Huit grands mythes y sont déconstruits. En voici un autre pour situer une partie du propos. « MYTHE : L’égalité entre les femmes et les hommes est atteinte au Québec et les immigrantes la menacent. RÉALITÉ : Chaque jour, des femmes vivent les conséquences du fait qu’au Québec, la justice et l’égalité sont loin d’être atteintes. Une partie de la droite tente de porter les habits de l’égalité des sexes, mais cible les immigrantes ou les musulmanes comme étant la source de reculs potentiels. Pour la FFQ, c’est une instrumentalisation du féminisme pour justifier l’intolérance voire la xénophobie. « Pour la FFQ, il est important de contrer la violence patriarcale présente dans toutes les communautés. Aucune société n’a réussi à éliminer la violence envers les femmes. »
Ces deux mythes et réalités étant posés, comment se fait-il que toutes les féministes n’y adhèrent pas ?
Un peu d’histoire
Au Québec, l’évolution historique récente où le virage à droite situe le féminisme dans l’égalité déjà là, les féministes de gauche, tout en voulant contrer l’attaque à la fragilité des acquis, se placent dans une situation de divergence : contrer les attributs du patriarcat (le voile) et sacrifier l’autonomie des femmes visées ou laisser le libre choix aux femmes, leur autonomie, et accepter leur différence en misant sur leur autonomie.
En fait, on n’a jamais autant parlé d’égalité H-F que depuis que la peur de l’Islam fait partie du paysage ! Et de féminisme, tout autant ! Il n’y a pas si longtemps, on disait que le féminisme est dépassé, et bien des féministes n’osaient pas dire qu’elles l’étaient ! Aujourd’hui on n’en a pas honte, c’est devenu un bel accommodement non raisonnable !
Beaucoup de choses ont été dites, en particulier par plusieurs juristes québécois pour affirmer que la « Charte des valeurs » (projet de loi 60) est inutile compte tenu des lois actuelles qui permettent les accommodements et que les valeurs québécoises sont déjà incluses dans la Charte québécoise des droits et libertés de même que dans la Charte canadienne de ces mêmes droits.
Nous regarderons ici plutôt la réalité avant, pendant et après cette « Charte des valeurs ».
Dans la réalité historique, les féministes ont lutté contre le patriarcat (ce mot même faisait peur il n’y a pas si longtemps) et les inégalités hommes-femmes : les inégalités salariales, les violences envers les femmes, la pauvreté des femmes, l’exercice du pouvoir, la propriété privée, les lignées généalogiques, la place des femmes dans la langue d’expression française, l’histoire, le droit, l’économie, la culture, etc. Ces inégalités persistent toujours même dans un État laïc. Associer le fait que le port de signes religieux dans la fonction publique va compromettre l’égalité entre les hommes et les femmes est en soi un mythe. « Les religions ne constituent qu’un des éléments de la construction de l’infériorité des femmes ». Il s’agit d’une affirmation de Micheline Dumont, historienne féministe reconnue, tirée d’une présentation qu’elle a faite à la Librairie Paulines, le 19 septembre 2013. Elle y raconte, entre autres, que les Patriotes ont privé les femmes de leur vote en 1834 en réclamant la séparation de l’Église et de l’État … à laquelle ils ajoutaient la séparation entre public et privé faisant en sorte que la démocratie devint exclusivement masculine, ceci à l’exemple des théoriciens de la Révolution française ou de la Révolution américaine. La fragilité des acquis des femmes ne heurte souvent à l’identité culturelle.
Cette historienne y a brossé un tableau assez complet de sa position sur la « Charte des valeurs québécoises », position que je partage, dont voici un long extrait pour nous situer dans l’histoire :
« Lorsque la question du voile s’est posée pour la première fois dans notre société, le Conseil du Statut de la femme, au milieu des années 1990, avait émis un avis favorable au port du voile, le hidjab, afin de permettre aux jeunes femmes issues de communautés musulmanes de fréquenter l’école. Il n’était pas question, alors, des enseignantes. Pourquoi le CSF a-t-il fait marche arrière ?
