Rappelons que les projets de pipelines font face à une non acceptation sociale très forte des deux côtés de la frontière Canada - USA. Notamment le projet Keystone XL, qui devrait transporter le pétrole de l’Alberta au Texas. Puis, sur la côte ouest du Canada, une majorité incontestable de la population de la Colombie-Britannique (http://www.vancouverobserver.com/politics/new-poll-shows-60-percent-british-columbians-opposed-enbridge-northern-gateway-pipeline), ainsi que plus de 130 bandes autochtones, s’opposent au projet Northern Gateway d’Enbridge, qui transporterait le pétrole de l’Alberta jusqu’à Kitimat, sur la côte pacifique, en traversant « The Great Bear Forest », d’où des navires pétroliers l’achemineraient jusqu’en Asie.
Il y a plusieurs raisons majeures pour expliquer la vive opposition envers ces projets d’envergure. L’historique des déversements de pétrole des pipelines d’Enbridge est loin d’être glorieux, et les conséquences écologiques et environnementales de projets comme Keystone XL et Northern Gateway sont énormes. Alors, on se demande logiquement pourquoi le Québec ouvre grands les bras au projet de pipeline d’Enbridge.
Une fois ouverte la porte vers les États-Unis et l’Europe pour le pétrole issu des sables bitumineux, le prix du bitume pourra monter pour finalement atteindre celui du marché mondial. Le pétrole ne sera donc pas meilleur marché pour les Canadiens. Par contre, la production de sables bitumineux pourra tripler. Cette industrie, qui a déjà causé la destruction massive de forêts, empoisonné les cours d’eau entourant Fort McMurray, entraîné une hausse drastique des taux de cancers dans les communautés autochtones en aval de ces cours d’eau, et émettent des gaz à effet de serre en plus grandes quantités que de nombreux pays. Voilà de quoi se rend complice le gouvernement québécois en accueillant le projet d’Enbridge et apparemment le projet Énergie-Est de TransCanada.
Mais comme si cette nouvelle ne suffisait pas, on apprend ensuite que Gaspé, qui voulait protéger son eau potable, a perdu en première instance le procès intenté par Pétrolia, sans que le gouvernement ne lève un sourcil. Un précédent vient d’être créé, et si le jugement est hautement contesté après analyse, son message lui, ne peut être plus clair : les municipalités du Québec n’auraient pas le droit de protéger leur eau potable lorsque cela peut déranger l’industrie gazière et pétrolière.
Puis, la même semaine, une autre nouvelle choc : Pauline Marois annonce fièrement l’ouverture de la fosse aux lions à Anticosti – pire, on apprend que le PQ fait partie de la meute qui se lance dans la prospection pétrolière sur un des plus beaux joyaux du Québec !
Et cela, sans aucune consultation de la population d’Anticosti et de la population québécoise ; sans aucune étude environnementale, débat et préavis. Total effet surprise, comme on commence à y être habitué dans la belle province. Oh ! et un petit cadeau-surprise supplémentaire : c’est avec 115 millions de l’argent des Québécois qu’on va acheter le billet de loterie pour l’aventure ultra-risquée de la prospection de pétrole non conventionnel.
Les critiques sur cette décision précipitée pleuvent déjà au Québec, mais si la province elle-même est sous le choc, l’incrédulité, elle, vient d’aussi loin que de l’Alberta. Un analyste de l’industrie basé à Calgary a déclaré aux médias (http://www.cbc.ca/news/canada/montreal/anticosti-hunt-for-oil-sparks-concern-over-taxpayer-risk-1.2538677) qu’utiliser ainsi l’argent des contribuables pour forer du pétrole non conventionnel est un cas unique en Amérique du Nord ; d’autant plus – ce qui est encore plus surprenant – qu’il n’existe à Anticosti aucune infrastructure. Il décrit la décision du PQ comme étant un « gamble », puisque personne ne sait quelle quantité de pétrole serait récupérable.
Donc, on ne sait pas s’il y a du pétrole à Anticosti. Mais ce qu’on sait, c’est que pour aller vérifier, il faut faire de la fracturation hydraulique. Cela signifie injecter des tonnes de produits chimiques toxiques et cancérigènes dans le sous-sol, dont le benzène, le naphta et l’acide chlorhydrique concentré, ainsi que des quantités d’eau extraordinairement élevées. 40 % des produits chimiques injectés dans le sol sont généralement irrécupérables. Ils se répandront dans l’environnement, s’infiltreront dans les fissures créées par la fracturation, qui parfois se rendent jusqu’aux nappes phréatiques, et par ruissellement, se retrouveront éventuellement jusque dans le golfe du Saint-Laurent, donc dans la chaîne alimentaire et finalement dans notre assiette. La logique de notre première ministre : on peut oublier ces détails, car les redevances de ces projets enrichiront le Québec et on aura beaucoup d’argent pour soutenir les services de santé. Espérons que ses prévisions sont fondées, car en effet, on en aura bien besoin !
