25 octobre 2022 | tiré du site pivot.quebec
La majorité des habitant·es de la planète contrôlent suffisamment leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, mais leurs efforts sont contrecarrés par les agissements des plus riches. C’est ce que montre uneétude récemment publiée dans la revue scientifique Nature sustainability par Lucas Chancel, économiste et chercheur au Laboratoire sur les inégalités mondiales.
L’étude montre d’abord que les émissions individuelles sont inégalement réparties entre une minorité de grands émetteurs et une majorité de personnes responsables de bien moins de gaz à effet de serre. Elle établit ensuite un lien fort entre le niveau de richesse des individus et leur niveau d’émission. Ainsi, selon les calculs de Lucas Chancel, les plus gros pollueurs correspondraient approximativement aux plus riches, et les plus petits émetteurs, aux moins nanti·es.
La pollution grandissante des riches menace les objectifs climatiques
D’après l’étude, une personne moyenne devra émettre un maximum annuel de 1,9 tonne de CO2 pour réaliser nos objectifs climatiques d’ici 2050. En 2019, la moitié de la population mondiale qui émettait le moins de GES, correspondant aussi aux personnes les moins nanties, avait déjà un niveau d’émission conforme à l’objectif, soit 1,4 tonne de CO2 par tête.
Dans la tranche des 40 % au-dessus, qui correspond plus ou moins à la classe moyenne, chaque personne génère actuellement 6,1 tonnes de CO2 en moyenne chaque année, soit trois fois plus que la cible. Mais cette part de la population, qui est la seule dont les émissions ont décliné depuis 1990, serait sur la bonne voie pour atteindre l’objectif, selon l’étude.
Toutefois, pour le 10 % de la population mondiale qui émet le plus de GES, chaque personne est responsable de 28,7 tonnes de CO2 annuellement. Et le bilan s’élève à 101 tonnes par individu si l’on observe seulement le 1 % des plus grands émetteurs de la planète, correspondant essentiellement à ceux qui ont les plus grandes fortunes : c’est 50 fois de GES plus que ce qui serait souhaitable.
« Non seulement les plus riches ne font clairement pas leur part, mais ils ont une responsabilité grandissante des émissions », remarque Patrick Bonin, responsable de campagne chez Greenpeace Canada.
Malgré leur faible nombre, les 10 % des plus gros émetteurs sont ainsi responsables de près de la moitié des émissions globales pour l’année de 2019 (48 %). Et la situation ne semble pas en voie de s’améliorer : ils sont aussi responsables à eux seuls de la moitié de la croissance des émissions entre 1990 et 2019 (47 %), d’après l’analyse.
De plus, 16,9 % des émissions proviennent des agissements du 1 % de la population mondiale correspondant principalement aux ultrariches.
L’étude établit un lien fort entre le niveau de richesse des individus et leur niveau d’émission.
Le poids climatique des investissements
Ces résultats concordent avec ceux d’un rapport antérieur d’Oxfam qui soulignait le lien entre le niveau de richesse et le niveau d’émission de GES. Ces constats illustrent l’importance de s’attaquer à l’empreinte carbone des investissements financiers, remarque Virginie Gagnon, agente principale aux campagnes d’Oxfam Québec.
En effet, bien que le mode de vie des ultrariches soit beaucoup plus énergivore en moyenne que celui du reste de la population, les sept dixièmes de l’empreinte carbone du 1 % seraient attribuables à leurs investissements, selon les données publiées dans Nature sustainability.
Cet impact s’explique particulièrement parce queles riches ont beaucoup plus d’argent à investir, mais nous gagnerions tou·tes à considérer l’impact climatique de nos économies confiées aux institutions financières, explique Virginie Gagnon.
« Le poids carbone des investissements est vraiment un angle mort de la lutte aux changements climatiques, du moins au Canada. Nous n’y pensons pas souvent, mais une partie des grands projets polluants sont financés par les banques à travers nos fonds de pension, nos REÉR, nos hypothèques et notre épargne », souligne-t-elle.
La part des émissions de GES attribuable aux investissements augmente progressivement depuis 1990, alors que celle liée à la consommation des ménages et aux dépenses gouvernementales diminue.
« Le poids carbone des investissements est vraiment un angle mort de la lutte aux changements climatiques. »
Selon un récent rapport d’Oxfam, les investissements gérés par les huit plus grandes institutions de dépôt du Canada (banques et caisse populaire) seraient ainsi responsables de l’émission de 1,9 milliard de tonnes d’équivalent CO2, soit 2,5 fois plus que l’ensemble des émissions attribuables au Canada pris dans son ensemble et 23 fois celles du Québec.
« Ces investissements ont des impacts ici et au-delà de nos frontières et une portée qui va bien au-delà du carbone : ça peut aussi entrainer des déplacements de population et de la déforestation par exemple », ajoute Virginie Gagnon.
Un manque de transparence
Elle rappelle que les grandes institutions bancaires canadiennes ont toutes signé des accords internationaux, dont la Net Zero Asset Owner Alliance qui les engage à devenir plus transparentes sur leurs émissions et à réduire à zéro le poids carbone de leurs portefeuilles d’investissement d’ici 2050. Toutefois, leurs agissements sont loin de laisser croire que les banques comptent réellement atteindre ces objectifs, rappelle-t-elle.
« Même les fonds “verts” sont souvent très polluants. On ne peut plus laisser les banques agir sur une base volontaire, il faut que le gouvernement intervienne pour exiger plus de transparence et des critères stricts et clairs sur ce qui peut être considéré comme un fond vert », souligne Virginie Gagnon. Un diagnostic partagé par Patrick Bonin, de Greenpeace Canada.
Mieux cibler la réglementation
Patrick Bonin souligne aussi l’importance de revoir la façon dont on taxe les GES pour qu’elle soit plus dissuasive pour les plus riches, sans trop nuire aux personnes avec moins de moyens. L’étude publiée dans Nature sustainability concluait justement que « les taxes carbone créent un fardeau disproportionné sur les personnes à faible revenu, qui sont celles qui émettent le moins, mais sont trop basses pour changer les habitudes de consommation et d’investissement des plus riches ».
« Toute une série de mesures peut être mise en place pour s’attaquer aux émissions des plus riches, comme interdire les vols privés ou très fréquents, taxer les biens de luxes ou les maisons de grandeur démesurée », illustre Patrick Bonin
« Les taxes carbone sont trop basses pour changer les habitudes des plus riches. »
Pour Virginie Gagnon, les plus riches et ceux qui détiennent le pouvoir financier doivent non seulement couper le robinet des émissions de GES, mais soutenir la transition et l’adaptation des autres.
« Nous sommes vraiment dans une économie où le pouvoir et la richesse sont concentrés et ne répondent pas aux besoins de la planète et des communautés. En même temps, ça donne l’occasion d’avoir un très grand impact avec des mesures très ciblées sur les riches et les banques », résume-t-elle
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