
Dans les derniers trente ans (voir la dernière colonne du tableau ci-bas), les 50% les plus pauvres n’ont été responsables que de 16% des nouvelles émanations de GES alors que les 10% les plus riches l’ont été pour 45% :

Fait crucial à noter, le surgissement des pays émergents depuis 1990, en particulier de la Chine, combiné à la généralisation de l’austérité dans les pays du vieil impérialisme, fait qu’alors qu’en 1990 près des deux tiers des inégalités carbone étaient dus aux inégalités entre pays, ce sont celles à l’intérieur des pays qui expliquent la même proportion en 2019 :

Ces données reposent sur l’empreinte carbone, donc sur la consommation y compris la part de chaque individu pour les émanations de GES non seulement à partir directement du ménage privé mais aussi des dépenses par les gouvernements et des investissements privés en fonction du revenu du ménage et non de leur contrôle de la production. Si on se basait sur ce contrôle, la concentration de la responsabilité des émanations de GES est quasi invraisemblable : « Plus de 70 % de ces émissions historiques [1854 à 2022] de CO2 peuvent être attribuées à seulement 78 entreprises et États producteurs. »
Derrière les froides statistiques se cachent les banques de la « dirty dozen »
Si on prend seulement en compte le passé récent depuis 2016 soit depuis les Accords de Paris, « [l]e Top 10 est principalement dominé par les entités étatiques chinoises et russes. La production chinoise de charbon arrive ainsi largement en tête, représentant un quart des émissions mondiales sur la période. Viennent ensuite la société pétrolière publique Saudi Aramco (5% des émissions mondiales), le géant russe de l’énergie Gazprom (3,3%) et le producteur public indien de charbon Coal India (3%). Les majors occidentales sont quant à elles présentes dans le Top 20 : Exxon arrive 11e avec 1,4% des émissions, suivi de Shell, BP, Chevron ou encore TotalEnergies, qui se place 18e avec 1% des émissions mondiales. »

Ce serait cependant une grave erreur que de tout mettre sur le dos de la Chine et de la Russie. Derrière les grands émetteurs de GES sont embusquées les grandes institutions financières dont deux canadiennes qui font partie de la « dirty dozen ».