Au Québec, l’égalité entre les hommes et les femmes est bien précaire et surtout bien récente. L’égalité politique date de 70 ans. L’égalité dans la société conjugale d’un peu plus de trente ans, comme l’égalité éducative. On attend toujours l’égalité économique pour ne rien dire de l’égalité culturelle. La violence à l’endroit des femmes est un phénomène endémique et des hurluberlus affirment le plus sérieusement du monde que « le féminisme est un crime contre l’humanité ». Majoritaires au collège et à l’université, les jeunes femmes n’arrivent pas à transformer leurs succès académiques en succès sociaux et économiques. Ignorantes ou biaisées, les femmes qui ont « réussi », surtout celles qui travaillent dans les medias, ne comprennent pas la nécessité de la lutte féministe et même la décrient. Les féministes se sont mises en marche en 2010 pour que la lutte continue mais chaque année, au 8 mars, tout le monde se demande, goguenard, « Le 8 mars est-il encore nécessaire ? »
Depuis quelques temps, (en fait, la question s’est posée en 2005, il y a huit ans) dans le tourbillon causé par la querelle sur l’identité québécoise et la soi-disant nécessité d’une charte de la laïcité, on ne compte plus les ténors des deux sexes qui viennent proclamer, la main sur le cœur, que « l’égalité entre les hommes et les femmes, ce n’est pas négociable au Québec » et que « cette égalité constitue une valeur fondamentale de la société québécoise ». Fort bien. Mais cette autosatisfaction n’est encore qu’une promesse. On a voté une loi, mais elle n’est assortie d’aucune mesure de réalisation.
Je crois qu’entre 1650 et le début du XXIe siècle, les femmes du Québec ne s’en sont pas aperçues. Or, je me demande vraiment pourquoi ces affirmations sont exprimées surtout dans les discussions autour du voile islamique. Et je ne résiste pas à citer cette phrase extraite d’un rapport belge sur le foulard des femmes islamistes et l’engagement public : « Il y a quelques années déjà, un rapport du gouvernement fédéral mettait en garde contre cette tentation de réduire la question de l’interculturel à l’interreligieux, la question de l’interreligieux à l’Islam et la question de l’Islam au foulard. » Je pense que la situation n’est pas différente ici. Cette fixation a des significations inquiétantes. D’où vient cette colère contre le voile ? Pourquoi en 2005, les députés de l’Assemblée nationale ont voté à l’unanimité la motion présentée par Fatima Houda Pépin pour « marquer l’opposition à l’implantation de tribunaux islamiques au Québec et au Canada ». Or, cette menace était absolument inconsistante puisque de tels tribunaux sont incompatibles avec notre Code civil qui interdit l’arbitrage en matière familiale. Cette fameuse motion a été présentée comme un signe du progressisme au Québec. Mais ce n’était que du vent ! Cette motion, tous les juristes sont unanimes, était absolument inutile. Par contre, elle illustrait parfaitement de quelle manière, dans ce débat sur la laïcité, on ciblait exclusivement l’Islam.
Et ayant dit cela, je suis profondément persuadée que le voile peut être un signe de l’infériorité des femmes. Mais, nous ne pouvons pas nous révolter À LA PLACE des femmes musulmanes qui choisissent de porter le voile. Nous devons aussi accepter que des femmes puissent le porter pour des motifs identitaires, par « éthique vestimentaire », (comme l’affirmait une femme à la télévision), voire politiques, ce qui s’est avéré dans tous les pays du Maghreb. Notamment en 1979, alors que les étudiantes Algériennes ont soudainement porté le voile en guise de protestation politique contre le régime dictatorial de leur pays. Surtout, ce débat nous empêche sans doute de considérer le plus important, le véritable lieu où se joue l’égalité entre les hommes et les femmes. »
Qu’en est-il de l’égalité
« Pour en revenir aux déclarations émues sur l’égalité entre les hommes et les femmes, l’égalité serait acquise, elle constituerait la base et une caractéristique de la société québécoise ? Je suis très contente de l’apprendre. Si cette proclamation est vraie, on peut donc s’attendre à ce que désormais, tout le monde se mobilise pour enrayer la violence conjugale, pour améliorer le salaire des milliers de femmes qui travaillent au salaire minimum et dans des conditions précaires ; qu’on va cesser de ne parler que des 66% de jeunes femmes qui étudient la médecine et que les médecins ne vont cesser de se lamenter sur la féminisation de leur profession. Savez-vous quelle est l’occupation où se retrouvent le plus grand nombre de femmes ? Secrétaires ! Il y en a plus de 100,000 au Québec. Connaissez-vous les conditions salariales des secrétaires ? Et si on ajoutait les caissières, les préposées aux bénéficiaires, les serveuses de restaurant, les coiffeuses, etc. toutes ensemble, (et on frise le million de personnes) elles n’arrivent pas à gagner le salaire de quelques douzaines présidents de banque.
