travail sont peu attrayantes et la rémunération n’est réellement pas à la hauteur de la valeur de la prestation de travail. La situation est, pour un grand nombre de personnes à l’emploi de ce réseau, intenable et ne peut tout simplement pas continuer. Ajoutons à cela que pour trouver des solutions aux nombreux problèmes qui existent dans les Centres hospitaliers, les CLSC, etc., cela va prendre du temps et aussi, apparemment, beaucoup d’argent. Deux facteurs qui semblent, aux dires même du premier ministre François Legault, faire défaut. Et pourtant, cela fait depuis au moins le milieu des années soixante-dix que les gouvernements qui se sont succédé à Québec adoptent des enveloppes budgétaires qui ne sont pas à la hauteur des besoins sociaux de la population et, depuis la fin de cette même décennie, l’objectif recherché par l’État-patron vise de manière quasi obsessionnelle la compression de la rémunération de ses salariéEs syndiquéEs. Bref, cela fait depuis plus de quarante ans qu’il est prévisible d’assister à des blocages systématiques lors des négociations dans les secteurs public et parapublic. Cela fait donc depuis au moins 1979 que les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic se font (ou doivent s’attendre à se faire) décréter autoritairement leurs conditions de travail et de rémunération. La libre négociation, la « véritable » libre négociation entre les parties, dans ces deux secteurs essentiels à notre vie en société, est, la plupart du temps, un leurre, une façade, une fiction, une réalité factice quoi.
Réaction de la FIQ
Malgré les limites imposées par l’État employeur à cet exercice de négociation des rapports collectifs de travail, exercice qui supposément nous distingue des sociétés totalitaires, des cris d’opposition se font entendre et il y a au moins une organisation syndicale qui a décidé de réagir avec des moyens qui ont un caractère un peu plus spectaculaire et qui n’est pas toujours toléré par les forces de l’ordre. Au blocage à leur table de négociation, la FIQ a organisé deux blocages de ponts (et d’autres actions sont en cours aujourd’hui le 21 octobre). Cette réaction est parfaitement compréhensible. Elle est très courageuse dans le présent contexte de distanciation physique. Bloquer deux ponts, le pont Jacques-Cartier et le pont de Québec, pour dénoncer ses conditions de travail et de rémunération et pour faire aboutir une négociation qui traîne en longueur, voilà un signe que les choses commencent à se corser dans le face-à-face entre l’État-patron et les organisations syndicales et qu’il y a de l’impatience, du côté syndical, à trouver des solutions négociées et à faire aboutir, le plus tôt possible, les pourparlers entre les parties négociantes.
La suite…
D’une ronde de négociation à l’autre, les problèmes soulevés par les salariéEs syndiquéEs se retrouvent souvent (pour ne pas dire systématiquement) balayés sous le tapis. D’une ronde de négociation à l’autre, le gouvernement ne cesse de répéter qu’il y a une limite à la capacité de payer des contribuables ; d’une ronde de négociation à l’autre, les écarts dans la rémunération globale entre les salariéEs des grandes entreprises du secteur privé, du gouvernement fédéral et des municipalités avec celle des salariéEs syndiquéEs de l’administration publique ne cessent de se confirmer. La publication du rapport annuel de la rémunération globale au Québec est devenue quelque chose qui s’apparente à un moment pénible (voir même honteux) à vivre pour au moins 560 000 salariéEs syndiquéEs qui sont à environ 75% des femmes… La raison à l’origine de la présence de ce problème récurrent dans la négociation dans les secteurs public et parapublic n’a pas besoin d’être cherchée dans des profondeurs obscures ou nébuleuses. La négociation bloque systématiquement en raison d’un choix politique comptable borné. Ne pas dépasser, ne jamais dépasser, une augmentation de 2% par année de la masse monétaire consacrée à l’enveloppe syndicale de la rémunération.
