AMLO président
Les coalitions des trois partis en lice qui présentent les principaux candidats mettent tout leur poids dans une lutte électorale inter-bourgeoise dont les
résultats sont déjà annoncés, dès maintenant, comme étant décisifs pour la configuration du pouvoir au Mexique et pour leurs conséquences sur l’ensemble du système politique. Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a un ample avantage dans les sondages face à ses deux rivaux : Ricardo Anaya du PAN (Parti d’action nationale), qui est en deuxième position, et José Antonio Meade du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), loin derrière. L’avantage d’AMLO a été maintenu et s’est amplifié au cours des six derniers mois et plus. Dans tout autre pays ayant une démocratie bourgeoise plus ou moins développée, ce serait suffisant pour le considérer comme le prochain président de la République mexicaine.
Aux sommets du pouvoir bourgeois, il y a des indications qu’une telle conclusion a déjà été tiré et que la victoire d’AMLO est irréversible. Les deux réseaux nationaux de télévision, Televisa et TV Azteca, ont été moins que discrets à cet égard en donnant au dirigeant du Mouvement de régénération nationale (Morena) un espace lui permettant d’exposer largement ses positions. Ce qui ne lui avait pas été accordé lors des deux candidatures présidentielles précédentes, en 2006 et 2012.
D’importants hommes d’affaires ont voulu répéter ce traitement médiatique en caractérisant AMLO comme « un danger pour le Mexique ». Ce projet n’a pas pu prendre forme. L’impopularité et le rejet du président Peña Nieto ont conduit son parti, le PRI, dans l’abîme actuel d’où il lui sera très difficile de sortir. L’autre parti bourgeois traditionnel, le PAN, est divisé et son candidat Anaya est accusé par le gouvernement lui-même de fraudes portant sur plusieurs millions de dollars. La conclusion tombe d’elle-même, l’hégémonie politique bourgeoise est en difficulté et les risques que court le « PRIAN » si ces formations sont « contraintes » de se trouver pendant encore six ans à la tête du gouvernement. Morena prend donc le relais d’une crise qui s’aggrave de manière dangereuse. Dès lors, son leader AMLO ne cesse d’assurer aux capitalistes qu’il continuera à favoriser leurs intérêts prioritaires.
Pratiquement la même chose est répétée dans la plupart des médias internationaux.
On y tient pour acquis que les rivaux d’AMLO se battent déjà pour le droit d’arriver en seconde position dans les sondages afin de se profiler comme le principal concurrent du leader de la coalition Morena. Un exemple caractéristique de ce point de vue est celui émis par Felipe González, l’ancien président du gouvernement espagnol, qui a déclaré avec force depuis Madrid que « simplement, comme disent les Mexicains, même en nageant comme un mort, AMLO atteindra le rivage. » (La Jornada, 23.05.2018)
Un article de fond du magazine économique Bloomberg Businessweek, édition mexicaine (17.05.2018), est illustré avec l’image d’AMLO qui, la tête enserrée dans ses bras et, avec un geste ironique, presque moqueur, pointe avec l’index de sa main gauche vers le seul mot en lettres majuscules sur la couverture : « DISRUPTION ». Cela dit beaucoup de choses sur ce que sont aujourd’hui la préoccupation et le sentiment des milieux financiers et industriels, du monde des affaires de Monterrey, la ville du nord où se trouvent les sociétés financières et industrielles les plus puissantes du Mexique [centre de gravité historique du PAN]. Ville qui au cours des 25 dernières années s’est transformée pour rendre ses banlieues occidentales identiques aux quartiers haut de gamme du sud de la Californie.
La rupture politique
Quelle est la rupture, selon ces journalistes, porte-parole des médias financiers ? Dans le long article principal à l’intérieur du magazine, qui porte le titre révélateur « Les gens lui [AMLO] pardonnent tout parce qu’ils sentent qu’il est l’instrument pour se venger d’une classe politique corrompue » et qui commence par les mots significatifs suivants : « Tout indique que le dirigeant de Morena sera le prochain président du Mexique et cela rend les hommes d’affaires du pays assez nerveux. » Par la suite, les raisons de cette préoccupation sont expliquées sans détour : « Ce n’est pas une question de droite ou de gauche. Pas même du sud contre le nord [du Mexique]. Il s’agit pour beaucoup d’électeurs de trouver par le biais la croix apposée sur le bulletin à côté du nom de celui qui qualifie les dirigeants de « cochons, de porcs » ou simplement de « mafia du pouvoir » la manière la plus directe de dire au gouvernement, aux hommes d’affaires et même aux médias : « Allez vous faire foutre. » Une façon très mexicaine de dire que tout le monde dégage !