L’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas menacée par le foulard de quelques milliers de femmes. Elle est menacée, encore et toujours, par le système économique, par la tradition politique, par les aménagements privés entre les hommes et les femmes (domestiques, sexuels, émotifs), par l’industrie médiatique et cosmétique, par l’importance économique de la guerre et de l’empire des armements. Le patriarcat est encore au pouvoir : un seul bulletin de nouvelles devrait vous en convaincre. (…)
C’est pourquoi la Fédération des Femmes du Québec et la Marche mondiale des femmes ont ciblé, comme problèmes prioritaires, la violence contre les femmes et la pauvreté. La Fédération des femmes du Québec, pour appuyer sa position, a invoqué l’analyse féministe, la discrimination vécue par les femmes immigrantes et racisées, le modèle québécois de laïcité ouverte. Son projet de marche mondiale des femmes a été reçu avec enthousiasme par les femmes du monde entier justement parce qu’il ciblait la violence et la pauvreté et ne prétendait pas imposer le modèle occidental de l’égalité. La Fédération des Femmes du Québec a démontré de manière magistrale sa solidarité avec les femmes du monde entier. Je ne comprends pas la « Coalition Laïcité-Québec » d’accuser, à mots couverts, la FFQ de manquer de solidarité avec les femmes du monde entier, parce qu’elle préconise la laïcité ouverte. Qui a organisé avec succès la Marche mondiale des femmes en l’an 2000 et contribué à l’établissement de la Charte mondiale des femmes pour l’humanité en 2005, avec ses cinq objectifs : Égalité, Liberté, Solidarité, Justice et Paix ? »
Y-a-t ‘il « menace en la demeure » ?
Si aujourd’hui le féminisme a apporté beaucoup de gains pour l’ensemble de la société, pensons aux derniers acquis sur les congés parentaux, il persiste toujours des divisions dans le sens de l’évolution et c’est pourquoi on parle de féminismes, au pluriel. Il n’y a pas seulement des inégalités femmes-hommes, mais aussi des inégalités entre les femmes elles-mêmes. On parle ainsi d’intersection des oppressions et une femme peut subir plus d’une oppression, par exemple, être pauvre et noire ou être immigrante, handicapée et lesbienne, etc.
Les cultures différentes apportent aussi une diversification et une pluralité d’idées et de comportements. Ceci peut être considéré comme une richesse ou comme une confrontation quand la différence semble menacer nos acquis.
Quand on parle de l’Islam, beaucoup de personnes ont l’impression que sa présence est envahissante et menaçante. Voici les faits rapportés par notre historienne :
« En 2011, il y avait 2, 233, 000, 000 de Musulmans dans le monde. 21% de la population mondiale. Il y a 33% de chrétiens. Je vous fais grâce des autres chiffres : ce sont les deux principales religions. De tous ces Musulmans : 62% en Asie, 20% au Moyen-Orient et en Afrique du nord ; 15% en Afrique Subsaharienne ; 2,5% en Europe ; O,3% en Amérique ( Nord et Sud). Or, il y en a 940 000 au Canada, ce qui représente 3% de la population du pays. 61% de ces Musulmans vivent en Ontario.
Le Québec regroupe environ 20% de ces Musulmans canadiens, un peu plus de 110,000, (les leaders musulmans parlent cependant de 200,000) ce qui représente 1,5% de la population. 60% d’entre eux ne sont jamais allés dans une mosquée. Et ce sont surtout des immigrants instruits de première génération, suite aux politiques d’immigration du Québec. Respirons par le nez : ce n’est pas beaucoup.
On en compte 5% en Allemagne, 6% en Belgique, 4,6% e Grande Bretagne, 5,5% dans les Pays-Bas, 7,5% en France qui a exercé pendant plus d’un siècle une politique colonisatrice dure et dominatrice dans les pays du Maghreb.