Dernière heure…
Nous le savons, la présente ronde de négociation n’a pas l’éternité devant elle. Tôt ou tard, elle devra se conclure soit sur un compromis négocié ou soit par l’adoption d’un décret gouvernemental (accompagné ou non d’une loi spéciale). Il s’agit là des deux principaux scénarios que peut envisager, à ce moment-ci, la « science » des relations industrielles. Devant cet état de la situation, Québec solidaire, commence à prendre position d’une manière un peu plus soutenue, une manière que nous qualifions d’embryonnaire. Gabriel Nadeau-Dubois a déclaré le 20 octobre 2020 ce qui suit :
« Hier (le 19 octobre 2020 Y.P.), il s’est passé quelque chose qu’on n’avait pas vu au Québec depuis très longtemps. Des centaines de soignantes qui ont posé un geste d’éclat. Elles ont marché ensemble sur le pont Jacques-Cartier et sur le pont de Québec.
Une scène surréelle. Le signe d’une grande détresse, d’une exaspération qui se construit depuis des mois, des années.
Et vous savez quoi ?
Elles ont raison d’être tannées.
Elles ont raison de vouloir faire leur métier dans des conditions dignes. C’est pour ça que Québec solidaire mènera toute la session la bataille pour défendre les travailleurs et les travailleuses essentielles, à l’Assemblée nationale et sur le terrain.
Les infirmières, toutes les soignantes du Québec, ont besoin, maintenant, d’un signal clair que leurs conditions de travail vont s’améliorer.
Pas dans six mois. Maintenant. »
Hâte, très hâte de voir de quoi sera faite concrètement, « à l’Assemblée nationale et sur le terrain » « la bataille » que nous annonce Québec solidaire, « pour défendre les travailleurs et travailleuses essentielles ». Elle devra avoir du contenu et de la substance cette bataille puisque cela fait au moins un an que nous connaissons les grandes lignes des augmentations salariales (« ne pas dépasser l’inflation », quel dogme !) et les pourcentages réservés aux enveloppes dites dédiées en santé et en éducation que le gouvernement Legault est prêt à consentir à ses salariéEs syndiquéEs. Un an pour préparer une riposte parlementaire à une politique gouvernementale d’inspiration néolibérale, c’est beaucoup de temps. Attendons de voir s’il y aura ou non des éléments réellement nouveaux dans la bataille qu’entend livrer Québec solidaire. Attendons de voir également si les prises de position de la députation du QS auront pour effet d’obliger le gouvernement Legault à modifier radicalement ses offres qui sont présentement sur la table. Ne l’oublions surtout pas, ce sont les offres ridicules du gouvernement Legault, à ses salariéEs syndiquéEs, qui sont à l’origine de cette nouvelle vague de moyens de pression chez les syndiquéEs affiliéEs à la FIQ…
Bilan en ce jour de mi-semaine
Une organisation syndicale qui s’engage dans une succession de moyens de pression et qui ajoute de la visibilité à ses revendications ; un groupe de l’opposition qui nous annonce son intention d’intervenir lors des débats à l’Assemblée nationale… pendant ce temps la députation du Parti libéral du Québec et du Parti québécois qui se confinent dans un rôle de spectatrices et de spectateurs aphones et, par conséquent, complices des choix politiques du gouvernement Legault. La situation évolue, le rapport de force entre les parties négociantes se précise, la pression sur le gouvernement s’intensifie, le rapport d’opinion s’affirme en faveur des syndiquéEs de la santé et des services sociaux. D’autres coups d’éclat, d’ici peu, sont à prévoir en provenance des syndiquéEs de la FIQ et des autres organisations syndicales (APTS, CSN, CSQ, FAE, FTQ, SFPQ et SPGQ). Les éditorialistes vont également, tôt ou tard, prendre position… Il serait réellement étonnant que les choses aillent au-delà de décembre 2020.
Devant les moyens de pression que déploie la FIQ, le premier ministre Legault se dit prêt à faire des « efforts financiers » pour les infirmières. S’agit-il d’un effort authentique ou d’un nouveau partage entre les salariéEs syndiquéEs des sommes disponibles et préalablement fixées par le gouvernement ? À suivre...
Yvan Perrier
21 octobre 2020
9h50
yvan_perrier@hotmail.com
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