Pour quelles raisons les entrepreneurs et les hauts fonctionnaires sont-ils nerveux ? Si nous appelons un chat un chat et que nous allons au cœur du problème, la question centrale est d’empêcher le mécontentement de masse qui s’accumule d’atteindre des niveaux incontrôlables. Ce sont des millions de Mexicains en colère qui se rendront aux urnes le 1er juillet : plus de 80 millions sont sur les listes de l’INE (Institut national électoral). Si nous estimons l’abstention à 30% parce que lors des élections présidentielles elle est toujours inférieure à la moyenne de 40% ou plus, environ 50 millions de Mexicains et Mexicains voteront ce jour-là. Tous les sondages donnent la majorité à AMLO. Précisément les deux derniers publiés ce début juin indiquent qu’AMLO réunit plus de la moitié des intentions de vote. Le quotidien Reforma montre qu’AMLO obtiendrait un peu plus de 50% des suffrages (Reforma, 30.05.2018). L’institut Parametría a publié les résultats de son sondage à la télévision le 31 mai dernier : elle a attribué 54% des voix à AMLO, contre 24% pour Ricardo Anaya et 17% pour José Antonio Meade. C’est un véritable tsunami électoral qui doit se produire le 1er juillet.
Alors qu’au cours des dix dernières années, beaucoup d’éléments ont changé dans les positions les plus radicales d’AMLO comparativement à celles qu’il présente aujourd’hui, suite à un tournant clair et notoire vers la droite. Ce qui ressort de ses discours et écrits actuels. Une analyse socialiste de son dernier livre Le départ de 2018. De la décadence à la renaissance du Mexique aboutit à la conclusion suivante : « Le gouvernement d’AMLO sera un gouvernement d’entrepreneurial néolibéral ». (Cuahtémoc Ruiz, Unidad Socialista-El Socialista-La Gota, mai-juin 2018)
Les préoccupations des secteurs bourgeois – aussi bien de ceux qui acceptent déjà la victoire d’AMLO que de ceux qui résistent encore à le reconnaître comme une alternative – ne résident pas tant dans la personnalité du leader que dans la crainte qu’il ne pourra pas faire face à l’énorme avalanche sociale qui accompagne sa candidature et qu’il sera submergé après sa victoire qui paraît inévitable. Le régime politique est plongé dans une crise profonde, comme en témoigne la situation des deux principaux piliers qui l’ont soutenu jusqu’à présent : le PRI et le PAN. Le conservatisme traditionnel des sommets bourgeois considérait AMLO comme un facteur étrange et dangereux. Mais à mesure que la crise s’est aggravée, les choses ont changé et une bonne partie des secteurs bourgeois et AMLO lui-même se sont mis d’accord entre eux.
Le président de la très conservatrice Confederación Patronal de la República Mexicana (Coparmex), le plus grand et le plus ancien syndicat du pays (40’000 entreprises membres avec cinq millions d’emplois formels, à l’origine de 39% du PIB), Gustavo Adolfo de Hoyos, sans prendre de gants, reconnaît que son candidat José Antonio Meade n’a aucune chance de gagner. Il affirme ceci : « Ce que nous allons voir dans cette élection […], c’est que les meilleurs candidats perdent parce qu’ils portent le mauvais logo. » Le « mauvais logo » est le PRI pour lequel Meade est candidat. Il déclare également qu’il respecte et mise sur le résultat des élections (« nous faisons confiance à l’INE ») qui se traduira par la mise en place d’un organe législatif « équilibré » (Proceso, 27.05.2018).
Mais Coparmex a également critiqué le gouvernement Peña Nieto pour l’échec de sa politique contre la violence [25’339 homicides, reconnus, en 2017], soulignant des données qui montrent la détérioration colossale de la sécurité de ses entreprises : le vol de carburant par les huachicoleros[professionnels du vol d’essence et de diesel] a atteint 30 milliards de pesos en 2017, soit 50% de plus qu’en 2016. Depuis le début de cette année, il y a eu 852 braquages de trains et de transports routiers et 3357 vols massifs dans des dépôts de marchandises. « L’insécurité provoque de graves dommages économiques, a un impact sur la capacité de notre pays à attirer les investissements, à créer des emplois et à développer un cercle vertueux de pacification au moyen de la création de richesses », a déclaré Coparmex dans un communiqué. D’autres groupes, comme le Consejo Coordinador Empresarial (CCE), expriment les mêmes préoccupations et considèrent que les autorités ont ignoré la lutte contre la violence criminelle.
