Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Les engagements concernant l’urgence climatique et la transition écologique doivent être le fil à plomb de la plateforme électorale 2022 de Québec solidaire

La Commission politique, le Comité de coordination national et le Comité électoral national de Québec solidaire viennent de soumettre à la discussion un projet de plateforme électorale pour les prochaines élections québécoises en 2022. La centaine d’engagements que contient ce projet réunis sous une vingtaine de thèmes tentent d’offrir des réponses aux problèmes qui assaillent la société québécoise. Ces engagements sont souvent peu concrets et très généraux. Ils nécessiteront d’être précisés afin de traduire les aspirations de la majorité laborieuse. Un chantier est donc ouvert d’élaboration d’amendements et de nouvelles propositions.

La description de la proposition au début de la plateforme prétend vouloir répondre à la conjoncture actuelle, mais aucune analyse n’est présentée de la crise climatique et de ses fondements. Contrairement à l’affirmation selon laquelle que « l’intention de la plateforme (soit) de proposer aux Québécoises et Québécois une relance, juste, verte et solidaire visant la transition écologique », cette intention ne structure en rien les engagements mis de l’avant dans la Cahier de propositions. [1].

Une analyse de la conjoncture aurait permis de sélectionner des engagements précis les plus mobilisateurs afin de faire de la plateforme une boussole dans les luttes qu’il faudra mener pour parvenir à opérer une véritable bifurcation de la société dans le sens de la lutte aux changements climatiques et de la transition écologique.

D’autres dimensions de la plate-forme électorale mérite d’être pris en considération à la lumière de la conjoncture et des débats qui traversent la société québécoise : la pandémie et les nécessaires réinvestissements pour la défense des services publics ; les revendications des peuples autochtones et la décolonisation, le racisme systémique et la dénégation du gouvernement de la CAQ de sa réalité, la montée de la violence faite aux femmes avec les féminicides qui connaissent une hausse épouvantable, l’avenir du projet indépendantiste face à un État fédéral centralisateur… Mais la plateforme ne permet pas de comprendre le caractère systémique des défis qui confrontent la société québécoise et d’offrir un projet politique répondant à une telle situation. Et nous reviendrons sur ces différents problématiques et les rapports entre la transition écologique et le travail du care.

Mais il reste que c’est l’urgence climatique et la transition écologique qui devrait constituer le fil à plomb des propositions de la plateforme électorale. Ce sont ces dimensions et que nous voulons dans un premier temps aborder. Une réelle prise en compte de cette priorité, dont le chef parlementaire Gabriel Nadeau-Dubois a rappelé la centralité aurait permis de dépasser le caractère éclaté de la plateforme proposée en lui fournissant une cohérence et un caractère mobilisateur.

Nécessité de préciser les engagements de la lutte contre la crise climatique et la transition écologique.

Québec solidaire « s’engage à adopter une Loi sur le climat pour réduire d’au moins 45% les gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990, d’ici 2030 en vue d’atteindre la carboneutralité au plus tard en 2050 ».  [2]

« Pour lutter contre les changements climatiques, Québec solidaire s’engage à adopter une Loi sur le climat pour réduire e 45% des GES par rapport au niveau de 1990, d’ici 2030, en vue d’atteindre la carboneutralité au plus tard en 2050 ». Cette cible est en deçà de ce qui est proposé par les pays de l’Union Européenne (55%) et par le gouvernement des États-Unis (50%). Le Réseau Action Climat Canada, le Parti vert du Canada proposent une réduction de 60% pour 2030. Dans la discussion autour de ce projet de plateforme, la Commission environnement de Québec solidaire a proposé une réduction de 65%. La cible de 45% n’est pas à la hauteur de l’urgence climatique et de la radicalité des politiques à mettre en place.

La plateforme proposée suggère de « mettre en place des mesures d’écofiscalité visant à faire payer aux grands pollueurs la réparation des dommages causés par leurs activités économiques. » Mais ces mesures d’écofiscalité ne sont pas précisées.

