21 février 2025 | Tiré du site du CADTM | Photo : Diego Delso, CC, Wikimedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gulf_of_Mexico_sunset.jpg
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Grâce au triomphe de la Révolution mexicaine de 1910-1917, le peuple mexicain s’est doté d’un État qui a nationalisé et fondé un secteur agricole puissant. Malheureusement, ces acquis ont été anéantis par les politiques néolibérales imposées dès 1982 , notamment au nom du remboursement de la dette. Aujourd’hui, la répartition des terres reste largement inégale. Pourtant, le droit à la terre est essentiel à la réalisation de plusieurs droits humains, tels que le droit à un niveau de vie décent ou le droit à l’alimentation.
Verónica Carrillo Ortega, Présidente de la centrale indépendante des ouvrier·es et des paysan·es de l’État de Veracruz et membre de l’Initiative nationale de suspension du remboursement de la dette publique du Mexique
Au Mexique, avec la Révolution verte, nous avons commencé à utiliser des engrais à base de résidus acides, entrainant l’acidification de 62 millions d’hectares et provoquant ainsi des maladies, la chute de la valeur nutritionnelle des aliments et une baisse de la production. Aujourd’hui, quatre entreprises, Bayer, BASF, Syngenta et Corteva, commercialisent 50 % des semences et contrôlent le marché des pesticides. 18 % des coûts de production sont consacrés aux semences, 22 % aux engrais et 21 % aux pesticides. Autrement dit, 61 % des coûts de production finissent dans les poches des transnationales. Alors à qui sert la production alimentaire ? L’économie mexicaine est totalement dépendante des économies étasunienne et canadienne et le nouvel accord commercial nord-américain profite à ces derniers et représente une nouvelle forme de pillage.
"61 % des coûts de production finissent dans les poches des transnationales"
Au niveau national, 70 % de nos sols sont actuellement appauvris en matière organique. Nous observons une augmentation des importations venant concurrencer directement les paysan·es mexicain·es. 60 % des céréales que nous consommons sont importés, érodant ainsi notre capacité de production et détruisant la base de notre tissu social. En parallèle, un nombre important et croissant d’agriculteur·ices sont évincé·es du marché en raison du faible prix des importations et du coût élevé des intrants, principalement des engrais.
Il est important de noter que le Mexique est le pays berceau du maïs, la céréale la plus produite dans le monde. Jusqu’en 1993, à la veille de la signature de l’ALENA (accord de libre-échange nord-américain), le pays était autosuffisant en production de maïs. Dès 1996, il importait des États-Unis 40 % de la demande intérieure.
Avec des milliers de variétés de maïs, chacune adaptée à un environnement spécifique et un usage précis, le Mexique constitue un véritable réservoir de biodiversité offrant des outils d’adaptation à nombre de défis écologiques. La disparition de la petite paysannerie, garante de la sauvegarde de cette richesse, met lourdement en péril un patrimoine utile pour la population mexicaine et mondiale.
Quelle réponse apporter à cela ? La souveraineté alimentaire !
Le défi consiste à récupérer les sols pour produire des aliments sains, à haute valeur biologique, des aliments de haute qualité, exempts d’agrotoxines et en suffisance pour lutter contre la pauvreté et la faim. Récupérer les sols, aussi, pour assainir les aquifères, créer des emplois décents dans les campagnes et réduire les inégalités entre l’agriculture paysanne et l’agriculture intensive. Car la pauvreté, et donc l’effort désespéré d’obtenir quelque chose d’un sol déjà fatigué, est aussi vecteur de destruction de l’environnement. Inversement, seul un sol sain permet de lutter contre la pauvreté.
" Le coût financier de la dette extérieure du Mexique (intérêts et commissions) équivaut à plus du double du budget de l’ensemble des programmes sociaux"
Nous devons prioriser une agriculture qui intègre les connaissances des paysan·nes, qui combine les savoirs modernes au profit de l’agroécologie, faisant de la durabilité notre nouveau mode de vie. Les systèmes de production basés sur les principes de l’agroécologie sont biodiversifiés, résilients, efficaces sur le plan énergétique, socialement justes et contribuent à la base d’une stratégie énergétique et de production fortement liée à la souveraineté alimentaire .
Notre méthodologie, intégrant une perspective de genre, pour faire face à la crise climatique et permettre la montée de la souveraineté alimentaire, s’articule autour de quatre axes :
- Écologique, nous devons accroître la biodiversité pour restaurer les sols, incorporer des minéraux ;
- Social, rétablir l’enseignement agricole ;
- Économique, les campagnes ont besoin d’investissements, de subventions et de crédits pour se redresser et ajouter de la valeur ;
- Technologique, l’intégration d’une équipe d’intellectuel·les, de scientifiques et d’universitaires pour concevoir le système agroalimentaire mexicain.
Ces quatre axes visent à restaurer l’autosuffisance alimentaire locale, à conserver et régénérer l’agrobiodiversité, à produire des aliments sains avec peu d’intrants et à renforcer les organisations paysannes.
Il est aujourd’hui impératif que le gouvernement alloue des ressources suffisantes à l’agriculture. Une façon d’obtenir des ressources est d’arrêter de payer la dette extérieure, dont une partie est illégitime , et d’allouer ces ressources à l’investissement productif et aux dépenses sociales. Le coût financier de la dette extérieure du Mexique (intérêts et commissions) représente plus du double du budget de l’ensemble des programmes sociaux. L’annulation d’une partie de la dette permettrait de s’attaquer de front à la pauvreté, d’améliorer le niveau de vie de la classe paysanne et, bien sûr, de parvenir à la souveraineté et à la sécurité alimentaire. Elle permettrait de reconquérir en partie la souveraineté économique nécessaire à la mise en place de politiques d’autosuffisance. Les niveaux de malnutrition seraient également réduits grâce à l’assistance technique du gouvernement, couplée à des formations mises en œuvre par les paysans et paysannes sur l’autogestion, sur les différents modes de production, ainsi que sur des modèles et régimes alimentaires permettant de répondre correctement aux besoins du corps.
"Une façon d’obtenir des ressources est de ne pas payer la dette extérieure et d’allouer ces ressources à l’investissement productif et aux dépenses sociales"
La réactivation et la transformation des systèmes de production ruraux ne seront pas possibles sans un plan national comprenant des principes agroécologiques et élaboré conjointement entre les trois niveaux de gouvernement et une représentation des centres agraires. Cette réactivation doit s’accompagner d’une justice sociale, c’est-à-dire que les bénéfices de la production ou de la croissance doivent être partagés équitablement entre le capital et le travail. Il est aujourd’hui urgent de se pencher sur le sort réservé aux campagnes, sans quoi davantage de personnes basculeront dans la pauvreté, et la souveraineté et la sécurité alimentaires des peuples seront lourdement compromises.
Une majorité de la population semble avoir oublié qu’aucune ville ne peut garantir la vie. La vie vient de la campagne, du sol qui produit la nourriture. Si notre terre nourricière sombre, l’humanité sombre.
Auteur.e
Veronica Carrillo Ortega
Promotora Nacional por la Suspensión del Pago de la Deuda Pública (México)
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