Si les hommes d’affaires opportunistes et égoïstes ont dû prendre leurs distances par rapport à la politique de Peña Nieto en matière de criminalité, c’est parce que ses conséquences touchent leurs poches. Au milieu de la campagne électorale, les assassinats se poursuivent sans relâche : 70 meurtres de femmes ont été commis seulement en avril dernier. Plusieurs candidats ont été tués. Dans le Chihuahuahua, l’un des Etats les plus violents, des dizaines de candidats ont renoncé à se présenter par crainte d’être exécutés. Les journalistes travaillent dans un pays qui n’est pas officiellement en guerre, mais dont le bilan des meurtres dans cette profession fait concurrence à celui de la Syrie dans ce domaine. En mai 2018, des dizaines de meurtres de gens ordinaires ont eu lieu chaque jour. Depuis que Felipe Calderón [président de décembre 2016 à décembre 2012, membre du PAN] a décidé de sortir l’armée et la marine de leur caserne pour « déclarer la guerre au crime », 2017 a été l’année la plus violente. Mais cette année électorale sera probablement encore pire.
Si Coparmex représente le conglomérat majoritaire du patronat, de la grande et moyenne bourgeoisie, le CCE est l’institution supérieure qui rassemble les groupes les plus puissants et les plus riches parmi les capitalistes mexicains. Par exemple, il réunit des hommes qui, avec Carlos Slim [détenteur de 67,1 milliards de dollars selon Forbes en mars 2018], représentent le trio des capitalistes les plus riches du pays : Germán Larrea (Ferromex et Grupo Mexico Mining Company) et Alberto Bailléres (El Palacio de Hierro, finance et industries diverses). Ce sont les secteurs du CCE qui appellent publiquement leurs employés à ne pas voter pour López Obrador en recourant, avec peu de succès il est vrai, aux arguments selon lesquels AMLO est le Nicolas Maduro mexicain ou que le Mexique deviendra un autre Venezuela. Ils en viennent même à sortir des discours poussiéreux anticommunistes et antisoviétiques. […] A suivre (Article envoyé par l’auteur, Mexico, 2 juin 2018 ; traduction A l’Encontre)
Mexique. Le 1er juillet annonce un bouleversement politique (II)
Publié par Alencontre le 16 - juin - 2018
Par Manuel Aguilar Mora
Comme indiqué ci-dessus [voir ici la première partie de cet article], moins d’un mois avant le vote, dans toute autre démocratie bourgeoise traditionnelle, en tenant compte du résultat répété des sondages, le résultat électoral serait quasi déjà proclamé avec une formule : AMLO président !
Le fantôme de la fraude
Pas au Mexique. La tradition de la fraude électorale est beaucoup plus enracinée que celle de la démocratie, y compris de la démocratie bourgeoise. Par conséquent, cette incertitude qui subsiste dans de larges secteurs de la population n’est en aucun cas gratuite. Des personnages du monde de la politique bourgeoise endurcis et cyniques, à l’image d’un Porfirio Muñoz Ledo [qui a occupé de nombreux postes dans l’appareil d’Etat mexicain et dans sa représentation dans des organismes de l’ONU et est candidat de Morena à la Chambre des députés], déclarent qu’il y a des bruits annonçant la fraude à l’Institut national électoral (INE), en raison de l’influence notable que le PRI maintient parmi ses principaux conseillers. Quel serait le scénario possible de cette opération que réaliseraient les organismes électoraux mexicains, proverbialement fraudeurs ?
Santiago Nieto Castillo – qui a été licencié par le gouvernement Peña Nieto (en place depuis décembre 2012) en tant que directeur du Bureau du Procureur spécial pour les infractions électorales (FEPADE) – est maintenant un allié d’AMLO. L’affrontement avec Peña Nieto qui a conduit à son « licenciement » avait trait à l’enquête qu’il a menée sur la somme de 16 millions de dollars de pots-de-vin de la société brésilienne de construction Odebrecht, recueillie par Emilio Lozoya Austin. Ce dernier était le directeur de Pemex et, en 2012, le chef de la campagne électorale de Peña Nieto. Dans un entretien publié dans le magazine Proceso (27.05.2018), il décrit ce que l’on sait depuis toujours sur la manière dont le gouvernement, à travers le PRI, réalise les fraudes électorales, de manière répétée. Selon lui, aujourd’hui une fraude se prépare suite à l’affaiblissement des institutions en charge des élections, telles que la FEPADE, l’INE et le Tribunal électoral fédéral.
