Tiré du site Europe Solidaire Sans Frontières
13 septembre 2020, par HIBON Marie
Mexico (Mexique).– La Commission nationale des droits de l’homme, située au 60, rue Republica de Cuba, dans le centre historique de la capitale mexicaine, n’est plus. Depuis la semaine dernière, le bâtiment a été rebaptisé « Casa de Refugio Ni Una Menos » (« Refuge “Pas une de moins” », d’après un slogan né en Argentine et généralisé en Amérique latine qui réclame que la violence machiste ne fasse pas une seule victime supplémentaire), comme le signale la bannière qui ceint désormais la porte d’entrée.
Militantes féministes encagoulées et familles de victimes ont posé les pieds sur le bureau de la présidente, déplié des lits de camp, examiné les frigos bien garnis de la cuisine et se sont installées pour exiger que les autorités agissent enfin face à l’épidémie de violences qui secoue un pays où plus de dix femmes sont assassinées en moyenne chaque jour.
« On n’avait pas prévu de faire ça, c’est sorti de nulle part, de notre sentiment d’impuissance », relate Erika Martinez, 42 ans, qui campe à l’intérieur de l’institution depuis plus d’une semaine avec sa fille de 10 ans, abusée sexuellement par son ex-compagnon, qui les a mises à la rue après qu’Erika a porté plainte. Trois ans plus tard, le dossier n’a pas bougé d’un pouce.
À la Commission défilent habituellement des familles de victimes de violence ou de disparitions qui désespèrent de voir les autorités se saisir réellement de leur cas. La CNDH, une institution publique mais autonome, a pour but d’accompagner les victimes pour faire valoir leurs droits et d’émettre des recommandations non contraignantes auprès d’institutions de justice souvent incompétentes ou ouvertement récalcitrantes à agir.
Mais pour beaucoup de familles qui traînent leurs dossiers de bureau en bureau depuis des années, les bénéfices de cet accompagnement ne se sont pas manifestés. « Rédiger des piles et des piles de rapports, ce n’est pas s’occuper de nous, si pendant ce temps on continue de souffrir de la même violence ! » claironnait une des résidentes de la « Casa Refugio » vendredi.
L’électrochoc est venu d’une mère épuisée, dont la fille a été agressée sexuellement dans son école alors qu’elle avait 4 ans. Marcela Aleman venait de l’État de San Luis Potosi, à plus de 350 km de la capitale, pour une réunion à la CNDH le mercredi 2 septembre. Après un entretien infructueux, la mère s’est arrimée à sa chaise, refusant de rentrer une fois de plus bredouille. Elle a passé la nuit dans la salle de réunion, face à la fenêtre, soutenue par des collectifs depuis l’extérieur du bâtiment.
« On s’est dit : pourquoi on reste dehors, alors qu’on pourrait faire la même chose de l’intérieur ? » relate Erika Martinez. Le vendredi, féministes et familles de victimes de violences prennent pacifiquement possession du bâtiment. Si les deux groupes divergent sur les demandes précises faites à la présidente de la Commission, Rosario Piedra – le collectif Ni Una Menos réclame sa démission ; les familles de victimes cherchent à ouvrir un dialogue –, les activistes ont en commun une colère immense et la ferme volonté de ne pas lever le camp avant d’avoir pu faire, enfin, valoir leurs droits.
« Nous avons obtenu de la ministre de l’intérieur que les autorités examinent attentivement chacun des dossiers que nous leur soumettrons », se réjouit Erika Martinez, avant d’ajouter : « Mais ce que nous cherchons, c’est que la justice s’applique enfin pour toutes, pas pour une poignée de privilégiées. Maintenant, ils seront bien obligés de toutes nous écouter ! »
Depuis le début de la semaine, des femmes en détresse viennent à la « Casa Refugio » déposer qui un mot, qui un dossier, auprès de ces militantes qui semblent avoir réussi à ouvrir au forcing un canal de communication avec des autorités sourdes aux requêtes par la voie officielle.
