Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Les deux défaites de Nicolas Sarkozy

Ce n’est pas le 21 avril 2002 à l’envers, mais presque. Ce premier tour de l’élection présidentielle s’achève par deux défaites cinglantes de Nicolas Sarkozy. La première est que François Hollande a toutes les chances de devenir au soir du 6 mai 2012 le prochain président de la République. La seconde est que le score sans précédent du Front national menace de ruiner la droite classique.

22 avril 2012 | tiré du site mediapart.fr

Nicolas Sarkozy achève ainsi son mandat par un désastre. En ayant construit sa campagne électorale comme celle du candidat de la droite extrême, le président-sortant n’aura servi que de marchepied à Marine Le Pen. Celle-ci réussit, en faisant bien mieux que son père en 2002 (18 % des voix contre 16,86 % en 2002 et 1,6 million de voix de plus), à installer son parti au cœur du débat public. Le Front national a presque doublé son nombre de voix depuis 2007 ! L’étape suivante, à l’occasion des législatives de juin, sera sans doute de provoquer l’éclatement de l’UMP.

Les premières leçons qui peuvent être tirées de ce 22 avril montrent combien ce n’est pas une paisible voire fade alternance qui est à l’ordre du jour.

Car les résultats de ce dimanche dessinent un pays fracturé en profondeur, sous tension, donc impatient et déchiré. Pour la première fois depuis l’élection au suffrage universel d’un président de la République, le candidat de l’extrême droite approche du palier des 20 % des voix. Cette donnée nouvelle vient un peu plus souligner ce que nous n’avons cessé de documenter par nos enquêtes et reportages : une crise profonde de la représentation et du système politique.

La vraie crise est celle de la droite, d’une droite épuisée par deux mandats de Jacques Chirac et mise à genoux par celui de Nicolas Sarkozy. Avec 27 % des voix, le président sortant perd plus de 4 points par rapport à 2007 et fait moins bien que Giscard en 1981 (qui devait en outre faire face à la candidature de Chirac). La sanction est d’autant plus brutale qu’en ayant empêché toute autre candidature au sein de la droite républicaine, Sarkozy se retrouve seul, sans réserves de voix, face à Marine Le Pen dont la seule stratégie possible est de tout faire pour accélérer la défaite du chef de l’Etat. Ce qu’elle a laissé entendre, dimanche soir, en appelant « à renverser le système » et en assurant que « nous sommes désormais la seule opposition à la gauche ultralibérale, laxiste et libertaire ».

Sarkozy n’aura donc en rien su empêcher la défaite qui lui était promise depuis des mois. Sa campagne n’a eu qu’une constante : s’installer en représentant de la droite extrême pour rééditer le “hold-up” réalisé en 2007 sur le Front national. Et dès dimanche soir, lors d’une courte allocution, il faisait savoir qu’il n’entendait pas changer de ligne. En mettant en avant les questions « des frontières, de l’immigration, de la sécurité, et de la défense de notre mode de vie », le président sortant persiste et annonce une campagne d’entre-deux tours déchaînée et détestable. « La France veut une droite forte », disait en début de soirée son conseiller venu de l’extrême droite, Guillaume Peltier.

Or le Front national voit ce dimanche une fois de plus validé le vieux principe de « l’original préféré à la copie ». L’opération Sarkozy a lamentablement échoué et pose de lourdes questions sur le candidat : pourquoi s’est-il laissé enfermer dans une ligne dictée par quelques conseillers ultras ? Pourquoi n’a-t-il rien conservé du programme de l’UMP ? Pourquoi le parti présidentiel s’est-il réfugié dans le rôle du parti godillot ? « Je suis pour une France forte mais aussi pour une France juste, une France plus humaniste », s’est empressé de dire dimanche Jean-Louis Borloo, résumant ainsi les deux stratégies qui se sont affrontées autour du président-candidat.

Un rapport gauche/droite favorable à Hollande

Avec une défaite presque certaine et un retrait de la vie politique annoncé (le président sortant l’a fait savoir à de multiples reprises), Sarkozy ouvre ce dimanche le grand chantier de la décomposition-recomposition de la droite. « Ce n’est qu’un début », a claironné Marine Le Pen qui voit enfin se présenter l’occasion attendue depuis trente ans par l’extrême droite de faire perdre le candidat de la « droite classique ». Et effectivement, le score de ce dimanche signe sans doute la fin du parti unique, cette UMP hégémonique réduisant au silence toutes les autres composantes libérales, extrêmes ou centristes.