Le financement des organes de supervision des élections a diminué de façon spectaculaire entre 2012 (93,6 millions de pesos) et 2018 (18 millions de pesos). Il cite l’exemple du plus important du programme officiel de lutte contre la pauvreté, le Prospera, qui est passé de 14,313 milliards de pesos au premier trimestre 2017 à 20,532 milliards de pesos au cours des trois premiers mois de 2018, cela en pleine campagne électorale et avec des augmentations plus importantes dans les Etats où il y aura aussi des élections aux postes de gouverneur et où le PRI cherche à défendre son vote « dur ». Le gouvernement fédéral est l’exploitant de 6491 programmes sociaux. La principale institution chargée d’administrer ces énormes ressources est le Secrétariat du Développement Social (Sedesol) dont le célèbre Rosario Robles (ancien président du PRD – Parti de la révolution démocratique, scission du PRI en 1989 –, aujourd’hui un collaborateur connu de Peña) et José Antonio Meade lui-même étaient secrétaires sous le gouvernement actuel. Grâce à ces ressources, les méthodes de « conditionnement », autrement dit achat, des votes sont mises en pratique : délivrance de carte d’électeur, ou documents photocopiés, voter directement pour un candidat, assister à un rassemblement contre la remise, sans vergogne, de sommes d’argent.
Traditionnellement, sous l’empire du PRI, on savait que le « vote vert », le vote en milieu rural, était le leur. Dans la mesure où la population du pays a cessé d’être essentiellement rurale et qu’au cours des trois dernières décennies, le Mexique est devenu un pays à prédominance urbaine, le déclin du PRI a été notoire, jusqu’à atteindre sa situation présente qui le place au bord d’une implosion qui en fera un parti accessoire.
Le vote du PRI est estimé à environ six millions. Il est clair qu’au vu du glissement de terrain attendu le 1er juillet, ce chiffre est légèrement supérieur à 10%, mais inférieur à 15%. Parmi le pourcentage d’indécis, le PRI n’a pas beaucoup de chances d’en capter une fraction significative. Cela explique cette troisième place, qui ne dépasse pas les 20%, dans laquelle José Antonio Meade s’est définitivement installé, selon les sondages. Ainsi, une fraude lors du 1er juillet devrait être directement électronique et apparaîtrait immédiatement comme telle. Ce serait une provocation colossale dans un pays qui ressemble à un barrage dont le débit est sur le point de déborder.
La nouvelle élite du pouvoir
Les fraudes et attentats les plus scandaleux (Luis Donaldo Colosio, candidat à la présidence du PRI qui fit un discours contre l’orientation du président Carlos Salinas de Gortari, sera assassiné en mars 1994) avaient la marque du PRI. Aujourd’hui, ce n’est plus ce parti qui décide de la politique du pouvoir bourgeois basé dans la présidence de la République. La nouvelle élite du pouvoir constitue l’équipe conjointe des politiciens (ceux placés au sommet) et des magnats déjà mentionnés. L’entrée de ces derniers dans le réseau serré de la politique du pouvoir est un développement récent. C’est après le tournant néolibéral des années 1980 que l’empire du PRI a commencé à décliner.
Bien que le Mexique ait été pendant la plus grande partie du XXe siècle le pays de l’« empire du PRI », cette dictature s’est exprimée de manière contradictoire par une succession régulière d’élections « démocratiques » que le parti dominant a remportées sans difficulté. Ainsi, pendant près d’un siècle, la politique nationale a fait des élections présidentielles, tous les six ans, les moments clés d’un système qui, dans la pratique, était un parti unique, presque totalitaire. C’est ce qui explique l’oxymoron de la formule qui définissait le système comme « révolutionnaire institutionnel », également décrit par Mario Vargas Llosa comme la « dictature parfaite ». La perpétuation au pouvoir de cette oligarchie politique, avec son contrôle ferme de l’armée, s’est faite à travers les élections présidentielles, définies et présentées avec force comme « démocratiques », alors qu’en fait, depuis 1924, le successeur au pouvoir était la figure choisie par le président sortant. La conscience populaire a fini par identifier ces « compétitions », tous les six ans, comme les moments décisifs de leur participation politique, où leur destin national allait être forgé. La stabilité proverbiale du PRI, durant près d’un siècle, a maintenu inchangée cette péripétie aliénante.