On semble se contenter de contraintes fiscales sur les grands pollueurs au lieu d’expliquer que la baisse des émissions des gaz à effet de serre passera par
• des conversions majeures du système productif, :
• la primauté et la généralisation des énergies renouvelables,
• le dépérissement de l’autosolo comme moyen de transport privilégié et le transport public et collectif comme principal moyen de mobilité,
• la multiplication des initiatives visant l’économie d’énergie,
• la transformation d’une agriculture industrielle agro-exportatrice vers une agriculture écologique de proximité
• la fin de l’obsolescence planifié et l’introduction de la durabilité et de la qualité des produits industriels,
• le développement de l’économie des circuits courts,
• la démocratisation de la prise de décisions dans les entreprises comme dans les services publics,
• et la sobriété dans l’utilisation des ressources qui passent par l’élimination des productions inutiles et la rupture avec la surconsommation. .

Voilà un fil à plomb qui définit un projet de société nécessaire pour faire face à la crise climatique et pour opérer une véritable transition énergétique.

Les engagements sur les transports publics vont dans le bon sens : « Nous ferons du transport public (tramways, trains, autobus électriques, le centre de la transformations des moyens de transport, en ville et en région, et confierons à des entreprises publiques ce virage. » [3] Le développement planifié des industries productrices de matériel roulant sera un des chantiers majeurs de la transition écologique et la source de la création d’emplois verts. La plateforme propose de réduire la dépendance à l’autosolo. Là aussi, c’est une orientation essentielle. La réduction du parc automobile et le passage au transport public et actif comme mode de transport généralisé est une base essentielle d’une véritable transition écologique car elle implique la diminution de l’exploitation des ressources et la diminution de la consommation d’énergies.

Mais, des engagements laissent dans l’ombre les moyens de réalisation de ce qui est proposé. Un exemple : « Pour réaliser la transition énergétique, Québec solidaire s’engage à accélérer la fin de l’utilisation des sources énergétiques non renouvelables. .. » [4] Et l’on spécifie que l’exploitation des hydrocarbures sera interdite. Mais rien n’est dit sur le développement des énergies renouvelables. Aujourd’hui, le développement des énergies renouvelables se fait en bonne partie à l’initiative des entreprises privées allant par là à l’encontre du caractère public de la production de l’énergie que la nationalisation de l’électricité avait établi. La nationalisation/socialisation avec contrôle régional de l’ensemble des industries éoliennes, solaires et autres serait un pas essentiell pour en finir avec le contrôle privé de la production énergétique au Québec et une suite nécessaire à la nationalisation de l’hydro-électricité. Ces nationalisations/socialisations des énergies renouvelables permettraient une planification écologique de la production des énergies renouvelables et de décentraliser leur gestion à l’échelle des régions.

La plate-forme ne soulève en aucun moment le financement de la transition en temps d’urgence climatique. Cette transition, à moins de croire que l’entreprise capitaliste pourrait en être le moteur, et qu’une écofiscalité suffirait à financer cette transition, implique deux orientations majeures : la mise en place d’une banque de la transition pour rester dans le cadre du programme de Québec solidaire. Mais ce financement nécessiterait aussi la socialisation du secteur bancaire et des assurances pour en faire un service public.

Soutenir l’action communautaire et diversifier les économies régionales : une proposition qui tait les conditions de sa réalisation.

Que signifie mettre « en place un nouveau contrat social encadrant l’exploitation et la transformation des ressources régionales » ? Pour protéger les ressources naturelles, pour développer la sobriété dans l’utilisation des ressources, peut-on laisser à des grandes entreprises monopolistes du secteur minier et du secteur forestier le contrôle de l’exploitation de ces ressources. La nationalisation/socialisation des grandes entreprises qui exploitent ces ressources sera nécessaire à une véritable planification de l’utilisation démocratique des ressources naturelles. À l’heure du tournant vers la révolution numérique, un nouvel extractivisme dans les métaux rares est en train de s’imposer. Le tournant actuel vers le numérique conduira à l’exacerbation de l’obsolescence planifiée des ordinateurs, des tablettes et autres téléphones intelligents, à la généralisation de la technologie 5G et des objets connectés, source de gaspillage inutile des ressources naturelles et de production de GES. Que la proposition 13, intitulée « Mettre le numérique au service du bien commun » n’aborde nullement cette problématique est un exemple d’un manque de fil à plomb mentionné avec la transition écologique et la lutte aux changements climatiques. [5]

