Édition du 12 novembre 2024

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Québec

Les réformes Barrette : la contre révolution tranquille

La démarche du gouvernement Couillard en matière de distribution des soins de santé et de gestion de l’assurance maladie peut laisser pantois-e au premier regard mais insuffle un sentiment angoissant au fur et à mesure qu’elle se déploie.
Le super ministre, ex-négociateur en chef d’une des fédérations de médecins, était parti au pas de charge pour, soit-disant, remettre le système en ordre et tout le monde à sa place. Ce plat qui n’avait rien de rassurant s’accompagnait de la concrétisation de la promesse que tous les malades auraient leur médecin de famille dans un délai raisonnable et que les coûts diminueraient. Bien sûr, les coupes budgétaires accompagnaient l’opération.

À quoi à aboutit, pour le moment, cette année de pouvoir au ministère de la santé et des services sociaux ?

J’avance que c’est le pouvoir médical qui en ressort grand gagnant. L’establisment médical a bien su tirer son épingle du jeu et là où il a fait de timides concessions il a récolté des avantages majeurs qui seront difficiles à remettre en question dans l’avenir.

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, (FMOQ) a consenti et travaillé à ce que ses membres s’organisent pour pouvoir inscrire plus de patients-es dans leurs cliniques et cabinets. J’ai bien dit : inscrire ! Au point de départ, il ne s’agissait que de cela. Il y a eu des réactions immédiates d’indignation. Devant cette levée de bouclier, la Fédération et le ministre ont rajusté le tir et assuré que les inscrits-es devaient, pour le rester, être vus-es au moins une fois dans l’année. OUF !

Quasi immédiatement après, nous apprenons que cette concession est accompagnée d’une prime variable selon la gravité de l’état de santé des personnes. C’est le retour de la prime Bolduc ! Une prime à l’inscription et une promesse d’une consultation dans l’année…..Qui gagne à ce jeu de loterie truqué ? C’est une mesure parmi d’autres qui devaient se financer à même les enveloppes prévues, donc à coût nul. M. Barrette ne cessait de le répéter. Pourtant, lors d’une entrevue à RDI à la fin de l’hiver, le président de la FMOQ a bien dû admettre que si ses membres voyaient quelques milliers de patients-es de plus, les coûts s’ajouteraient obligatoirement, ce qui tombe sous le sens.

Toutes les cliniques, tous les cabinets et donc les Groupes de médecine familiale (GMF) sont touchés par cette mesure. Quelle est donc cette invention d’un gouvernement antérieur, l’un ou l’autre des gouvernements Charest si je ne m’abuse ?

Il s’agit d’un groupe de médecins omnipraticiens qui assurent collectivement la prise en charge d’un certain nombre de patients-es. Ils s’adjoignent des infirmières, dans certains cas des infirmières praticiennes. Les coûts administratifs sont à leur charge. La mise en place d’un tel groupe se fait par contrat avec le ministère. On a récemment découvert que les exigences ne sont pas uniformes loin de là. Ceux et celles qui sont assez avancés-es en âge et ont de la mémoire se rappelleront que peu de temps après la création de ces groupes, les médecins concernés-es ont demandé de l’aide financière pour assumer leurs dépenses en équipement et administratives ; ce qui leur a été accordé en partie. Théoriquement, la variété du personnel traitant devait dépasser les seuls médecins et infirmières pour travailler sur une base multidisciplinaire. C’est rarement le cas.

Or, n’existe-t-il pas une institution qui comporte toutes ces caractéristiques ? Bien sûr, les CLSC ! Ils ont été boycottés par les médecins parce que la rémunération se fait à la vacation et non à l’acte et parce que la direction des équipes ne leur était pas confiée d’office. Encore moins celle de l’institution. Les gouvernements successifs ont donc fini par financer une organisation de soins privée et qui ne peut pas offrir la variété d’interventions requises par la complexité des problèmes de santé actuels. La dernière entente avec la FMOQ loin de remettre cela en question renforce ce type d’organisation.

En plus, la création de super cliniques dites « réseau » est annoncée. Elles devraient desservir les populations de territoires plus vastes que les GMF et dispenser des services plus spécialisés tel que des examens de laboratoire, des chirurgies mineures, de la radiologie etc.

Autre aboutissement de ce programme : la sécurisation des coûts pour les frais complémentaires.

La semaine dernière, le ministre Barrette annonçait avec assurance que l’entente avec la FMOQ consacrait l’existence de frais complémentaires à payer par les patients-es dans les cliniques spécialisées.