L’importance des élections du 1er juillet réside dans le fait que la crise sociale et économique – que le gouvernement et ses partisans bourgeois n’ont pas réussi à surmonter – a rompu cette longue tradition. Le point de rupture a été atteint. Aujourd’hui, les conditions et les besoins des masses populaires se heurtent de plus en plus violemment à ces fictions démocratiques. La bourgeoisie a tenté de trouver un moyen répondant à ses intérêts pour sortir de cette situation.
En 2000, ce fut la transition convenue qui a conduit Vicente Fox du PAN à la présidence avec l’accord tacite du président du PRI Ernesto Zedillo, comme l’a récemment reconnu Francisco Labastida [ancien gouverneur de l’Etat de Sinaloa de 1987 à 1992, de 2006 à 2012 sénateur du même Etat], qui a été le premier candidat perdant à la présidence du PRI.
Les conséquences des gouvernements désastreux du PAN, celui de Fox de 2000 à 2006 et celui de Felipe Calderón de 2006 à 2012, ont permis la réhabilitation du PRI avec l’élection Peña Nieto. Avec ce « succès », le PRI a précipité sa chute vertigineuse actuelle et probablement définitive.
Contexte international
La rupture qui est en train de se produire au Mexique est contemporaine des événements qui déterminent le chaos politique dont nous sommes témoins dans le monde entier. Tout d’abord, bien sûr, il y a le facteur du puissant voisin du Nord. L’arrivée de Trump à la Maison-Blanche a complètement disloqué l’harmonie traditionnelle et stable que la bourgeoisie mexicaine a maintenue pendant des décennies en tant que partenaire privilégié de Washington. Peut-être qu’après son lien stratégique avec l’Etat sioniste d’Israël, les relations de Washington avec Mexico étaient parmi les plus stables et les plus importantes. C’était le voisin du sud avec lequel les Etats-Unis partagent une frontière de 3000 kilomètres. Un voisin qui assure la source de travailleurs migrants bon marché et sûrs. A quoi s’ajoute le statut de partenaire, avec le Canada, de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), un traité avec lequel cette association a atteint son plus haut niveau. L’arrivée de Trump a complètement perturbé cette configuration.
Le mur à la frontière, la remise en question de l’ALENA et la propagande xénophobe et anti-mexicaine du locataire de la Maison-Blanche ont brisé l’ancienne relation et entravé l’émergence d’une nouvelle donne entre les deux pays. Bien que timides, les réactions de Peña Nieto et de son secrétaire aux Affaires étrangères, Luis Videgaray, face aux agressions absurdes de Trump ont suscité une confrontation évidente. Aujourd’hui, le poste d’ambassadeur des Etats-Unis au Mexique reste vacant. En conclusion, les élections du 1er juillet se dérouleront dans un contexte de détérioration marquée des relations entre les deux pays.
Illustration de la « fraude » dans le District fédéral de Mexico en 2017
Ce qui se passe dans les espaces de la frontière sud est important parce que le Mexique est le voisin direct d’une des régions les plus violentes du monde, le triangle du Guatemala, du Honduras et du Salvador. Au Honduras, le coup d’Etat contre le président Manuel Zelaya, en 2009, a montré que le gouvernement démocratique de Barack Obama et de sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton n’a pas « démérité » comparé à leurs prédécesseurs républicains. La conséquence en a été l’arrivée de Juan Orlando Hernández, dont la dictature a été perpétuée par une fraude colossale lors des élections de 2017.
Et cette année, un autre pays d’Amérique centrale, également très proche du Mexique, est secoué suite l’irruption de la rébellion populaire contre le gouvernement Daniel Ortega et de son épouse Rosario Murillo. Les flammes de la rébellion au Nicaragua sont aussi un facteur centraméricain qui a un impact dans la situation mexicaine.