Parler de renégocier les traités de libre-échange, c’est en rien préciser ce qui relèverait du bien commun. [6] Il faut instaurer un protectionnisme solidaire. Les traités de libre-échange négociés jusqu’ici vont à l’encontre des politiques publiques qui pourraient nuire aux affaires des multinationales. Les productions nationale, régionale et locale doivent être protégées des prétentions des multinationales à imposer le contrôle sur des secteurs entiers de notrel’économie. Il faut donc chercher à relocaliser d’urgence les productions essentielles (médicaments, matériel médical, alimentation, et ensemble des productions liées à la transition). Pour les accords commerciaux, il faut exiger le respect des normes sociales et écologiques des produits importés au Québec. La sortie du CETA – traité de libre-échange avec l’Europe – est exemplaire à cet égard.

Nourrir Québec avec des aliments sains, accessibles et locaux , en respectant l’environnement. [7]

Les engagements proposés en agriculture sont essentiels : soutien à une agriculture biologique et écologique de proximité, augmentation d’aliments locaux, neutralité dans le bilan de GES et diminution de l’utilisation des pesticides. [8] Mais les obstacles qui se dressent sur ce chemin et les engagements permettant de les dépasser ne sont pas clairement identifiés.

Il faudrait rappeler que la rupture avec une agriculture d’élevage intensif centrée sur l’exportation et la production carnée n’est pas envisagée explicitement. Pourtant, elle est responsable « de 9,8% des émissions de gaz à effet de serre du Québec en 2017 (4e secteur émetteur) » [Gouvernement du Québec, [9]. Ce type d’agriculture constitue une impasse écologique : Elle est responsable de pollutions multiples, de fortes émissions de gaz à effet de serre, de contamination des sols par l’usage de pesticides et d’engrais azotés, « Les fournisseurs de fertilisants, de produits chimiques, d’énergies fossiles et de machineries, de même que les institutions financières, sont devenus les principaux bénéficiaires de la richesse créée par le secteur agricole » et tout cela aux dépens des producteurs et productrices agricoles. Cette agriculture tournée vers l’exportation a conduit à la situation où « seulement 33% du contenu de notre assiette provient du Québec » . [10]

La transition vers l’agroécologie passera par la fin de la domination des grands semenciers et des entreprises de l’agrochimie. Il n’y aura pas de passage à une agriculture de proximité qu’à partir des mobilisations actuelles contre les usages d’OGM, de pesticides, contre les pressions à la baisse sur les prix des produits des fermes, sans une réorientation vers des productions vivrières diversifiées tournées vers les marchés locaux et nationaux. C’est une telle perspective qu’un véritable plan de lutte aux changements climatiques devrait viser.

Humaniser le travail dans le cadre de la transition écologique

Humaniser le travail en période de lutte aux changements climatiques et de transition écologique nécessitera de faire de la justice climatique une préoccupation centrale. Les transitions, reconversions et fermetures de certains secteurs économiques nécessiteront un soutien aux travailleurs et travailleuses pour qu’ils n’aient pas à porter sur leurs épaules le poids de ces transformations. Les travailleurs et les travailleuses sont donc en première ligne des nouveaux risques créés par le réchauffement climatique. La crise climatique ne peut être affrontée qu’avec l’engagement croissant des travailleurs et des collectivités. La mobilisation de leurs expertises est incontournable. [11] Il s’agit de mettre de l’avant des propositions visant à faciliter la mobilisation des travailleurs et travailleuses dans la lutte pour la transition écologique. Cela implique de faciliter la syndicalisation, d’aider à leur formation continue et de réduire la charge et le temps de travail pour permettre leur nécessaire implication dans cette lutte.

