Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Charte des valeurs québécoises

Les oubliées du casting de la Charte

Aline est une Québécoise de naissance, dans la soixantaine. C’est dans un centre d’achats qu’elle rencontre Souad, une jeune femme immigrante.

 Tu viens d’où ?

 D’Algérie.

 Ah l’Algérie, ma fille y a travaillé pendant deux ans, elle a adoré. Il parait qu’Alger la blanche est très belle. J’aimerais y aller aussi.

 Oui, c’est beau.

 Mais tu ne portes pas de foulard, toi. Ça fait longtemps que tu vis ici ?

 Non, juste un an et demi, répond Souad en souriant

 Tu es ravissante comme tu es, avec tes cheveux.

 Merci.

 Tu sais, nous sommes contents de vous (immigrants) accueillir. C’est une chance de vous avoir, mais nous ne voulons pas de problèmes.

Au-delà des commentaires et des comportements xénophobes - plus audibles et visibles depuis quelques mois, mais qui sont loin d’être représentatifs du peuple québécois -, c’est surtout dans les propos d’Aline, extraits d’un échange anodin, qu’il faut percevoir l’explication au solide appui populaire dont semble bénéficier le projet de Charte des valeurs et son porteur, le Parti québécois.

Aline a-t-elle fait preuve d’intolérance ? « Pas du tout », répond Souad qui trouve même cette dame bien sympathique. « Rien à voir, ajoute-t-elle, avec le témoignage des Pineault-Caron ».

Aline ne veut juste pas de problèmes au Québec. Elle constate que la société se déchire et que le débat public se focalise sur l’intégrisme musulman et les menaces qu’il fait supposément peser sur le Québec et sur le monde. Elle n’aime pas cela. Elle a donc des craintes, y compris sur le voile. C’est sur ces craintes que le gouvernement du Parti québécois s’appuie pour espérer rassembler une majorité d’électeurs lors du tout prochain scrutin. Pourtant, on sent qu’Aline a juste besoin d’être rassurée. Ce que sa brève rencontre avec Souad lui a permis. Un peu !

Si elle ne porte pas le voile, Souad n’en est pas moins musulmane. Elle n’est pas favorable à l’interdiction du voile dans la fonction publique. Même si elle n’a pas oublié la période où des groupes armés voulaient le lui imposer dans son pays d’origine, Souad croit qu’au Québec, la plupart des femmes qui le portent le font de leur propre gré.

Des femmes issues de l’immigration nord-africaine et moyen-orientale qui ne portent pas le voile et qui sont pourtant contre son interdiction sont nombreuses. Elles sont peut-être même majoritaires, mais dans le débat polarisant sur la Charte, rares sont les médias qui leur tendent le microphone. Et ce bien que certaines d’entre elles soient connues au Québec (intellectuelles, artistes, militantes politiques...).

En fait, il y a deux profils de femmes musulmanes que les médias québécois affectionnent particulièrement.

D’un côté, quelques femmes voilées qui sont évidemment contre la Charte puisqu’elles en sont les principales cibles. Elles sont jeunes, brillantes et ont souvent une façon atypique de porter le voile qui a pour effet de déconstruire le préjugé décrivant la femme voilée comme une femme nécessairement soumise. Ce faisant, on ne pourrait pas empêcher certains de s’interroger si ces femmes ne se livrent pas à une opération de promotion du voile.

De l’autre côté, on retrouve des militantes pro-Charte pour qui le voile n’est pas en odeur de sainteté. Elles sont présentées comme des femmes savant de quoi elles parlent. Dans leur argumentaire, on entend souvent que le voile est taché de sang. Elles affirment se battre pour que le Québec n’ait pas à vivre ce qu’elles ont subi dans leur pays d’origine et ce combat passe, pour elles, par l’interdiction du voile. Il ne faut surtout pas leur demander de nuancer leurs propos en relevant, par exemple, qu’il n’y a aucun parallèle à faire entre l’Algérie des années 1990 et le Québec d’aujourd’hui.

Ce sont là, les deux profils de femmes musulmanes qu’on invite régulièrement sur les plateaux de télévision et de radio. Ces femmes, aussi talentueuses soient-elles, sont pourtant loin de représenter la diversité des communautés musulmanes. S’il y a diverses raisons de porter le voile, il y a autant de façons de vivre le rapport à la religion.

Dans ce casting qui n’admet pas la nuance, les deux camps s’accusent mutuellement de faire le jeu des intégristes, pour les uns, et des racistes et islamophobes, pour les autres.

Voilà où nous en sommes au Québec. Et on est arrivé là parce que le gouvernement a carburé à fond à la démagogie et aux amalgames ! De leur côté, les partisans d’un Québec ouvert, tolérant et inclusif n’ont pas (encore) réussi à convaincre une majorité de Québécois et de Québécoises que l’islamisme n’est pas une menace au Québec. À ce titre, il est aujourd’hui évident que la première marche contre la Charte, organisée par quelques militants islamistes controversés en septembre dernier, a fait plus de mal aux militants inclusifs qu’elle n’a pu clarifier les enjeux du débat. Il n’est peut-être pas trop tard pour eux. Surtout si, à l’avenir, ils choisissent leurs actions de façon plus intelligente. Souad pourrait alors rassurer définitivement Aline.

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