Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Après la nouvelle mise au jeu de Gabriel Nadeau Dubois

Les 3 grands défis de la gauche de QS

Je pense à ceux et celles qui ont fondé Québec solidaire : à Amir Khadir et Françoise David bien sûr, mais pas seulement, à tous ces militants et militantes qui ont mis sur pied l’Union des Forces Progressistes et Option citoyenne et ont préparé la naissance de QS en 2006. Quelques soient leurs divergences et leurs sensibilités propres, ils avaient au delà de toutes les ambiguïtés du moment, un objectif très simple. Ils voulaient réunir la gauche sociale et politique du Québec et créer une formation politique qui puisse se faire entendre de manière professionnelle sur la scène électorale, mais sans rien oublier pour autant des aspirations à des changements structurels pensés par les différents mouvements sociaux : altermondialiste, autochtone, écologiste, féministe, indépendantiste, étudiant, syndicaliste, etc.

Il s’agissait, comme une évidence, de mener les deux tâches en même temps, de tenir les 2 bouts de la chaîne bien fermement, comme une impérative condition pour que les changements structurels envisagés puissent devenir effectifs et que le parti ne se transforme pas en un Parti québécois bis, social-libéralisé, ayant repoussé aux calendes grecques l’exigence de l’indépendance. Et il y avait pour cela une formule à QS qui en résumait la nécessité : « être un parti des urnes autant que de la rue ».

Un premier défi : être des urnes autant que de la rue

Voilà un premier acquis qu’il serait nécessaire de bien garder en tête dans le débat qui va se donner à QS dans le sillage des volontés déclarées de Gabriel Nadeau Dubois de faire de QS d’abord « un parti de gouvernement ».

Car ce qui fait partie de l’ADN historique de QS, ce n’est pas que QS se refuse d’aller au gouvernement —bien au contraire—, mais qu’il se donne les moyens d’y aller, en ayant en même temps stimuler et accumuler les forces sociales nécessaires pour disposer du rapport de force politique lui permettant de mettre en branle les changements structurels que son programme appelle.

La question aujourd’hui est donc tout autant celle d’améliorer notre présence dans les urnes, en ayant plus de députés, que de participer à une réactivation du mouvement social, à une relance des différents mouvements sociaux, à une résurgence joyeuse de la rue, condition de possibilité de tout changement sociétal de fond.

Ainsi, plutôt que de rêver de recentrage de QS ou de pragmatisme nécessaire, comme semble l’évoquer Gabriel Nadeau Dubois, cela devrait être la priorité numéro 1 de QS : renforcer la dimension parti de la rue de QS, la dimension mobilisation sociale de son intervention, comme d’ailleurs cherchait à sa manière à le faire Émilise Lessard-Therrien en se proposant d’être —ainsi qu’elle l’a fait contre les diktats de la fonderie Horne— la voix des régions oubliées, sanitairement, écologiquement, socialement, économiquement, etc.

Car à l’heure actuelle, la mobilisation sociale orientée autour d’objectifs communs, c’est ce qui nous manque le plus, c’est le domaine dans lequel s’est accumulé le plus de retard.
Et si bien sûr, comme beaucoup de femmes militantes l’ont fait remarquer, on est encore loin du compte en termes d’égalité effective hommes/femmes dans QS (tout comme d’ailleurs dans la société entière), il reste qu’un avancement réel à ce propos, passe nécessairement –y compris au sein de QS— par la convergence des luttes et la relance de la mobilisation sociale conduisant à des victoires en termes de justice sociale collective. D’où la nécessité d’avoir à QS une vision stratégique d’intervention politique pensée sur le long terme, pas simplement pour la prochaine élection, pas seulement sur le mode électoral, mais aussi sur le mode social, au sein même du tissus social de société québécoise.

Le second et difficile défi de l’indépendance

Les fondateurs et fondatrices de QS avaient cependant rencontré à propos de la question nationale une difficulté de taille. S’il était relativement facile de mettre de l’avant la question sociale face à la gestion économique sociale-libérale voire néolibérale du PQ, il était beaucoup plus difficile de parler d’indépendance, en se différenciant vraiment du PQ. Il avait d’ailleurs été difficile de convaincre Option citoyenne —une des organisations, avec l’UFP, fondatrice de QS— de prendre à bras le corps cette question.

QS y était cependant finalement arrivé en mettant de l’avant —dans le processus d’accès à l’indépendance— la nécessité d’une assemblée constituante ainsi qu’en imaginant cette assemblée comme un lieu d’expression démocratique privilégié de la volonté populaire, comme le moyen par excellence pour stimuler la mobilisation citoyenne, faire de la question de l’indépendance la question de tous et toutes, en faire un processus démocratique d’indépendance en acte à travers lequel toutes les questions sociales trouveraient en même temps leur place.

C’est là le second défi — très lié cependant au premier —qui se dresse devant celles et ceux qui souhaiteraient que QS garde son élan transformateur des origines et ne se transmue pas en une sorte de NPD progressiste et « provincialisé » (et dont d’ailleurs tant d’observateurs et médias institutionnels semblent souhaiter la venue !).

Avec la remontée du PQ dans les sondages, avec la probabilité non négligeable qu’il puisse arriver au gouvernement en étant minoritaire, le contexte politique qui s’offre à QS risquerait de devenir tout autre, tout comme la nécessité de se doter d’une orientation politique stratégique claire à ce propos. Dès lors, comment faire pour que l’indépendantisme de QS ne se transforme pas en un nationalisme de façade, et ne fasse que s’adapter mollement aux inéluctables compromissions dans lesquelles le projet péquiste -en l’état actuel des choses— à toutes les chances de s’engluer ?

On le voit, ce second défi apparait encore plus délicat que le premier. D’autant plus que depuis la fusion avec Option nationale, cette question de l’indépendance —aussi étrange que cela puisse paraître— a plutôt été mise de côté et n’a pas été collectivement approfondie au sein de QS, comme elle aurait dû l’être pour nous permettre de faire face à des situations devenues soudainement difficiles ainsi que nous les connaissons aujourd’hui.

Le 3ième défi : faire naître une alternative crédible

On comprendra dans ce contexte, qu’il ne s’agit pas de pointer seulement du doigt les abandons que sous l’égide de Gabriel Nadeau-Dubois, QS risquerait d’entériner à l’avenir, mais aussi d’être capable de travailler collectivement à dessiner au sein de QS des alternatives viables à un tel recentrage annoncé. Des alternatives politiques qui puissent convaincre, et être reprises par une majorité de militantes et militants de QS au congrès de l’automne 2024. Et qui puissent être susceptibles de l’emporter politiquement sur la vision pragmatique de Gabriel Nadeau-Dubois et de ceux et celles qui l’entourent ; eux qui sont déjà bien installés au commande du parti, prêts à toute éventualité pour avoir gain de cause.

À n’en pas douter, c’est là —pour ceux et celles qui se retrouvent dans le projet initial de QS – une bataille qui n’est pas gagné d’avance et qui sera loin d’être simple.

Le jeu n’en vaut-il pas cependant la chandelle, et ne faut-il pas oser parier sur ces volontés de changement structurel si nécessaires aujourd’hui ; celles-là même qui ont donné ses lettres de noblesse à QS et sont à l’origine de ce qu’il est devenu aujourd’hui ?

Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste
Le 5 mai 2024

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Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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