Fonder le pays du Québec et la nécessaire rupture avec l’État pétrolier canadien

La Plateforme électorale 2022 [12] rappelle l’essentiel de la démarche du programme de Québec solidaire face à l’indépendance mais aucun lien n’est fait entre l’urgence climatique, la transition écologique et la nécessité de rompre avec l’État pétrolier canadien. Il n’y a rien non plus sur sur la nécessité d’une alliance avec les mouvements ouvrier, populaire et féministe qui font de l’urgence climatique une dimension de leur combat et la perspective indépendantiste comme la rupture avec la domination du capital fossile que la classe politique continue de soutenir. …. La lutte pour l’indépendance est essentielle pour pouvoir prendre toutes les décisions qui seront nécessaire à une véritable transition écologique et notamment pour pouvoir créer les instruments pour financer la transition. Les alliances qu’il faudra nouer avec le mouvement ouvrier canadien et les mouvements écologistes qui se battent également contre l’État pétrolier canadien peuvent jeter des bases de la compréhension du caractère émancipateur de la lutte pour l’indépendance. Tout un travail de clarification du lien entre l’indépendance et la transition écologique se doit d’être réalisé.

Faire du Québec un leader en solidarité internationale et une terre d’accueil ouvert sur le monde dans cette période de crise climatique planétaire

Cette proposition [13] établit des liens entre la lutte aux changements climatiques et la solidarité internationale. L’engagement qui vise à faire du Québec un sanctuaire et une véritable terre d’accueil éclaire ce que doit être une politique de solidarité internationale à cette époque de crise climatique et de transition. L’engagement qui vise à modifier la mission de la diplomatie québécoise pour sortir de la logique marchande afin de défendre la lutte aux changements climatiques et à l’évasion fiscale, la démocratie, les droits humains ainsi que l’accès aux vaccins tant que la pandémie perdurera » pointe les véritables enjeux. [14]

Mais cette solidarité doit également, tenir compte de la dette écologique d’un pays riche comme le Québec et celle-ci devrait être payée par des transferts technologiques vers les pays en développement. Il faut que la solidarité internationale vise à aider les peuples de la terre à faire face aux problèmes posés par la crise climatique.

La crise climatique crée un contexte de guerre généralisée et permanente. La lutte pour la paix devient une tâche centrale pour favoriser l’émergence d’une communauté politique globale. Il faut reconstruire le mouvement antiguerre, car la guerre tend à être un quotidien banalisé. Cette construction passe par la lutte contre la production d’armements et la reconversion de ce type d’entreprises, par la diminution radicale des budgets de la défense et leur transfert de ces budgets vers la transition énergétique, par la fin de la recherche pour produire des armes de destruction massive. Elle passe par le refus de la participation des armées impérialistes au guerres de prédation qui nourrissent un racisme endémique cherchant à transformer les migrants en ennemi de l’intérieur. [15].

La plateforme électorale 2021 proposée à la discussion dans Québec solidaire ouvre nombre de pistes intéressantes. Mais ces dernières appellent à être précisées et être articulées pour « proposer aux Québécoises et Québécois une relance juste, verte et solidaires visant la transition écologique. » [16] , soit un véritable projet de société. La discussion devrait permettre d’avancer dans cette voie. Souhaitons que les quelques pistes de réflexion présentées dans ce texte puissent y contribuer.


[115e congrès, 19-21 novembre 2022, Cahier de propositions, 10 septembre 2021

[2Proposition 1. Lutter contre la crise climatique et respecter les limites écologiques du territoire et de la planète, 1.1 =, p.3

[3Plateforme électorale, 1.2, p. 3

[4Plateforme électorale 2022, engagement 1,3] p.4

[5¨Plateforme électorale 2022, Proposition 13, p. 12

[6Plateforme 2022, 2,5, p 5

[7Plateforme électorale 2022, p. 5

[8Plateforme électorale 2022, 3,1, p.5

[9Plan pour une économie verte 2020, page 57

[10Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité – Version 2.0

[11Jeremy Andernson, « Défendre et transformer : mobiliser les travailleurs et travailleuses pour la justice climatique », 14 septembre 2021, Presse-toi à gauche

[12Plate-forme 2022, Fonder l’économie du Québec, p.16

[13¨Plateforme électorale 2022, 20, p. 16

[14Plateforme électorale 2022, proposition 20, p. 16

[15Bernard Rioux, La lutte pour l’émancipation en temps de crise écologique, Nouveaux Cahiers du socialisme, no, 24, automne 2020, p .205

[16Plateforme électorale, 2022, p. 2

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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