Et si ses prévisions ne se réalisent pas, on aura détruit une des plus belles îles du Québec pour rien du tout. On aura des répercussions écologiques et sanitaires irréparables qui s’échelonneront sur des décennies, on aura perdu 115 M$ de l’argent des contribuables, et quelques compagnies gazières et pétrolières se seront enrichies sur notre dos, grâce à leurs actions qui auront grimpé lors de la spéculation.
Le PQ semble complètement déconnecté de la réalité. Pauline Marois est partie en campagne pour tenter de transformer le Québec en Arabie Saoudite. Et ils ont l’audace de prétendre que cela concorde avec leurs promesses électorales de réduire les émissions de gaz à effet de serre et notre consommation de gaz et pétrole. Trouvez l’erreur.
Bien sûr, le golfe du Saint-Laurent (Old Harry) fait aussi partie de la stratégie du PQ sur le grand échiquier du pillage des ressources naturelles qu’est devenue notre province. C’est un autre projet controversé que Pauline Marois défend depuis des années, même quand elle était dans l’opposition. Elle proclamait que le Québec devait appuyer sur l’accélérateur pour aller forer dans le golfe. Elle prônait la version québécoise du « Drill, baby, drill ».
Même les pétrolières majeures ne se sont pas intéressées au golfe du Saint-Laurent, car il représente des investissements massifs et comporte des risques financiers énormes. Bien sûr, on ne parle même pas des risques environnementaux, qui sont indescriptibles dans une petite mer fermée, six fois plus petite que le golfe du Mexique, et recouverte de glaces en hiver. Mais ce n’est pas ce qui intéresse ces compagnies. Une seule chose leur importe : le profit financier et cela, à n’importe quel prix environnemental. On en a des milliers d’exemples à travers le monde. Et il semble qu’on ne puisse compter sur notre gouvernement pour la protection de notre environnement.
L’idée du forage dans le golfe va complètement à l’encontre des intérêts des industries de la pêche et du tourisme qui y sont établies et qui rapportent au Canada 7 milliards de dollars par année. Et ces bénéfices sont réels, ils ne sont pas hypothétiques comme ceux de la ruée vers le pétrole, une énergie du siècle dernier. Ces industries n’empoisonnent pas l’environnement et sont basées sur des ressources en principe renouvelables. Elles aident à faire vivre les résidents de cinq provinces canadiennes, tout en étant au centre de leur mode de vie. Pour les Québécois, elles mettent des produits de la mer dans leur assiette tout en leur donnant accès à des vacances à la mer.
À la question « pourquoi le gouvernement québécois se lance-t-il dans la prospection pétrolière ? » s’ajoute une autre question inquiétante : « pourquoi s’associe-t-il à des partenaires douteux tels que Pilatus, Maurel & Prom, dont les dirigeants ont été emprisonnés pour fraude ? » C’est une question qu’a posée Amir Khadir en Chambre à la première ministre. Cette dernière n’a pas commenté. Ce sont plutôt la ministre des Ressources naturelles et le ministre des Finances qui ont savamment détourné la question, et n’y ont jamais répondu. Cela en dit long.
Bref, les nouvelles récentes au Québec ne sont pas gaies. La direction que prend le gouvernement québécois en ce qui concerne l’énergie et les ressources naturelles est pour le moins très inquiétante : on se lance dans une industrie à haut risque, telle la prospection de pétrole non conventionnel sur une île qui devrait être protégée par l’UNESCO pour sa faune et sa flore uniques et jusqu’ici préservées ; on ouvre grandes les portes du Québec au pipeline d’Enbridge ; on laisse les municipalités québécoises qui veulent protéger leur eau potable dans les limbes d’un système juridique inapproprié encore basé sur la préhistorique Loi sur les mines. C’est tout à fait irresponsable, inacceptable. Ce plan dément aura des répercussions néfastes pour des années à venir. C’est un suicide collectif pour le Québec, rien de moins.
Mélanie Gauthier
Îles-de-la-Madeleine