Car au-delà d’un Front national déterminé à le faire battre, Nicolas Sarkozy se retrouve dans un rapport de forces fortement défavorable avec la gauche. Le rapport gauche/droite n’a jamais été aussi favorable à la gauche depuis 1981 : environ 44 % des voix, contre 47 % à la droite et l’extrême droite. Il était de seulement 36,5 % contre 45 % en 2007, et de 42,8 % contre 48,4 % en 2002. Cette donnée, essentielle, marque la faiblesse de l’UMP et l’impasse dans laquelle se trouve le parti présidentiel.

L’autre élément est le résultat de François Hollande. En approchant le seuil des 30 % (28,6 %), le candidat socialiste réalise un score historique au premier tour : François Mitterrand en 1981et Ségolène Royal avaient réuni 25,8 % des suffrages. Et pour la première fois, ce n’est pas le président sortant qui est en tête. « J’ai la position la plus forte, je suis le mieux placé pour l’emporter », a affirmé dimanche soir François Hollande, voyant dans le vote de dimanche « une sanction d’un quinquennat et d’un candidat qui a fait le jeu de l’extrême droite ».

Ce score de François Hollande lui revient, mais pas seulement. Il est celui d’un candidat qui, depuis son entrée en campagne dès janvier 2011, a su construire quelques lignes de force dont il n’a jamais dévié. Que François Hollande ne suscite pas l’enthousiasme délirant du peuple de gauche est une chose ; une autre est de reconnaître au candidat socialiste une cohérence et une vision stratégique qui, de l’élection à la primaire socialiste à ce premier tour, lui ont donné constamment une longueur d’avance.

A la “performance” Hollande s’ajoute celle d’un parti socialiste remis en ordre par Martine Aubry et qui aura su faire oublier vingt années de déchirements et d’atermoiements et deux humiliantes défaites à l’élection présidentielle, en 2002 et 2007. De ce point de vue, François Hollande a rappelé ce que sont les invariants d’une victoire à une élection présidentielle : une personne, un présidentialisme assumé (même si contestable), un programme et un parti fortement organisé pour relayer. Toutes choses dont Nicolas Sarkozy disposait en 2007, mais pas cette année.

L’autre événement à gauche est l’émergence du Front de gauche. Jean-Luc Mélenchon, l’animateur surprise de cette campagne de premier tour, n’atteint pas les 15 % prédits par les instituts de sondages ces dernières semaines. Mais il franchit la barre des 10 % (et même des 11 %). Certains n’y verront qu’un réveil pittoresque et vintage du parti communiste : Georges Marchais avait fait 15 % des voix au premier tour de 1981…

Mais c’est d’une autre dynamique qu’il s’agit cette fois, puisque le PC peut être considéré comme agonisant voire décédé depuis une quinzaine d’années. Le score de Marchais était celui de l’amorce du déclin : André Lajoinie fit 6,76 % en 1988, Marie-George Buffet, 1,9 % en 2007. Le résultat de Mélenchon vient faire oublier le fiasco de la gauche antilibérale qui avait tenté d’émerger du “non” au référendum européen de 2005. Mais il ne parvient pas pour autant à attirer le vote populaire qu’il croyait pouvoir rassembler. D’une certaine manière, tout reste à faire pour le Front de gauche. Et nombreux sont les exemples qui ont montré qu’une performance à la présidentielle ne se traduit pas automatiquement en dynamique politique durable (Bayrou 2007, par exemple).

Enfin, Eva Joly, avec environ 2,3 % des voix, ne peut que prendre acte d’un nouvel échec de l’écologie politique dans le cadre de la présidentielle. Elle est certes allée jusqu’au bout en portant l’écologie politique mais aussi d’autres thématiques (questions internationales, lutte contre la corruption, éthique de gouvernement). Son résultat est à des années-lumière des résultats électoraux des écologistes aux dernières européennes et régionales. Ce qui obligera Europe Ecologie-Les Verts à de sérieuses remises en question.

François Bayrou est l’autre victime de ce scrutin. Avec tout juste 9 % des voix, le candidat du MoDem ne peut que prendre acte de l’échec d’une stratégie solitaire. « Je vais m’adresser aux deux candidats, j’écouterai et je prendrai mes responsabilités », a-t-il expliqué dimanche soir, en appelant au passage à une « union nationale ».

Les deux semaines de campagne avant le second tour vont éclaircir ces enjeux. Ils sont radicalement nouveaux, pour la droite bien sûr, kidnappée depuis dix années par Sarkozy, et pour la gauche. François Hollande et le PS vont devoir inventer une nouvelle manière d’exercer le pouvoir et surtout provoquer un vote d’adhésion de classes populaires qui semblent, selon les premiers résultats, s’en être massivement détournées lors de ce premier tour. C’est tout le défi que doit relever François Hollande durant ces deux semaines : provoquer l’adhésion face à un président massivement rejeté mais encore prêt à tout, donc au pire, pour se sauver.

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