Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Les démocrates ont délaissé les travailleurs.euses pauvres

Le Révérend William Barber parle des soins de santé, de salaire décent et des droits de vote

Democracy Now, 8 novembre 2024,
Traduction, Alexandra Cyr

Amy Goodman : Donald Trump et ses alliés.es ont célébré leur victoire électorale et appelé à la mise en place de la politique d’extrême droite qui va couvrir tout le gouvernement fédéral et connue sous le nom de Project 2025. Les Républicains.nes ont aussi gagné la majorité au Sénat et probablement à la Chambre des représentants.

(…) Nous commençons à examiner les erreurs des Démocrates avec Monseigneur William Baber 11, vice-président national de la Poor People Campaign. Elle a travaillé à faire sortir le vote chez les résidents.es à bas revenus qui sont souvent ignorés.es mais constituent un bloc impressionnant. Mgr Barber est aussi un conférencier à Repairers of the Breach et le fondateur et directeur du Center for Public Theology and Public Policy à la Yale Divinity School. Il est le co-auteur d’un dernier livre : White Poverty : How Exposing Myths About Race and Class Can Reconstruct American Democracy.

Mgr Barber soyez à nouveau le bienvenu sur Democracy Now. Parlez-nous d’abord de ce que vous pensez est arrivé dans cette élection. Que répondez-vous à la Présidence de D. Trump ? Et qu’elles ont été les erreurs des Démocrates selon vous ?

Mgr William Barver 11 : Merci Amy. Je me suis levé ce matin en étant capable de dire « Democracy Now » !

Nous sommes face à de nombreuses questions sur lesquelles nous devons nous acharner en profondeur. Nous ne pouvons être désinvoltes ou ne faire que réagir spontanément en ce moment. Nous devons faire face au fait que les États-Unis ont souvent fait de mauvais choix qu’ils payent plus tard. Nous devons faire face au fait que ce sont 71 millions, 72 millions de personnes qui ont choisi de renvoyer D. Trump à la Maison blanche en dépit de son langage vitriolique, de sa haine, de son retour en arrière, de ses outrances racistes et d’une tendance vers le fascisme. Nous ne savons probablement pas ce qu’il va faire exactement mais il peut le faire à un point tel que même ses partisans.es en seront plus offensés.es et si terriblement qu’ils et elles demanderont : « Qu’avons-nous fait » ?

Nikole Hannah-Jones (journaliste américaine qui s’intéresse aux droits civiques et a gagné un prix Pullitzer. N.d.t.) a dit quelque chose l’autre jour que j’ai partagé avec ma vice-présidente, Lez Theoharis. Elle nous a rappelé que 60 ans après la première tentative des États-Unis en faveur de la reconstruction en 1920, juste après l’élection de 1918, excusez-moi, de 1865-1866 environ, la majorité des Américains.es se sont retournés.es et ont embrassé la suprématie blanche. Et si vous y réfléchissez, nous somme en ce moment, 60 ans après les années 1960, après la White Southern Strategy (stratégie républicaine pour s’attacher le vote de la population blanche du sud en instant sur le racisme contre les Noirs.es. n.d.t.).

Qu’avons-nous vu il y a deux jours ? Il faut nous poser une profonde question. Nous avons vu la plupart des Américains.es voter, mais beaucoup ne l’ont pas fait. D. Trump a gagné 2 à 3 millions de voix de moins qu’en 2020. Mme Harris a récolté 13, 14 millions de voix de moins que J. Biden ne l’avait fait en 2020. Ils ont ramassé 81 millions de votes. Beaucoup de gens n’ont pas voté.

Et pourquoi ? Nous savons qu’en 2020, J. Biden et K. Harris ont mis l’accent sur le salaire minimum et sur le droit de vote. Ils ont récolté 56% des voix de ceux et celles qui gagnent moins de 50,000$ pour une famille de quatre. Cette année, les sondages à la sortie des urnes montrent que c’était 49% contre 49%. Le score de D. Trump a augmenté, celui des Démocrates a diminué. Et voilà la question : pourquoi ? Nous sommes-nous suffisamment centrés sur les 30 millions de pauvres, ceux et celles qui vivent avec de bas salaires, ceux et celles qui ne votent pas souvent mais qui tiennent les clés du plus grand vote pivot du pays ? Ces personnes sont environ 12 millions dans le pays.