Quant à leur engagement climatique, prétextant la peur du trumpisme, elles fuient la pourtant futile Net-Zero Banking Alliance(NZBA) des Nations unies faisant partie de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ)… initié par le banquier (et futur Premier ministre du Canada ?) Mark Carney.
Ensuite, il faut creuser pour établir la responsabilité finale. Par exemple, on sait qu’une bonne part de la production manufacturière chinoise est destinée aux pays du vieil impérialisme. Ce n’est pas pour rien, n’en déplaise à Trump, que la balance commerciale des ÉU est fortement déficitaire. Quand on y pense, l’important déficit commercial des ÉU, qui dure depuis 1975, soit depuis 50 ans, n’est pas autre chose qu’une ponction sans rémunération sur les ressources du monde et, à revers, une exportation de GES non compensée. Derrière les rideaux, le sorcier d’Oz transforme ses dollars hégémoniques en pouvoir d’achat miraculeux bien appuyé sur une puissance économique et militaire… de plus en plus toussoteuse. Le comportement aberrant trumpien cache la conscience claire de l’irrémédiable déclin de (l’ex-)gendarme du monde prétendant équilibrer ses comptes et se repliant sur la forteresse nord-américaine.
L’énergivore American Way of Life de l’endettement, de l’isolement et de l’anxiété
Plus généralement, l’American Way of Life de la consommation de masse repose sur les piliers du complexe auto-bungalow imposé aux travailleurs-consommateurs et travailleuses-consommatrices par les choix productifs du grand capital et allègrement financé par les banques. D’où la contradiction entre fin du mois et fin du monde que confrontent les ménages populaires. L’American Way of Life, à la source de l’orgie de GES, soutenu par la Finance et la propagande capitaliste, appelée publicité, justifié par la « demande solvable » keynésienne, entretient des besoins insatiables jamais comblés huilant la machine à profits.
L’American Way of Life plonge la masse populaire dans l’insatisfaction permanente et l’anxiété de l’endettement restreignant sa liberté de riposter collectivement. Isolé dans son bungalow et dans son auto, l’humain de la modernité est condamné au malheur du stress permanent et de son corolaire de maladies chroniques et mentales. C’aurait été si simple, au début du XXe siècle, pour une société démocratique de choisir le logement collectif au lieu du bungalow et le transport collectif au lieu de l’auto solo, le tout dans une ville donnant la priorité aux piétons et à la verdure au sein d’une campagne assurant l’essentiel de l’approvisionnement végétarien sans ruiner les sols, sans dévaster les forêts et sans polluer les eaux. Il n’est pas trop tard pour bien faire.
Une esquisse de stratégie écosocialiste qui se heurte à la division entre le Nord et le Sud
De cette analyse sommaire on peut voir en filigrane l’esquisse de la stratégie pro-climat : mobiliser le 50% tout en ralliant le 40% pour écraser le 1% tout en neutralisant le 9%. Globalement, il y a une double difficulté. Le 50% le plus pauvre constitue la grande majorité de la population des pays du Sud lesquels pays sont cependant peu émetteurs de GES mais aussi peu influents au niveau mondial. Le 40% du milieu, mondialement parlant, qui s’accroche désespérément à l’American Way of Life forme la majorité de la population des pays du vieil impérialisme lesquels pays sont d’importants émetteurs de GES et influencent fortement la direction de la politique mondiale. En plus, les émissions de GES ont beau être sourcées nationalement et sectoriellement, leurs conséquences sont immédiatement mondiales.
Se pose, dès le départ, la nécessité d’une lutte mondiale mais qui ne peut que s’amorcer dans la nation qui reste le lieu central de la politique malgré l’éclatement économique des États à l’ère impérialisme. Pendant que dans le Sud se multiplient les luttes dont l’origine ou le fondement est souvent écologique mais sans aboutir, au Nord elles ne décollent pas sauf parfois en grande mobilisation sans lendemain ou en coups d’éclat médiatiques mais très minoritaires. Toutefois, les pays émergents, surtout la Chine mais aussi certains autres pays des BRICS + se caractérisent par une majoritaire masse appauvrie et une influence mondiale ou tout au moins régionale significative. Là sont peut-être les maillons faibles où jaillira l’étincelle qui mettra le feu à toute la plaine.
L’intensification de la crise climatique unifie le monde et s’articule avec la crise sociale
Est certesdémobilisante la désinformation climatique qui prétend à l’atteinte proche d’un sommet mondial d’émanations de GES laissant voir une descente rapide grâce à un renouvellement de la consommation de masse électrifié à coups d’autos solo électriques et d’une orgie d’énergie renouvelable ouvrant une nouvelle ère extractiviste tout aussi énergivore. Mais cette fake news est contredite par la réalité crue de la croissance à taux croissant de GES, mesurés directement dans l’atmosphère, qui fait de l’adaptation, mal pourtant nécessaire, un ridicule chien qui court après sa queue. L’incontournable réalité des catastrophes et des super-canicules climatiques allant croissant exponentiellement et qui n’épargne plus le Nord ramène implacablement sur le terrain des vaches. Elle y ramène d’autant plus que ces événements sur fond de tendance lourde s’articulent de plus en plus avec la crise sociale de la vie chère, du logement, des infrastructures détruites et des austérisés services publics débordés.
Il ne saurait être long que ces soulèvements massifs et prolongés qui ont en vain galvanisé le monde méditerranéen dans les années 2010 resurgissent dans l’un ou l’autre pays émergent. Elle pourrait même surgir dans les pays du vieil impérialisme où ces « classes moyennes » du 40%, s’appauvrissant et se précarisant davantage, en viennent à devenir une majorité acculée au pied du mur. La bourgeoisie mondiale a parfaitement compris le danger existentiel qui la confronte en répondant par la montée de l’extrême-droite déviant la colère populaire sur ces « classes moyennes » du Sud, instruites et sans emploi, qui montent en masse vers le Nord. À la gauche de sortir de ses confortables gonds centristes et électoralistes mobilisant pour une société solidaire de soins et de liens coupant radicalement avec la croissance matérielle des extractivismes ancien et nouveau.
Marc Bonhomme, 23 février 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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