Il était de notoriété publique que dans ces cliniques les patients-es devaient payer pour divers produits et services liés à leurs soins. Toutes sortes d’histoires ont fait les manchettes des journaux dont des frais exigés pour l’ouverture du dossier. La SAAQ est intervenue à diverses reprises pour faire corriger des situations carrément inacceptables et surtout illégales. Dans son annonce le ministre se glorifie et tente de faire passer la pilule en insistant sur l’encadrement qui sera exercé sur la facturation de ces frais complémentaires qui seront obligatoirement maintenus au prix coûtant…..+ 10% à 15% de profit ! Sur les ondes de la radio de Radio-Canada à Montréal, il interpellait le journaliste qui menait l’entrevue en lui disant : « Si jusqu’ici une intervention ou le matériel qu’elle exige était facturée 250$ et qu’au prix coutant ce sera 100$ + le 10% ou 15%, n’est-ce pas une amélioration…. » ? (Je rapporte ces propos de mémoire. (A.C.) Le journaliste lui a demandé s’il ne s’agissait pas d’admettre que nous sommes dans une médecine à deux vitesses. Ce que M. Barrette a candidement admis en demandant s’il y avait quelqu’un qui ne savait pas déjà cela.

Le journaliste a aussi souligné que ces frais complémentaires ou accessoires sont souvent réclamés pour des soins médicalement requis assujettis à la loi sur l’assurance maladie. M. Barrette a repoussé cette remarque du revers de la main.
C’est donc dire que M. Barrette et le gouvernement Couillard, du haut de leur majorité ou de leur arrogance s’autorisent à enfreindre la loi, sans autre forme de procès. Pas de débat ouvert où que ce soit, surtout pas à l’Assemblée nationale. Et c’est fait pour consolider la part des soins qui glisse vers le privé... Et l’augmenter ?

L’argument définitif du ministre c’est de dire que les coffres de l’État ne peuvent pas absorber les dépenses que ces frais représentent. Il les situe à 52 millions de dollars. Et il estime que si son prédécesseur péquiste n’a rien fait à ce chapitre, c’est qu’il avait constaté que l’argent public manquait. CQFD : les fonds publics ne peuvent payer ces frais ? On les refilent aux utilisateurs-trices car, parait-il, personne n’accepterait une augmentation d’impôt pour faire face à cette dépense. Que quelqu’un-e nous explique comment une dépense distribuée sur des milliers de contribuables, requérants-es de soins ou non, est plus difficile à absorber que ce qu’elle va représenter pour les individus en besoin de soins ? La réponse ne peut être que politique. Ce gouvernement est décidé à réduire la part de l’État dans les programmes quels qu’ils soient, santé y compris : renvoyons les individus à leur situation objective et privatisons !

Conclusion

L’organisation actuelle de la distribution des soins au Québec est abandonnée aux mains des médecins et les dernières négociations n’ont fait que consolider cet état de fait. Ce n’est pas seulement leur rémunération qui se maintient et devrait même augmenter, c’est leur pouvoir qui se durcit. Leur statut ne change pas : ce sont des entrepreneurs privés ! Ils négocient leur encadrement avec l’État mais n’en demeurent pas moins des entrepreneurs privés.

Le gouvernement s’est répandu sur ses objectifs : que les soins de santé coûtent moins cher, soient distribués plus efficacement et avec plus d’efficience. Or, un des éléments fondamentaux pour atteindre ces objectifs est de changer le mode de paiement des médecins et de les faire passer au salariat. Même M. Castonguay, père de l’assurance maladie du Québec, a fait ce constat il y a quelques mois sur les ondes de RDI à l’émission 24-60. On a entendu M. le ministre Barrette prendre en exemple le système américain Keyser pour son efficacité, son efficience et le contrôle de ses coûts. Il s’est bien gardé de dire que les médecins y sont salariés, ce que nous avons appris dans un reportage ultérieur.

Les dernières négociations ont donc consolidé ce système et font porter le poids des conséquences aux travailleurs-euses des institutions, des cliniques où personne n’est syndiqué à ma connaissance et à la population dont la plus démunie. Ceux et celles qui ont des assurances complémentaires ont tendance à accepter d’avoir à payer sous toutes sortes de prétextes. Mais ceux et celles qui n’en ont pas et ne peuvent se le permettre ou en seraient rejetés-es de toute façon, devront se passer de certains soins requis et voir leurs droits bafoués. Pour que les propriétaires des cliniques puissent couvrir leurs frais et même faire…..un peu de profit ! Sans pour autant que la loi soit modifiée !!

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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