Nous devons nous confronter à de sérieuses questions. Par exemple, est-ce que les femmes blanches qui sont en faveur de l’avortement auraient aussi voté pour D. Trump, choisi D.Trump ? Elles sont avec K. Harris sur les questions d’avortement mais pas pour la Présidence. Où les hommes hispanophones sont-ils allés ? Nous avons beaucoup à faire. Pourquoi les enjeux les plus endossés par le public, ceux relatifs aux soins de santé, au salaire décent, aux droits de vote, à la démocratie, n’ont-ils pas été plus à l’avant plan ? Et pourquoi des personnes choisiraient de voter contre, contre ce pourquoi un pourcentage significatif d’autres disent être en accord ? Ce sont des enjeux sérieux.

Ce que nous ne pouvons pas faire en ce moment, c’est de baisser les bras. Je pense que les médias portent aussi une certaine responsabilité. Je n’ai vu dans aucun débat, la pauvreté et les bas salaires être au centre des discussions. Et cela même si 800 personnes décèdent tous les jours à cause de la pauvreté et que plus de 32 millions de personnes travaillent à des salaires qui ne permettent pas de vivre. Le salaire minimum n’a pas été augmenté depuis 2009. Rien dans les débats les plus importants à ce sujet au Congrès. Pourquoi les Démocrates n’ont-ils pas amené l’augmentation du salaire minimum au Sénat avant l’élection et ainsi forcer un vote qui aurait rendu visible la position des Républicains.nes à ce sujet crucial ? Mais partout où cette augmentation du salaire minimum et des congés payés pour les familles étaient mis aux voix, ils ont gagné ; au Missouri, en Alaska et d’autres endroits semblables. Nous avons de sérieuses questions à nous poser.

Aussi, finalement, je voudrais soulever quelque chose. Quelqu’un a dit que D. Trump avait un mandat. Personne n’a de mandat pour renverser la Constitution. Personne n’a de mandat pour aller de l’avant avec quelque chose comme le Project 2025, pour essayer de nous pousser vers l’arrière et de détruire le progrès. Personne n’a de mandat pour nous empêcher de nous adresser aux personnes qui meurent littéralement à cause des ravages de la pauvreté. Personne n’a de mandat pour dire que nous allons retirer à des gens les soins de santé.

Nous devons nous lever chaque matin à partir de maintenant et jusqu’à … avec chaque outil non violent à notre disposition et nous opposer à n’importe quelle régression peu importe qui est au pouvoir. J’ai réfléchi à ça. Quand l’arrêt Plessy c. Ferguson (où la Cour suprême décrétait que la ségrégation raciale n’était pas illégale. N.d.t.) a été décrété en 1896, les militants.es ont choisi le slogan : séparés mais égaux ». La bataille a duré 58 ans jusqu’à la victoire. Ils et elles se sont levés.es et ont continué la bataille. Donc, quand nous nous levons le matin nous devons aller dans ce sens, avoir la même sorte de force que celle que les gens de 1877 ont eue. Il y avait une élection qui pouvait virer les États-Unis à l’envers ; que ce soit en 1896 ou en 1914 quand un suprémaciste blanc est arrivé à la Maison blanche et qu’on a joué Birth of a Nation (référence à un film qui met en vedette des soldats confédérés des États du sud. N.d.t.) dans le bureau ovale ; en 1955 quand le réveil s’est fait avec l’annonce de l’assassinat d’Emmett Till (jeune noir capturé et lynché au Mississipi) ; en 1963, quand quatre petites filles ont été assassinées dans l’église de Birmingham ; en 1963 quand un Président a été assassiné ; en 1968 quand Martin L. King a été assassiné. Les gens ont dû ravaler leurs larmes, garder leur peine à l’intérieur comme leurs frustrations mais, se relever et déclarer que nous devons nous battre pour cette démocratie. Nous n’allons pas partir et disparaitre dans le noir.

A.G. : Je voulais revoir le message du Sénateur B. Sanders : « Nous ne devrions pas être si surpris.es, le Parti démocrate a abandonné la classe ouvrière, pas étonnant qu’elle abandonne ce Parti à son tour. Pendant que la direction démocrate défends le statut quo la population américaine est en colère et veut du changement. Et elle a raison ».