Elles y trouvent une oreille attentive et un colis alimentaire – les dons affluent depuis le début de l’action et les militantes distribuent pâtes, haricots, protections hygiéniques et jouets aux familles dans le besoin poussées à bout par la crise économique qui accompagne la pandémie.
Angelica a fait le trajet depuis Ecatepec, une immense municipalité délaissée à l’est de la capitale. Elle est menacée par son ex-compagnon violent, qui l’empêche de voir sa fille en bas âge depuis sept mois. « J’ai porté plainte, j’ai frappé à toutes les portes, mais tout ce que font les fonctionnaires, c’est se moquer de mon cas et me dire que je n’ai qu’à retirer ma plainte si je veux revoir ma fille », sanglote la jeune femme, son dossier sous le bras. « Personne ne veut m’écouter. Je suis venue ici pour qu’enfin on m’entende. »
Au Mexique, « la médiatisation de ton dossier est la seule chose qui le fait avancer », rappelle Maria Elena Rios. À 27 ans, cette jeune saxophoniste prometteuse de Oaxaca se remet d’une attaque à l’acide sulfurique fomentée en septembre 2019 par son ex-compagnon, qui lui a brûlé 85 % du corps. Les autorités ont classé l’affaire en « blessures » avant que la pression médiatique ne les pousse à la requalifier en « tentative de féminicide », un crime automatiquement puni de prison.
Selon la jeune femme, l’émoi national et international qu’a suscité sa cruelle histoire est responsable des avancées obtenues – l’arrestation de quatre personnes, dont son ex-compagnon. « Soudain, les autorités sont disponibles pour travailler sur ton cas… » Un an après les faits, Maria Elena dénonce la lenteur de la justice alors qu’un suspect est toujours en fuite.
« On va transmettre aux autorités une montagne de dossiers, pour qu’elles réalisent l’étendue de leur omission », renchérit Erika Martinez.
Le président, Andrés Manuel Lopez Obrador, a reconnu « la douleur » des mères mais esquivé leurs revendications, préférant s’étendre sur « le vandalisme » des militantes de Ni Una Menos, qui ont décroché les austères portraits de présidents des murs de l’institution pour les grimer en icônes pop-punk. Ainsi, l’illustre Francisco I Madero, apôtre de la révolution mexicaine, arbore désormais un costume à fleurs, des cheveux mauves et des lèvres rouges.
« Comment le président peut-il s’indigner pour un tableau quand ma fille a été agressée sexuellement à 7 ans et que la justice ne fait rien ? » explose Erika Martinez. L’artiste auteur du tableau a personnellement appelé Erika pour lui faire don de l’œuvre en soutien à leur combat.
Depuis son arrivée au pouvoir, Lopez Obrador s’est montré largement insensible à l’une des plus importantes crises de son pays : la violence envers les femmes et l’impunité qui l’accompagne. Sous couvert d’austérité, il a par ailleurs réduit les subventions de plusieurs programmes consacrés à la lutte contre la violence envers les femmes. Alors que les chiffres des féminicides sont en augmentation constante ces dernières années, les Mexicaines ont accentué la pression avec des actions de plus en plus impérieuses.
Il y a un an, après l’agression sexuelle de deux mineures par des policiers, des manifestantes recouvraient les monuments de la capitale de slogans vert et mauve, tandis qu’un groupe de militantes radicales vandalisaient l’entrée du bureau du procureur et la station de métrobus la plus proche.
Enhardies par l’action des militantes de la capitale, des activistes féministes encagoulées ont réalisé plusieurs actions de soutien à travers le pays, bloquant l’accès de commissions des droits de l’homme locales. Mais plusieurs collectifs ont été confrontés à la répression des autorités.
À Ecatepec, la banlieue oubliée de Mexico où les femmes vivent dans la peur constante d’être agressées, les militantes qui occupaient la commission ont été violemment délogées par des forces de l’ordre, qui les ont frappées, menacées et emmenées au poste. « Dans la capitale, les manifestations sont normalisées. Mais manifester en banlieue, c’est avoir peur d’être agressée, violée, tuée », rappelait dans un tweet Yoali Zaret, féministe qui vit en périphérie de Mexico.
Marie Hibon
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