Édition du 15 avril 2025

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Planète

Écofacisme, la menace fantôme

Le terme d « écofascisme », qui désigne une tendance à l’écologisation de l’extrême droite. Les récents événements politiques en France et ailleurs tendent pourtant à montrer tout le contraire : c’est un bien un carbofascisme » qui monte en puissance, accro aux combustibles fossiles et totalement indifférent, sinon hostile, aux impératifs écologiques.

tiré de Fracas, Le média des combats écologiques, no. 2, Hiver 2025 | Illustration Asis percales

Assistons-nous au retour du fascisme’ ? Pour les uns, la réponse ne fait aucun doute, comme en témoignent la percée électorale des extrême droites européennes, la stabilisation du trumpisme au pouvoir, ou encore la naturalisation dans le débat public d’idées naguère considérées comme racistes ou attentatoires aux libertés publiques et à la démocratie. Pour les autres, goguenards, la gauche continuerait de crier au loup dans un accès de panurgisme incantatoire, et le mot de fascisme n’aurait plus aucune substance. D’ailleurs, nous disent-ils, on voit bien qu’il y a peu de ressemblance entre un Jordan Bardella cravaté et un Waffen SS botté. Nul besoin, pourtant, que le néo-fascisme soit un duplicata du fascisme du XXe siècle : celui-ci émerge, en temps que force historique, d’une époque particulière et d’une crise qui détermine sa forme.

L’historien du fascisme Robert Paxton nous adressait ainsi cette mise en garde, il y a tout juste 20 ans, alors que le libéralisme triomphant pérorait encore avec Fukuyama sur une supposée « fin de l’histoire » : « Le fascisme du futur - réaction en catastrophe à quelque crise non encore imaginée- n’a nul besoin de ressembler craie pour craie, par ses signes extérieurs et ses symboles, au fascisme classique. Un mouvement qui, dans une société en proie à des troubles, voudrait "se débarrasser des institutions libres « afin d’assurer les mêmes fonctions de mobilisation des masses pour sa réunification, sa purification et sa régénération, prendrait sans aucun doute un autre nom, et adopterait de nouveaux symboles. Il n’en serait pas moins dangereux. » [1]

Il est évidemment tentant de voir dans la catastrophe écologique cette « crise encore non imaginée » qui viendrait, en interaction avec d’autres crises, mettre sous pression les systèmes politiques et sociaux, et contribuer à modeler un corps nouveau au fascisme. De plus en plus d’observateurs osent en tout cas l’affirmer. « Tout semble en place pour une réinvention du vieux fascisme européen autour de la question environnementale », écrit ainsi le journaliste au Monde et spécialiste de l’écologie Stéphane Foucart [2]. Et effectivement, non seulement est-il difficile de concevoir que le fascisme au XXIe siècle puisse s’abstraire de la catastrophe écologique, mais l’enjeu écologique est, par définition, un défi lancé à toutes les traditions politiques, du socialisme au capitalisme, et qui leur impose de se réinventer à l’aune de contraintes nouvelles.

D’où l’émergence progressive dans l’arène politique de deux approches : l’ « écofascisme" et le « fascisme fossile »- ou le « carbofascisme », comme l’a aussi désigné l’historien de l’énergie Jean-Baptiste Fressoz. [3] Là où l’écofascisme entend régler la question écologique en s’y adaptant, l’autre la rejette entièrement. Comme deux frères siamois ... mais il ne pourra pourtant en rester qu’un.

Écofascisme ou carbofascisme

Les deux courants répondent aux impératifs caractéristiques du fascisme théorique : réunifier un peuple menacé, le régénérer en retrouvant un âge d’or fantasmé, le purifier par le nettoyage de l’ennemi intérieur et la défense contre l’ennemi extérieur. De là, leurs approches diffèrent pourtant radicalement. L’écofascisme pense avant tout depuis le local ct le terroir. Selon l’idéologie écofasciste, la communauté autochtone fait corps avec son environnement direct auquel elle serait adaptée, et ce lien organique serait menacé par l’arrivée de populations « allochtones », étrangères, inadaptées culturellement comme biologiquement. Le « grand remplacement », concept raciste et paranoïaque de l’idéologue d’extrême droite Renaud Camus, devient aussi un écocide, où l’on peut critiquer à la fois le musulman qui n’aurait aucun respect pour la terre qu’il vient occuper et l’artificialisation des terres nécessaire à son accueil. Le théoricien écofasciste Pierre Vial se sent ainsi autorisé à écrire : « Est-il hérétique de dire qu’il y a quelque raison pour qu’un Congolais soit plus à l’aise au bord de son fleuve que dans les forêts de Haute Savoie ? ». C’est donc un exercice de synthèse que tente de mener l’écofascisme, prétendant à l’instar d’Alexandre de Galzain, le rédacteur en chef du média d’extrême droite Livre Noir, qu’il « n’y a rien d’incompatible à lutter à la fois contre le grand remplacement et contre le grand réchauffement ». Voire même de prétendre, toute honte bue, comme l’influenceur d’extrême droite Julien Rochedy, que l’écologie aurait été dérobée à la droite par la gauche. [4]