Jaime Harrison, le président du Comité central démocrate a qualifié la déclaration de B. Sander de : « pur B. Sanders » et il a ajouté : «  Biden a été le Président les plus en faveur des travailleurs.euses que j’ai vu de ma vie ».

Je voulais aussi que nous nous arrêtions sur le commentaire de David Brooks, le chroniqueur bien connu du New York Times. Son article est intitulé : Les électeurs.trices aux élites. Il écrit : « Me voyez-vous maintenant ? Je suis un modéré. J’aime les candidats.es démocrates qui font campagne au centre. Mais je dois dire que même si K. Harris l’a fait plutôt efficacement, ça na pas donné le résultat voulu. Peut-être qu’il leur faudrait embrasser le style dérangeant de Bernie Sanders, quelque chose qui rende les gens comme moi, inconfortables ».

Pourriez-vous répondre à ça et nous mettre au fait du nombre de personnes dont nous parlons dans ce pays (à ce sujet) ? Bien sûr pas que les nombres. C’est au sujet de ce avec quoi les gens doivent se débattre, des millions de gens partout dans le pays et qui ont pu voter.

B.W.B.11 : D’accord. Amy, nous devons sortir de nos émotions. Nous pouvons critiquer nos politiques, dire que nous avons aidé les gens et que cela ait été cohérant ou non, que la population l’a entendu. Par exemple nous avons besoin de soins de santé, de crédits d’impôts, de crédits d’impôts pour les enfants et nous soutenons tout ça. Et oui nous avons besoin de soins de santé, d’argent pour le logement, pour de nouveaux logements. Nous sommes clairs.es à ce sujet, nous soutenons cela. Mais de dire : « Minute ! Nous devons prendre le temps de voir où nous en étions et où nous allons. Est-ce que c’est un message ? Qu’est-ce que c’est » ? Parce que nous savons que partout dans le pays, par exemple augmenter le salaire minimum, affecterait 32 millions de personnes qui vivent tous les jours sans salaire décent. Par exemple il faut faire face à des prix qui vous mettent dans le trou mais les gens ont besoin d’argent pour acheter des biens, de l’essence, et toutes autres choses. Nous n’avons pas augmenté le salaire minimum, ni les Démocrates ni les Républicains.nes (ne l’ont fait). Nous trainons cet enjeu depuis 15 ans. Nous parlons de 140 millions de pauvres et de personnes qui sont à faibles salaires. Nous parlons d’environ 43% de la population de notre pays qui est pauvre et/ou à faible revenu. Nous parlons d’adultes, de gens qui sont peu ou prou à 500$ de la ruine économique. Nous parlons de 800 personnes qui meurent tous les jours. Ce n’est pas une exagération, nous devons être capables d’en parler.

Et en parler ne veut pas dire qu’un.e candidat.e était de mauvaise foi. L’exercice vise à évaluer ce qui se passe et comment nous allons nous positionner. Par exemple, pourquoi n’avons-nous pas fait un effort déterminant chaque fois que nous avons ouvert la bouche pour dire : « Écoutez, si vous élisez les Démocrates de la Présidence jusqu’à la totalité du Congrès, au cours des 50 premiers jours, nous allons augmenter le salaire minimum à 15$ ou un peu plus ». Nous avons les données. Trois économistes détenteurs du Prix Nobel d’économie ont prouvé qu’augmenter le salaire minimum ne jouerait pas négativement sur l’emploi, ne ferait pas augmenter les taxes et les impôts et ne ferait pas augmenter les prix. Il faut que nous prenions cela au sérieux.

Je connais des gens … nous sommes tous dans nos émotions et c’est normal. Mais ce n’est pas le seul problème. Je serais d’accord avec Jaime sur ça. Ce n’est pas le seul problème. Il y a beaucoup de problèmes. Et nous devons creuser celui-ci. Quel rôle a joué la « race » (dans cette élection) ? Quel rôle y ont joué la sexualité et le genre ? Nous devons prendre au sérieux des enjeux fondamentaux. Même au Mississipi 66% des Républicains.es disent vouloir des soins de santé, et soutiennent l’Affordable Care Act appelé Obamacare. Nous devons voir sérieusement les autres États où, quand le salaire décent figurait sur les bulletins de vote, ce fut approuvé. Nous devons nous assurer que partout dans le pays, ces enjeux soient mis aux voix. Ce que nous ne pouvons pas faire, c’est nous en écarter.

