On note d’abord des distorsions importantes entre la volonté populaire telle qu’exprimée dans l’urne et la composition de l’Assemblée nationale. La CAQ a en effet pu décrocher un gouvernement majoritaire avec la proportion de votes la plus faible dans l’histoire du Québec : 37,4%. Elle a fait élire 59% des députés, soit 74, tandis que le Parti québécois et Québec solidaire n’ont remporté que 16% des sièges (20 députés) avec 33% des suffrages. Le premier ministre Legault est ainsi devenu un ‘monarque élu’ dont le parti n’a reçu l’appui que de 24.5% de l’ensemble du corps électoral.
Autres aberrations : en 1944, 1966 et 1998, c’est le parti qui s’est classé deuxième dans les suffrages populaires qui a fait élire le plus grand nombre de députés ; donc s’est retrouvé au pouvoir. Il s’agit là d’un renversement de la volonté populaire. De plus, en 1948 et 1973, le parti porté au pouvoir s’est vu attribuer quelque 90% des sièges n’en laissant qu’une poignée aux partis d’opposition qui avaient pourtant obtenu quelque 40% des suffrages.
Plus de la moitié des votes ne comptent pas
La deuxième anomalie est encore plus grave. Même si nous sommes dans un régime de démocratie représentative, les suffrages d’une majorité d’électeurs ne comptent pas dans le choix des membres de l’Assemblée nationale. En effet, les votes de tous ceux qui n’ont pas appuyé le député élu dans leur circonscription n’ont aucun poids. C’est comme si on jetait es bulletins dans une poubelle plutôt que de les déposer dans l’urne. En 2018, les votes enregistrés par 54,5% des électeurs ont ainsi été ignorés parce qu’ils s’étaient exprimés en faveur de candidats défaits. Les 125 députés élus ne l’ont été que par seulement 45.5% des électeurs ayant voté.
Deux tentatives infructueuses
Vers la fin des années 1960, sous l’impulsion de René Lévesque, une campagne s’est amorcée pour remplacer le mode de scrutin majoritaire par un scrutin proportionnel où tous les votes compteraient et où les partis seraient traités avec équité en obtenant une représentation parlementaire proportionnelle à leur appui électoral (exemple : 40% des votes, 40% des députés).
Mais un demi siècle plus tard cette saga éprouvante n’a pas encore abouti même si pratiquement tous les partis qui ont été représentés à l’Assemblée nationale l’ont appuyé lorsqu’ils étaient dans l’opposition quitte à effectuer une volte-face opportuniste une fois rendus au pouvoir.
Il y a eu jusqu’ici deux processus gouvernementaux pour réformer le mode de scrutin :
– En 1984, René Lévesque, ayant l’aval du Conseil des ministres, s’apprêtait à déposer un projet de loi instaurant une proportionnelle régionale. Mais, réunis d’urgence en caucus, plusieurs députés péquistes ont menacé de voter contre son adoption. Le premier ministre n’a pas eu d’autre choix que de le retirer subissant ainsi un des pires camouflets de sa carrière politique.
– En 2006, le gouvernement Charest –qui avait présenté un avant-projet de loi en 2004- a retraité sous la pression de députés libéraux qui craignaient de perdre leurs sièges. Pourtant, en 2003, quelque 1,000 citoyens venant de toutes les circonscriptions québécoises avaient appuyé à plus de 80% l’instauration d’un scrutin proportionnel lors d’États généraux sur la réforme des institutions démocratiques. De plus, près de 2,000 autres s’étaient prononcés en faveur des principes directeurs de l’avant projet de loi libéral lors des consultations tenues en 2005-2006.
Tentative de réforme, prise 3
Comme ça s’était produit entre 1985 et 1999, les partis dominants ont fait le silence sur la réforme du mode de scrutin à l’Assemblée nationale entre 2006 et 2015. Les députés de Québec solidaires ont souvent tenté de remettre la question sur le tapis mais en vain. Le PQ a même biffé de son programme, lors de son congrès 2011, toute référence à l’engagement d’instaurer un scrutin proportionnel qu’il avait pris à son premier congrès en 1969 soit 50 ans plus tôt
C’est alors qu’est entrée en scène une association citoyenne transpartisane, le Mouvement pour une démocratie nouvelle (MDN) qui, depuis 1999, coordonne la lutte populaire en faveur du scrutin proportionnel avec l’appui de plusieurs organisations de masse progressistes comme les centrales syndicales et des mouvements nationalistes. Cette dernière a réussi, en 2015 à réunir autour d’une même table des représentants de tous les partis représentés à l’Assemblée nationale pour explorer la possibilité d’instaurer un scrutin proportionnel.
En mai 2016, malgré la défection du gouvernement libéral, la démarche a abouti à la signature d’une entente multipartite où la CAQ, le PQ, Québec solidaire et le Parti vert se sont engagés – s’ils étaient portés au pouvoir en octobre 2018 - à présenter, d’ici le 1er octobre 2019, un projet de loi instaurant un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire avec liste régionales. L’entente, signée par François Legault en tant que chef de la CAQ, prévoit notamment que « les député-e-s de l’Assemblée nationale seraient élu-e-s à partir de la 43e législature » selon ce nouveau mode de scrutin. Cela signifie que le nouveau système serait instauré à temps pour les prochaines élections générales.
Ce type de scrutin, qui s’inspire de celui que l’Écosse, prévoit – pour que la proportionnalité des résultats soit assurée - que 60% des députés sont élus au scrutin majoritaire dans des circonscriptions uninominales comme maintenant tandis que 40% sont élus à la proportionnelle (scrutin de liste) à partir de circonscriptions régionales comptant plusieurs députés. L’élection de ces derniers corrige les distorsions de représentation causées par le scrutin majoritaire d’où le qualificatif ‘compensatoire’. Dans une assemblée qui compte 125 députés cela donnerait 75 députés locaux élus au scrutin majoritaire et 50 élus au scrutin proportionnel au niveau des régions.
Avant tout, une question de volonté politique
En avril dernier, l’ensemble des députés de l’Assemblée nationale, y compris les libéraux, ont adopté une motion réaffirmant les principes de l’entente multipartite de mai 2018. Puis, en juin, un sondage Léger Maketing a révélé que 70% des Québécois s’attendent à ce que le gouvernement Legault respecte son engagement formel de réformer le mode de scrutin. Commentant ce sondage la ministre Sonia LeBel, responsable du dossier, a estimé qu’il existait un « consensus » pour effectuer la réforme.
Par contre, plusieurs députés caquistes, craignant de perdre leur siège, ont réclamé en juin la tenue d’un référendum sur la question. Le premier ministre Legault, qui avait écarté cette idée quelques semaines plus tôt, a dit qu’il y réfléchissait après ces réactions négatives. Il a même nié s’être engagé à effectuer la réforme avant les prochaines élections.
Le scénario de rejet qui est survenu avec les députés péquistes en 1984 et les députés libéraux en 2006 se reproduira-t-il dans le cas de la CAQ ? On le saura cet automne. On se souvient qu’en 2017 le premier ministre Trudeau a abandonné l’engagement phare que son parti avait pris lors des élections de 2015 de réformer le mode de scrutin avant les élections fédérales qui auront lieu le 21 octobre prochain. Souhaitons que François Legault ne fasse pas un Justin Trudeau de lui-même.
François Legault signant l’entente multipartite sur la réforme du mode de scrutin en compagnie des autres chefs des partis d’opposition. La scène s’est déroulée le 9 mai 2018 au Parlement de Québec.
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