Plus au sud, la crise du prétendu « progressisme » au Brésil, en Argentine, et même en Bolivie, ainsi que la « crise » gouvernement de Nicolás Maduro au Venezuela sont des expériences qui renvoient à la situation au Mexique. Tout aussi important est ce qui se passe en Espagne, peut-être le pays européen le plus connu et le plus influent du Mexique. La défenestration de Mariano Rajoy et la chute de son gouvernement conservateur, aux nombreuses relations avec le gouvernement Peña Nieto, est un fait majeur dans le jeu des facteurs internationaux qui sont présents aujourd’hui dans la conjoncture politique mexicaine.
Perspectives
Comme il ressort de tout ce qui précède, la représentation des travailleurs et travailleuses, des paysans et des opprimé·e·s et exploité·e·s du Mexique est absente de ces importantes élections. La tentative frustrée d’enregistrer la candidate indigène et indépendante María de Jesús Patricio (choisie par le Congrès national indigène comme porte-parole pour les élections présidentielles), connue sous le nom de Marichuy, a empêché que son nom apparaisse sur les millions de bulletins de vote. Le courant de masse qui va s’exprimer dans le vote pour AMLO cherche de la sorte à faire valoir politiquement ses intérêts. C’est un vote qui ne correspond pas, de facto, aux intérêts immédiats et historiques de ces masses, mais qui renvoie plutôt à la politique traditionnelle qui place les masses laborieuses et leurs alliés, comme pratiquement durant tout XXe siècle, dans une position de subordination aux directions bourgeoises.
Toutefois, contrairement au XXe siècle, nous ne sommes pas confrontés aujourd’hui à un scénario dans lequel l’hégémonie bourgeoise est basée sur la croissance économique, la stabilité et le bien-être. L’époque actuelle du capitalisme mondial est celle de la concurrence intercapitaliste durcie, de l’exploitation des travailleurs ayant des traits du XIXe siècle et de l’absence totale d’un horizon de liberté, d’égalité et de fraternité. Il y a là des signes qui indiquent un potentiel de recrudescence de la lutte de classe. Il n’y aura plus de longues décennies de stabilité du type de celle connue au XXe siècle.
Contrairement aux mouvements de travailleurs en Amérique du Sud et de manière similaire à la situation des travailleurs du voisin du nord, le prolétariat mexicain, considéré au sens large du terme, est orphelin d’une représentation politique à l’échelle du pays. Combien de temps va perdurer une telle situation ? De très nombreux facteurs vont déterminer la disparation de cette situation ou sa permanence. Mais une chose est certaine, quels que soient les résultats des élections du 1er juillet, il y a des courants de milliers et de centaines de milliers de travailleurs qui cherchent une véritable alternative pour défendre leurs intérêts et mettre en œuvre leurs objectifs de classe.
Cette anomalie – pour autant que l’on puisse la qualifier ainsi – sera « corrigée » dans un avenir proche et précisément le signalent les conditions de la constitution du très large soutien électoral obtenu par la candidature d’AMLO. « Notre » candidature n’est pas celle d’AMLO, mais des milliers, des millions de travailleurs la considèrent comme la leur. Notre attitude à leur égard est une attitude de respect. Ce qui n’exclut pas une explication critique ferme, de manière fraternelle et simple, que nous exprimons dès aujourd’hui et après le 1er juillet. Cela en prévision du découragement, prévisible, qui sera ressenti lorsqu’il deviendra évident qu’AMLO ne va pas occuper la présidence de la République pour tracer une nouvelle voie, mais pour essayer de réparer et d’atténuer les problèmes qui minent le capitalisme au Mexique.
La responsabilité est grande pour les nombreux groupes socialistes indépendants et révolutionnaires qui existent déjà et qui, soit dit en passant, ont été très actifs dans les forums et les réunions en ces jours où la fièvre politique actuelle dans le pays a éclaté. Elle sera essentielle pour contribuer aux tâches de définition idéologique, aux expériences politiques et aux pratiques organisationnelles qui s’accumulent déjà à l’horizon, dans les jours à venir. Face à ce défi, la seule possibilité de victoire réside dans une orientation unitaire qui s’oppose au sectarisme stérile. L’unification déjà en cours entre certains groupes est un bon signe pour l’avenir.
Quels que soient les résultats des élections du 1er juillet, ils ouvriront la perspective d’une situation politique nouvelle et prometteuse pour la cause et les intérêts des travailleurs et travailleuses du Mexique. (Mexico, le 2 juin 2018 ; article envoyé par l’auteur ; traduction A l’Encontre ; à lire aussi ses premières contributions publiées sur ce site en date des 15 et 16 mars et du 4 mai 2018)
Un message, un commentaire ?