Nous avons une introspection à faire. Nous devons comprendre pourquoi le taux de votes a baissé. Je me souviens, en 2020, quand Biden et Harris étaient en campagne, ils disaient toujours : «  Si vous nous élisez, nous allons introduire des salaires décents, l’assurance santé et (consolider) les droits de vote ». 56% des gens gagnant moins de 50,000$ par année les ont soutenus. Et nous devons intégrer le fait qu’une partie de la situation n’est la faute de J. Biden ou de K. Harris. Cela a commencé quand les Démocrates ont mis aux voix (au Congrès), la hausse du salaire minimum à 15$ de l’heure et que 8 de leurs membres se sont joint aux Réublicains.es et ont bloqué cette proposition de loi qui avait été acceptée par la Chambre des représentants. Nous devons prendre conscience qu’il peut y avoir des Démocrates voyous avec leur pouvoir et voter contre quelque chose qui va affecter 55 millions de personnes. Et ce serait encore ce nombre si l’administration Biden-Harris n’avait relevé le salaire minimum des fonctionnaires fédéraux. Alors, vous devenez voyou quand vous êtes au pouvoir et ensuite vous vous présentez devant la population lors des élections en disant : «  Nous sommes avec vous  ». C’est blessant, des gens meurent ici. Tant que nous ne pourrons pas faire face à la pauvreté et aux bas salaires dans ce pays, cela affectera 66 millions de gens de race blanche. Il est question de 60% de Noirs.es, de 30% de Blancs.hes, de 68% de Latinos.as et de 68% d’Autochtones. Nous ne pouvons faire fi de cet enjeu.

Finalement, nous ne pouvons laisser dire que cet enjeu en est un d’extrême gauche. C’est un enjeu américain, moral. Le niveau de pauvreté et des bas salaires dans ce pays, est une violation de ce que nous reconnaissons dans la Constitution comme l’appel à la justice et à la promotion du bien-être général. C’est dégoutant et condamnable que nous n’en ayons pas eu de suivi dans les médias, dans les couloirs du Congrès et au cours de l’élection. Durant les débats entre les candidats.es, personne ne leur a demandé : « Quelle est votre position sur les enjeux de la pauvreté et des bas salaires ? Quel est votre plan à cet égard ? Et comment allez-vous diriger ce pays » ? Et ce sont des enjeux qui concernent presque 50% de la population. Nous devons y faire face.

Amy, je veux dire une chose : Venice Williams a dit quelque chose dans un poème, je vais vous le lire.
You are awakening to the
same country you fell asleep to.
The very same country.
Pull yourself together

And,
when you see me,
do not ask me
« What do we do now ? Or
« How do we get through the next four
Years ?

Some of my Ancestors dealt with
at least 400 years
under worse conditions ».

Elle a dit :

« Continue to do the good work.
Continue to build bridges and not walls.
Continue to lead with compassion.
Continue to demand
the liberation of all ».

J’ajouterais, continue à sérieusement te battre pour des salaires décents, des soins de santé accessibles et la fin des génocides autour du monde et à Gaza. Continue, continue la lutte pour les droits des femmes, des enfants et pour l’extension des droits de votes.

Quelle portion de cette baisse du vote peut être attribuée au retrait d’électeurs.trices des listes ? Pourquoi est-ce que dans un État comme la Caroline du nord par exemple, les Démocrates candidats.es à des postes divers ont, sans exception, gagné leurs élections mais la candidate à la Présidence a perdu ? Nous devons nous attaquer à de sérieuses questions. Nous ne pouvons nous en remettre à nos émotions. Et il nous faut nous poser ces questions parce qu’il y a de la souffrance ici, les gens sont meurtris, des millions n’ont pas voté du tout. Ils n’ont pas voté. Je veux que ça se sache. Il y a eu une baisse du vote au total. Et nous devons prendre ça très sérieusement.

A.G. : Mgr Barber, je veux vous remercier d’avoir été avec nous. (…)

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