Tiré de Reporterre.
Beyrouth (Liban), correspondance - Des champs retournés, des arbres déracinés, une terre contaminée au phosphore blanc : à Gaza, l’environnement est la victime silencieuse de la guerre. À la place des vergers, des plages de sable et des champs de fraise, qui faisaient la fierté des Gazaouis, se dresse un paysage dystopique fait de bases militaires, de cratères et de ruines. « Nous vivons actuellement une catastrophe environnementale qui engendrera d’autres catastrophes à l’avenir », dit Samar Abou Saffia, activiste écologiste gazaouie.
Ses notes vocales, envoyées par WhatsApp à Reporterre, brossent un portrait sombre de la situation sur place. « Plus de 80 000 tonnes de bombes israéliennes n’ont épargné ni les champs, ni les oliviers, ni les citronniers. Ces destructions environnementales accompagnent les massacres et le génocide, dit celle qui vit maintenant sous une tente à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Lorsque les chars d’assaut pénètrent sur nos terres, ils en détruisent également la fertilité. »
Après l’attaque du Hamas du 7 octobre dernier, l’offensive israélienne à Gaza entre dans son huitième mois, tuant plus de 34 000 Gazaouis et faisant 77 000 blessés. Alors que plus de la moitié de la population de Gaza est au bord de la famine, des voix s’élèvent pour critiquer la destruction de l’environnement et de la production alimentaire à Gaza.
Une guerre contre l’environnement
« L’environnement n’est pas juste un dommage collatéral, mais bien une cible de l’armée israélienne », affirme Lucia Rebolino, coautrice d’une étude de Forensic Architecture, un collectif qui travaille avec des données satellites en open source.
« Des bulldozers rasent des champs et vergers pour dégager une zone tampon de plus de 300 mètres de profondeur » le long de la frontière au nord entre Israël et la bande de Gaza, explique-t-elle à Reporterre. « L’armée y construit des digues, des monts en terre, afin de protéger ses tanks et de dégager la vue. »
Les chiffres de son étude parlent d’eux-mêmes : sur les 170 km2 de terres agricoles que comptait Gaza avant la guerre — soit la moitié du territoire —, 40 % auraient été détruites. 2 000 sites agricoles, dont des fermes et des serres, ont été bombardés. Le nord de Gaza étant le plus touché, avec 90 % de ses serres disparues.
Une étude conjointe menée par l’Organisation des Nations unies (ONU), la Banque mondiale et l’Union européenne estime à plus de 1,5 milliard de dollars (environ 1,4 milliard d’euros) les dommages causés à l’agriculture, aux aires naturelles et aux infrastructures de traitement des déchets — sans même compter la restauration et la reconstruction de l’environnement.
« Guerre herbicide »
Ces destructions sont partie intégrante d’une stratégie israélienne affirmée depuis une dizaine d’années, explique Lucia Rebolino. Lors des guerres de 2014 et 2021, Israël avait également pris des installations agricoles pour cibles, mais à moindre échelle.
« Nous avons régulièrement observé des avions israéliens larguer des herbicides sur des zones agricoles frontalières au début et à la fin des saisons de récolte de 2014 à 2019, profitant de vents favorables pour toucher le maximum de surface », témoigne-t-elle. Forensic Architecture a publié plusieurs rapports sur cette « guerre des herbicides », qui aurait ainsi détruit les moyens de subsistance de nombreux agriculteurs.
Un autre exemple frappant, plus au sud, est la réserve naturelle de Wadi Gaza, rivière dont les berges ont été nettoyées à grands frais par des ONG internationales quelques mois avant la guerre. « C’était redevenu une région pleine de vie et d’agriculture, dotée de bonnes infrastructures, dit Samar Abou Saffia dans une note vocale. Maintenant, tout est détruit et il est interdit aux Palestiniens d’y entrer, c’est très dangereux. » La zone est traversée par une route militaire qui sépare Gaza en deux, un no man’s land de terre déblayé à coups de bulldozers et devenu un champ de bataille.