Dans tous ces pays sauf la France, le voile, le hidjab, est toléré. Mais il semble que la situation évolue dans certaines régions en ce moment. Et il faudrait se garder de transposer ici la situation de la France qui possède une longue tradition de colonialisme dirigé principalement contre les Arabes, qui a déteint chez nous via les manuels scolaires. À la fin des années 1940, j’ai appris dans ma géographie de 4e année : « Poli et hospitalier, l’Arabe est néanmoins enclin à la vengeance, au vol et à la trahison ». Or, on peut penser que l’opposition aux signes religieux permet d’évacuer le racisme. On se dit : « je ne suis pas raciste : je suis contre les signes religieux ».
Comme le dit Marie-Blanche Tahon, qui a beaucoup réfléchi sur cette question : « Il faudrait se garder d’ostraciser des femmes d’ici au nom de ce qui se passe ailleurs dans le monde. Il faudrait aussi prendre garde de vouloir protéger des femmes malgré elles, de leur imposer ce que nous estimons bon pour leur bien, au nom de leur libération. En d’autre mots, de pratiquer un « paternalisme communautaire ».
En conclusion, en supposant que la Charte (projet de loi 60) soit adoptée ou qu’elle fasse l’objet principal des prochaines élections (passant ainsi sous silence les autres enjeux), comment allons-nous vivre ensemble par la suite ? … Nous avons mis 50 ans à nous « affranchir » de la religion catholique comme nation majoritaire au Québec (en passant ici sous silence le traitement fait aux autochtones depuis l’arrivée des blancs) et nous allons exiger de ces femmes qui portent le foulard (hidjab) d’y renoncer sans délai (ou très peu de délai, comparativement) sous peine de se voir exclues des emplois de la fonction publique ?
Mais il y a plus que cette exclusion : il y a le fait que les personnes croyantes sont exclues et stigmatisées à cause de leurs croyances et de leurs pratiques religieuses, comme si le port de signes religieux devait les amener à trahir le devoir d’impartialité de l’État, alors que l’État lui-même continue à orner l’Assemblée nationale du crucifix catholique ! Et on ne parle là que des apparences. Passons donc aux réalités de la laïcité dans les processus et dispositifs institutionnels : prière en conseil municipal, reconnaissance à l’État civil des mariages religieux, régime fiscal des institutions religieuses, financement des écoles confessionnelles. Une véritable charte de la laïcité aurait abordé ces questions et ne se serait pas contentée de viser les apparences religieuses des personnes.
Pour en revenir à la question des femmes qui portent le foulard, on peut émettre quelques hypothèses :
1. Elles vont quitter leur emploi ou ne postuleront plus à ces emplois permanents. Conséquence : Une discrimination à l’embauche et aussi un renfermement dans leur communauté ; ce qui apportera une 2e conséquence : la domination masculine y aura beau jeu et il n’y aura probablement pas d’affranchissement mais plutôt davantage de stigmatisation et de ghettoïsation.
2. Elles vont enlever leur voile pour ne pas quitter leur emploi et continueront probablement de pratiquer leur religion. À titre d’exemple, madame Lise Payette (pour qui j’ai beaucoup de respect) parlait récemment de soins reçus d’une femme voilée qui refusait de laver les organes génitaux parce que sa religion ne le lui permettait pas. Si elle enlève son voile, cette femme, sa religion ne lui permettra pas davantage de donner ces soins d’hygiène. Et de toute façon, c’est là un problème qui relève de la négociation en vertu de la pratique des accommodements, à propos desquels il est indéniable que nous n’avons pas encore atteint un niveau très profond de réflexion collective.
3. Elles entameront des poursuites pour atteinte à leur liberté religieuse : elles peuvent perdre, mais elles seront sûrement supportées par les intégristes qui verront là le moyen de faire des gains, ce qui ne fera pas nécessairement leur affaire car, faut-il le répéter, porter le foulard ne doit pas être assimilé à de l’intégrisme.
Déjà les conséquences sont manifestes : les femmes voilées se font conspuer en public, même si les signes religieux n’y sont pas interdits. En ce sens, si l’État interdit des signes « ostentatoires » dans les services publics, il donne l’exemple et partout l’exclusion se fera sentir ! Cela ne mérite-t-il pas davantage de réflexion ?
Marie Céline Domingue