Édition du 17 décembre 2024

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Le blogue de Donald Cuccioletta : La Gauche américaine en 2020 : Stratégies et perspectives

Les employé-e-s d’Amazon en Alabama ont perdu le vote

À la surprise de plusieurs au sein de la gauche socialiste et dans le mouvement syndical, les employé-e-es à l’usine d’Amazon à Bessemer en Alabama ont perdu leur vote pour se syndiquer. Cette lutte a fait la une dans l’ensemble des publications progressistes et socialistes, elle a soulevé l’enthousiasme de la base du mouvement syndical et elle a énergisé le mouvement ouvrier. Il n’y avait pas une journée sans que la revue « Labor Notes » n’e publie un article qui suivait et qui encourageait la lutte menée par les 5800 travailleurs et travailleuses à Bessemer. 92 % d’entre eux et d’entre elles sont afro-américains et afro-américaines. Non seulement cette lutte était devenue un symbole du renouveau du syndicalisme combatif aux États-Unis, mais elle s’insérait aussi dans la lutte contre le racisme à Bessemer et plus largement dans l’État de l’Alabama.

Les 5800 travailleurs et travailleuses avaient ciblé la compagnie Amazon, reconnue comme étant la plus antisyndicale aux États-Unis, et aussi l’État de l’Alabama, reconnu historiquement comme l’État américain le plus antisyndical. En somme, une bataille sur deux fronts. C’est pourquoi l’ensemble des travailleurs et travailleuses, syndiqué-e-s et non syndiqué-e-s, regardaient avec beaucoup d’espoir une victoire contre Amazon et son propriétaire, nul autre que Jeff Bezos. Bezos était fier de nous dire qu’il avait fait 80 milliards durant la pandémie. Il a même dit que la pandémie était profitable. Regardez les chiffres de la bourse de New York.

Il faut rappeler que les conditions de travail et les bas salaires rendent la journée de travail très difficile pour les employé-e-s d’Amazon à Bessemer. Un entrepôt avec la superficie de quatre terrains de football n’a que deux toilettes pour les travailleurs et travailleuses. Les contremaîtres vérifient le travail fait par les employé-e-s comme des gardiens de prison, avec une atmosphère de surveillance constante et de suspicion, visant à briser toute forme de revendication et de révolte. Des conditions semblables à celles dans les usines industrielles de Chicago au siècle dernier, qui ont été très bien décrites dans le roman « La jungle » de Sinclair Lewis.

Amazon et Jeff Bezos ont investi vingt-cinq millions pour briser le vote. Bezos a même convaincu le service américain des postes de placer une boîte de scrutin dans l’usine, devant les bureaux des contremaîtres, dont les regards intimidants ont contribué à une politique de peur afin d’influencer le vote. Le Président Joe Biden a dit qu’il était d’accord pour une syndicalisation, pour se protéger d’avance face à d’éventuelles critiques.

Mais Biden, mieux que n’importe qui, savait que ce vote était local, donc influencé par la politique locale. Le Président s’est donc dit d’accord, mais le Parti démocrate de l’État de l’Alabama, qui a bénéficié de la générosité de Jeff Bezos avec l’ouverture de cet entrepôt, s’est ingéré dans le vote, en disant aux travailleurs et aux travailleuses qu’ils et elles n’avaient pas besoin d’un syndicat parce que le Parti démocrate prendrait soin d’eux et elles. C’est le même discours manipulateur que le Parti démocrate a utilisé au cours des dernières décennies pour s’arroger le vote de la communauté afro-américaine. Le Parti démocrate en Alabama a tout fait pour convaincre les travailleurs et les travailleuses avec son discours hypocrite qui visait à faire perdre le vote.

Avec cette campagne de peur et cette traîtrise du Parti démocrate en Alabama, seulement 3215 employé-e-s sur les 5800 ont voté pour déterminer si la « Retail Wholesale and Departement Store Unions » (RWDSU) allait les représenter. Il y a eu 505 votes contestés par Amazon, et l’éventuelle issue du vote (1798 votes pour le non et 738 votes pour le oui) cède la victoire à Amazon. Certes, le syndicat va contester les résultats, mais la déception demeure très grande.

En dépit de cette déception, les travailleurs et les travailleuses dans les autres entrepôts d’Amazon à travers les États-Unis continuent à lutter pour un syndicat. À Chicago, les travailleurs et les travailleuses dans un entrepôt d’Amazon appelé DIL3 ont débrayé contre l’imposition de nouveaux quarts de nuit de 1h20 à 11h50.
Nous avons mentionné dans quelques blogues antérieurs qu’il faut que la gauche socialiste, avec ses allié-e-s progressistes et la victoire des 45 élu-e-s en 2020, s’attende à ce que la route devienne plus dure et sinueuse dans l’avenir. La bourgeoisie et ses supporteurs au sein de la classe politique commencent à mener la lutte contre la gauche avec tous les moyens à leur disposition. La lutte des classes aux États-Unis, comme en témoigne Howard Zinn dans son livre « Histoire populaire des États-Unis », a toujours été très difficile, surtout que l’hégémonie de l’Empire est actuellement en déclin, et il frappe donc plus fort.

La victoire d’Amazon et les tactiques employées ne sont pas passées inaperçues parmi la gang à Bezos. Les autres vont apprendre de cette expérience, et elle sera imitée par les requins de la classe capitaliste avec le slogan « Welcome to Class Struggle ». Warren Buffet avait déjà dit, dans un discours devant la Chambre du commerce des États-Unis, « Nous sommes devant une lutte de classes et notre classe est en train de gagner ».

Cette attaque de la part d’Amazon contre les travailleurs et les travailleuses à Bessemer n’est pas isolée. Amazon mène une lutte depuis un an et a déjà dépensé plus de vingt millions pour organiser la destitution de la conseillère Kshama Savant, qui est dans son troisième mandat sur le conseil municipal de Seattle. Elle a été la première à lutter pour le salaire minimum de 15 $ de l’heure et à remporter cette victoire pour les cols bleus de la ville de Seattle. Son opposant le plus féroce était Amazon, qui voulait s’établir à Seattle durant cette période. Depuis cette victoire, Mme Savant est devenue l’ennemie jurée de Jeff Bezos et Amazon.

Mme Savant a toujours été soutenue par les syndicats à Seattle et dans les environs. Depuis la lutte menée par Bezos et Amazon contre Mme Savant pour la destituer sur de fausses accusations de fraude, les chefs syndicaux ont été approchés par Amazon pour leur garantir des contrats de sous-traitance. Sans l’appui des syndicats, Mme Savant risque d’être destituée.

Amazon et Jeff Bezos luttent actuellement, au nom de la classe capitaliste, contre toute incursion de la gauche socialiste dans le milieu syndical, mais aussi dans les différentes sphères de gouvernement. Certaines cibles sont déjà connues, comme la sénatrice Julie Salazar, qui a créé une coalition dans le sénat de l’État de New York pour la destitution du gouverneur Andrew Cuomo, accusé de harcèlement sexuel. Il faut s’attendre, dans le mi-mandat d’Alexandria Ocasio-Cortez en 2022, à ce que les attaques se multiplient de la part des démocrates et des républicains pour la déloger.

Le mot d’ordre, avec la victoire d’Amazon, est que la gauche doit se limiter à un rôle marginal dans l’appareil de gouvernement américain. Aussitôt qu’elle exerce son leadership et commence à créer des coalitions qui attaquent ceux au pouvoir, il faut la déloger.

Lotta Continua

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