Le carbofascisme, lui, se pense avant tout à partir du cadre national, et en épousant une logique de puissance et de domination. li faut « déchaîner la domination énergétique des Etats-Unis », a ainsi déclaré l’élu Lee Zeldin dès sa nomination par Trump comme nouveau directeur de l’Agence de protection de l’environnement, l’organe gouvernemental chargé de lutter contre les émissions et la pollution. De la nature, du terroir, des liens organiques qui lieraient un peuple et son biotope, le carbofascisme n’en a cure, sauf lorsqu’il s’agit d’instrumentaliser la figure de l’agriculteur ou les survivances d’un passé mythifié. « Contrairement aux fascismes européens du début du XXe siècle, qui prospéraient sur un Etat fort et valorisaient le terroir, le paysage et la nature comme des éléments précieux de l’identité nationale, les fascismes émergents sont devenus les compagnons d’une idéologie libertarienne qui prône le démantèlement de l’État, la dérégulation totale de l’activité industrielle, et la poursuite sans entraves de la destruction de la nature et du climat », remarque Stéphane Foucart. Un rapport à l’enjeu écologique qui se réduit à l’enjeu climatique, que le carbofascisme nie- un « canular » et une « escroquerie », selon le 47e président des États-Unis - en alimentant par tous les moyens la machine du doute sur la réalité du changement climatique et son ampleur. « Le carbofascisme implique une fuite en avant à tous les niveaux, résume l’essayiste Pierre Madelin. Accra aux combustibles fossiles, totalement indifférent aux conditions écologiques de sa survie, il est disposé à emporter dans sa tombe le legs de plusieurs milliards d’années d’évolution. » [5]

Plus qu’un refus de comprendre, certains voient même dans l’éloge débridé des énergies fossiles et du mode de vie écocidaire qu’elles soutiennent le signe d’un coup d’État climatique. Le philosophe Mark Alizart identifie le carbofascisme comme « une nécessité plus perverse qui est tout simplement celle de faire en sorte que la crise écologique ait lieu, et dans les plus grandes proportions possibles » [6]. Le philosophe y voit une volonté de régénération du capitalisme, et s’en réfère à l’analyse de Léon Trotski, presque un siècle plus tôt : « Le fascisme est le visage monstrueux que le capitalisme prend quand il ne peut plus se perpétuer qu’à la condition de liquider ses stocks. »

L’IDIOT (UTILE) DU VILLAGE

S’il est toujours hasardeux de se laisser aller à l’exercice de la prospective, difficile de croire, dans un avenir proche, que l’écofascisme puisse l’emporter sur son alter ego accro aux hydro-carbures. li bénéficie certes d’une histoire plus longue, d’un corpus théorique plus solide, de figures. li a aussi pu avoir quelque influence sur des partis, comme les « Localistes » Pierre Juvin et Andréa Kotarac, un temps écoutés au RN, mais sans impact décisif Bref, l’écofascisme n’a pas réussi à dépasser le pittoresque ...

« L’écofascisme, s’interroge Pierre Madelin, aussi sincères puissent être certains de ses idéologues dans leur volonté de décroître et de préserver la nature, n’est-il pas appelé à devenir l’idiot utile, l’apparat idéologique d’une extrême droite qui en ferait un usage stratégique pour parvenir au pouvoir avant d’en revenir, une fois celui-ci conquis, à une politique carbofasciste ? » [7]. Le village, le terroir, les travailleurs au champ ... de belles images à convoquer opportunément contre la dilution « mondialiste », comme l’a mis en lumière l’instrumentalisation par l’extrême droite en France et en Europe de la crise agricole de l’hiver 2024.

Car c’est bien le carbofascisme qui, partout, progresse ou triomphe. L’AfD, le parti allemand d’extrême droite qui remporte victoires sur victoires, s’emportait en 2023 contre l’« hystérie irrationnelle du CO2, qui détruit structurellement notre société, notre culture et nos modes de vie » [8] , et faisait l’apologie, sur ses affiches, du diesel, en revendiquant de pouvoir « rouler avec sa bagnole comme on veut. En France mais aussi en Italie, où l’extrême droite est déjà au pouvoir, on veut serrer les freins sur la transition énergétique et masquer sa politique écocidaire derrière le voile d’une relance nucléaire irréaliste. En Pologne, premier producteur européen de charbon, le parti d’extrême droite Confédération Liberté et Indépendance a choisi pour slogan : « une maison, une pelouse, un barbecue, deux voitures, des vacances ». Que dire de Donald Trump qui vient de nommer Chris Wright, ex-patron de l’entreprise d’exploration et de production pétrolière Stroud Energy, comme ministre de l’Energie, mais s’est aussi engagé à lever toutes les limitations au forage, fait l’éloge de la fracturation hydraulique, et veut maintenir le statut des États-Unis de premières puissance pétrolière du monde. Difficile, pour les forces écologistes et de gauche, de se tromper d’adversaire. « Partout dans le monde, remarque Mark Alizart, le véritable affrontement politique de notre temps se décante et se cristallise : ce n’est pas celui entre le centre mou libéral et le souverainisme conservateur, mais entre l’écosocialisme et le carbofascisme. [9]


[1Robert Paxton, Le fascisme en action, Paris, Seuil, 2004

[2Stéphane Foucart, Tout semble en place pour la réinvention du fascisme autour de la question environnementale », Le Monde, 17 novembre 2024.

[3Jean-Baptiste Fressoz, « Bolsonaro, Trump, Duterte…, La montée de l’écofascisme », Libération, 18 octobre 2018.

[4Pour se document sur l’écofascisme, ses théoriciens issus de la Nouvelle droite, ses courants et figure en France et aux États-Unis, se rapporter à l’ouvrage de Pierre Mandelin, La tentation écofasciste, Écosociaété 2023.

[5Pierre Madelin, La tentation écofasciste, Écosociété, 2023

[6Mark Alizart, Le coup d’État climatique, PUF, 2020

[7Op.cit.

[8Grégory Rzepski, Droites en fusion. Le Monde diplomatique, juin 2024.

[9Op.cit

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