Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
18 mars 2025
Par Mickaël Correia
« C’est une mesure extrêmement symbolique, se désole Gilles Ramstein, paléoclimatologue et directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement. En fermant Mauna Loa, Trump ne veut plus entendre parler de changement climatique. »
Comme l’a révélé le 14 mars un document obtenu par des démocrates du Congrès américain et communiqué au Washington Post, le département de l’efficacité gouvernementale (Doge), l’initiative de réduction « à la hache » des dépenses publiques conduite par le milliardaire Elon Musk, vient de proposer de résilier les baux de location de plusieurs bureaux de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (Noaa).
Parmi ces derniers figure le laboratoire de Hilo, basé à Hawaï. Avec la fin de son bail, il pourrait fermer ses portes dès août prochain pour une économie annuelle estimée de 150 692 dollars. Le bureau de Hilo est chargé du mythique observatoire climatique mondial de Mauna Loa.
Accrochée à près de 3 400 mètres d’altitude sur le flanc nord du volcan éponyme, cette station scientifique enregistre depuis 1958 la quantité de gaz à effet de serre qui réchauffe la planète. C’est dans cet observatoire des sciences du climat qu’est mesurée depuis le plus longtemps sur Terre la teneur en CO2 de l’atmosphère.
« Mauna Loa est un site clé qui a permis de découvrir que la concentration de CO2 atmosphérique augmentait au fil des années, et ce avec des mesures non perturbées par la végétation, les villes ou les émissions locales de gaz à effet de serre, précise à Mediapart Davide Faranda, directeur de recherche en climatologie au CNRS. Cette série de données sur un temps long et en continu, qui plus est avec un instrument situé depuis plus de soixante ans au même endroit, constitue une preuve très forte du dérèglement du climat. »
Le berceau mondial de la mesure du CO2
Le 29 mars 1958, le chercheur américain Charles Keeling, de l’institut d’océanographie Scripps (Californie), a commencé à mesurer quotidiennement depuis Mauna Loa le taux de CO2 dans l’atmosphère, établi lors de son premier relevé à 313 parties par million (ppm).
Dès 1961, opérant avec pugnacité ses relevés quotidiens, Keeling a observé une augmentation continue du CO2, une hausse qui ne cesse de se poursuivre aujourd’hui, au fur et à mesure que l’humanité brûle du pétrole, du gaz et du charbon. En mars 2025, la concentration de CO2 dans l’atmosphère mesurée à Mauna Loa a atteint 427 ppm.
Cette série de mesures sur un temps long a donné naissance à l’un des graphiques les plus célèbres de la planète : la courbe de Keeling, traduction géométrique limpide du changement climatique.
« Charles Keeling a depuis Mauna Loa établi une courbe claire et non discutable démontrant la modification de la concentration de CO2 dans l’atmosphère. En ce sens, Mauna Loa est un laboratoire pionnier », explique Gilles Ramstein. Directrice de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, et principale coordonnatrice pour le sixième rapport du Giec (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), Sophie Szopa ajoute : « La courbe de Keeling fait partie des éléments qui ont permis de démontrer l’accroissement du CO2 atmosphérique sous l’effet des émissions liées aux activités humaines et donc constitue un élément clé dans l’attribution du réchauffement climatique à ces activités. »
La courbe de Keeling représente la concentration de CO2 atmosphérique mesurée à Mauna Loa (Hawaï) depuis mars 1958. © Scripps Institution of Oceanography / UC San Diego
En 2007, un article paru dans Nature soulignait que la courbe de Keeling ne représente rien de moins qu’une des plus grandes « réalisations de la science du XXe siècle ». La prestigieuse revue scientifique rappelait que « la courbe du Mauna Loa, simple et sans ambiguïté, s’est imposée aux yeux de l’humanité, changeant notre vision du monde. […] Sans cette longue expérience de recherche, la prise de conscience du dérèglement climatique aurait été plus lente. »
Aujourd’hui, un site internet et un compte Xsont même dédiés à la fameuse courbe. En référence aux relevés de Mauna Loa, l’activiste écologiste Greta Thunberg indique dans sa biographie sur les réseaux sociaux être « née à 375 ppm » (janvier 2003). D’autres figures médiatiques se font prendre en photoavec leur « année de naissance ppm », pour dénoncer la combustion des énergies fossiles aux origines de l’accélération de la concentration atmosphérique de CO2 depuis la révolution industrielle.
Un indice climatique primordial
« Avant que Keeling ne mesure le CO2, on ne savait pas bien à quel point ce gaz était libéré dans l’atmosphère et absorbé par les océans ou la végétation, avance à Mediapart Aglaé Jézéquel, chercheuse au Laboratoire de météorologie dynamique. Nous savons aujourd’hui grâce à ses travaux que plus de la moitié du CO2 émis va directement dans l’atmosphère. D’ailleurs, la courbe en zigzag montre les variabilités de capture du carbone par la végétation, en fonction des saisons. »
À partir des ces premiers jeux de données de Keeling, « tout un pan de la recherche scientifique s’est construit », abonde Gilles Ramstein, avec notamment la création des modélisations informatiques du système climatique.
Aujourd’hui, la Noaa gèreà travers une cinquantaine de pays un réseau international de 216 stations qui mesurent les concentrations des différents gaz à effets de serre, des particules d’aérosols ou encore d’ozone pour comprendre les causes et les conséquences du réchauffement planétaire.
Ralph Keeling, fils de Charles Keeling et professeur de géochimie à l’institut d’océanographie Scripps, coordonne les mesures pour douze de ses observatoires mondiaux. Il explique à Mediapart : « La Noaa est la colonne vertébrale des efforts de recherche mondiaux pour la mesure des gaz à effet de serre. Les relevés de CO2 effectués à Mauna Loa sont le fleuron de cette vaste entreprise et représentent un indice climatique primordial, un peu comme l’indice Dow Jones Industrial Average est un indice économique central. »
Actuellement, une équipe de huit personnes travaille à la station de Mauna Loa. Davide Faranda confie auprès de Mediapart qu’une fermeture, même provisoire, de l’observatoire entraînera une discontinuité dans cette série de relevés et une perte d’expertise pour l’équipe qui maintenait le site. « On risque de perdre une preuve scientifique solide et cela ouvre la porte à d’autres théories non scientifiques concernant le rôle des activités humaines dans le dérèglement climatique », alerte le chercheur.
Par ailleurs, comme le souligne Aglaé Jézéquel, ces données enregistrées sont essentielles pour vérifier si on observe à l’échelle mondiale des efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Or, en 2024, année la plus chaude jamais mesurée sur Terre, « Mauna Loa a enregistré le taux de croissance le plus rapide de concentration atmosphérique de CO2, et ce depuis plus de soixante-cinq ans de collecte de données », indique Ralph Keeling.
En somme, en fermant Mauna Loa, Trump s’assure ainsi de casser le thermomètre le plus fiable du réchauffement global en cours.
Mickaël Correia
P.-S.
• Mediapart. 18 mars 2025 à 19h10 :
https://www.mediapart.fr/journal/international/180325/trump-veut-detruire-la-plus-ancienne-vigie-climatique-du-monde
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