Pollution de l’eau, de l’air, des sols
Outre les objectifs militaires israéliens, la guerre génère une pollution importante. Les émissions de gaz à effet de serre générées au cours des deux premiers mois de la guerre à Gaza ont été plus importantes que l’empreinte carbone annuelle de plus de vingt des nations les plus vulnérables au climat dans le monde, selon une étude anglo-américaine. Elle équivaudrait ainsi à la combustion d’au moins 150 000 tonnes de charbon. De quoi enfoncer la région encore plus profondément dans la crise climatique.
L’ONU estime en outre que les bombardements ont créé 37 millions de tonnes de débris. « C’est plus que toute l’Ukraine en deux ans », souligne Wim Zwijnenburg, chercheur sur les effets des conflits sur l’environnement à PAX, une organisation néerlandaise. Or, les dangers sont multiples : contamination à l’amiante et aux métaux lourds, poussières et particules fines, déchets toxiques des hôpitaux et industries, les maladies propagées par les corps en décomposition… « Comment va-t-on disposer de tous ces débris, alors qu’il n’y a aucune infrastructure de tri des déchets encore debout ? »
Alors que la majeure partie des infrastructures publiques sont détruites, des décharges improvisées ont vu le jour un peu partout dans la bande de Gaza. « Grâce aux images satellites, on peut observer comment des milliers de polluants infiltrent les sols et les eaux souterraines, et même comment des fumées toxiques rendent l’air irrespirable », explique-t-il. En parallèle, plus de 130 000 m3 d’eaux usées seraient déversés chaque jour dans la mer Méditerranée, causant d’importants dégâts pour la faune et flore sous-marine, avertit l’ONU.
Accusations d’écocide
Des organisations accusent Israël de commettre un génocide doublé d’un écocide. « La destruction de la terre est une pratique génocidaire systématique au même titre que la destruction de la production alimentaire, des écoles, des hôpitaux », affirme ainsi Lucia Rebolino, de Forensic Architecture.
Pour Saeed Bagheri, conférencier en droit international humanitaire à l’université de Reading, en Angleterre, la réponse est moins tranchée. « Du point de vue juridique, l’écocide n’a pas de définition claire. La Convention de Genève et le Statut de Rome listent des crimes de guerre contre l’environnement et les civils, mais encore faut-il pouvoir remplir leurs critères », explique-t-il à Reporterre. La discussion entre juristes porte sur la notion de proportionnalité. « En vertu du droit international, même si l’on admet qu’Israël a le droit de se défendre en attaquant le Hamas, l’environnement naturel ne peut être pris pour cible, sauf nécessité militaire impérative ».
« Récupérer nos terres et rétablir nos sols, nos nappes phréatiques et notre mer »
C’est donc ainsi que l’armée israélienne tente de se justifier. « Le Hamas opère souvent à partir de vergers, de champs et de terres agricoles, explique ainsi un porte-parole, cité par le Guardian. L’armée ne porte pas intentionnellement atteinte aux terres agricoles et s’efforce d’éviter tout impact sur l’environnement en l’absence de nécessité opérationnelle. »
Mais, pour Saeed Bagheri, « le principe d’humanité prime sur tout le reste, c’est-à-dire l’obligation de ne pas causer de souffrances inhumaines et évitables » aux civils et à l’environnement. Et c’est là qu’Israël pourrait être poursuivi devant la Cour pénale internationale ou la Cour internationale de justice. « Dans tous les cas, il doit y avoir une enquête », affirme le juriste.
Signe de la gravité de la situation, l’ONU a ouvert une enquête sur la destruction de l’environnement. Ces démarches prendront du temps, et il faudra attendre la fin de la guerre pour en connaître les conclusions. C’est aussi ce qu’attendent les Gazaouis, piégés dans une dystopie sanglante. « Je souhaite seulement que la guerre prenne fin pour que nous puissions récupérer nos terres et rétablir nos sols, nos nappes phréatiques et notre mer, qui ont été détruits par les Israéliens », soupire Samar Abou Saffia.
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