Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Le projet de loi 62 est complètement inutile

L’abandon par le gouvernement du volet du projet de loi 59 portant sur le discours haineux a permis à cette législation de progresser, moyennant cette amputation considérable, et éventuellement d’aboutir à une série de changements législatifs mineurs s’inscrivant dans la très vague politique de prévention de la radicalisation. Ce déblocage permet maintenant au projet de loi 62, sur la neutralité de l’État, de revenir dans l’agenda législatif. Déjà, les quatre partis à l’Assemblée nationale se positionnent sur le sujet, comme le relate un récent texte dans Le Devoir.[i] Voici où en est ma réflexion sur le sujet.[ii]

Tiré du blogue de l’auteur.

Rien pour la laïcité

Il n’apporte rien sur le plan de la laïcité. D’abord, il n’utilise même pas le mot, préférant la périphrase « neutralité de l’État » qui ne couvre qu’une petite partie de la définition du concept de laïcité. Cette vision tronquée n’est pas qu’une réponse à l’abus du terme par le gouvernement précédent, lequel se réclamait de la laïcité pour imposer en fait une légalisation de la discrimination contre les personnes sur la base de la visibilité de leur appartenance religieuse. Les Libéraux ne veulent pas de la laïcité parce qu’ils défendent les privilèges fiscaux et les fonds publics accordés à des institutions religieuses comme les écoles confessionnelles. S’il y a une entorse au principe de la séparation des Églises et de l’État au Québec, c’est bien celle-là ! Mais le PL62 ne fait rien pour y remédier. Aussi, les Libéraux (comme le PQ et la CAQ !) n’osent pas poser le geste symbolique élémentaire consistant à retirer le crucifix qui trône au-dessus du siège de la présidence de l’Assemblée nationale, installé par Duplessis précisément pour signaler l’union de l’Église et de l’État.

Toute la partie du projet de loi qui parle de la neutralité de l’État est donc vide de sens. La seule fonction véritable du PL62 est d’interdire aux femmes qui portent des vêtements cachant leur visage d’offrir ou de recevoir des services publics. Cette partie du projet est tout aussi inutile que l’autre et même potentiellement nuisible.

D’abord, il y a très peu de femmes au Québec qui cachent leur visage. Une centaine peut-être ? Et de celles-ci, AUCUNE, à notre connaissance, n’occupe présentement un poste dans la fonction publique ou les services publics.[iii] Il s’agit donc, pour ce volet de la règle du « visage découvert », d’interdire quelque chose qui n’existe pas. (Allons-nous aussi adopter une loi pour interdire de faire des barbecues au mois de janvier ou de faire du camping sur la Lune ?) Et la logique de cette situation est facile à comprendre. Le fait de porter de tels vêtements dans notre société constitue un geste exceptionnel qui conduit inévitablement à la marginalisation des personnes concernées. Que cette marginalisation soit volontaire ou subie, il ne sert à rien d’y ajouter une sanction légale pour la justifier a posteriori. On devrait plutôt se questionner sur le problème de la marginalisation de ces femmes.

Bloquer accès à quels services ? Et de quel droit ?

Pour ce qui est le recevoir des services le visage couvert, nous pouvons anticiper deux types de situation, aucune d’entre elle ne justifiant cette intervention législative. D’abord, dans plusieurs services publics, l’imposition de normes vestimentaires serait totalement contraire à l’éthique des professions concernées. On ne refuse pas de soigner une personne quand on est infirmière ou médecin sur la base de ses choix vestimentaires. Même chose pour le travail social ou l’aide psychologique. Pour les autres services, comme en éducation, un code vestimentaire s’impose déjà et il ne sert à rien de renforcer celui-ci par de nouvelles mesures législatives. Aussi, les femmes qui portent ces vêtements ne sont pas dénuées de raison et savent très bien qu’elles doivent retirer leur voile à des fins d’identification, par exemple. Ce qu’elles font à chaque fois que c’est nécessaire.

Tout le psychodrame collectif autour du serment de citoyenneté lors de la dernière campagne fédérale, comme celui sur le vote à visage couvert à la précédente, sont de faux débats alimentés par des représentations sociales sans fondement et des médias sensationnalistes. Il est déjà obligatoire de s’identifier pour voter.

Contre la stratégie de l’appaisement

On nous dira que l’imposition de la règle du « visage découvert » aurait une vertu politique consistant à calmer les ardeurs des partisans de mesures plus restrictives visant les signes d’appartenance religieuse. Il n’en est rien. Déjà, les partis et organisation qui défendaient en 2013 la Charte des valeurs sont montés aux barricades en pointant du doigt le cas obscur du tchador, un vêtement qui cache tout SAUF le visage, et qui est tout aussi inacceptable à leurs yeux.

Jamais les personnes qui veulent légaliser la discrimination contre les personnes trop visiblement musulmanes à leur goût ne seront satisfaites par une mesure comme celle que propose le PL62. Au contraire, l’adoption de la demi-mesure proposée par les Libéraux (ou des restrictions encore plus importantes proposées par Bouchard-Taylor) aura pour effet de conforter ces personnes dans leur impression à l’effet qu’il y a un problème et que la répression légale constitue une manière efficace d’y répondre. Nous n’avons qu’à observer ce qui s’est passé en France depuis l’interdiction du foulard dans les écoles publiques pour comprendre que le chemin de l’interdiction est une pente glissante qui ne finit pas de nous enfoncer dans la boue nauséabonde de la discrimination et de l’intolérance. Après cette première interdiction, visant les adolescentes dans les lycées, on a voulu interdire le port du foulard dans les entreprises privées, pour les mères participant aux sorties scolaires, etc. On s’est mis à mesurer la longueur des jupes des lycéennes, car les trop longues sont considérées « ostentatoires » ! On a ajouté l’interdiction des vêtements couvrant le visage dans les transports publics. Et au bout du compte, le Front national est le premier parti au pays et les attentats commis par des jeunes musulmans nés en France ont horrifié le monde entier.

Québec solidaire doit répondre au PL62 par un rejet en bloc, à la fois au nom d’une vision plus rigoureuse de la laïcité des institutions, d’une vision rationnelle de la place réelle des vêtements couvrant le visage dans notre société et une défense des droits des femmes qui les portent. Il faut en finir avec la recherche illusoire d’un juste milieu entre le respect des droits et la légalisation de la discrimination. Ainsi, nous pourrons à la fois être de meilleurs défenseurs de la laïcité que le Parti québécois et de meilleurs défenseurs des droits de la personne que les Libéraux. Tel est le profil que le parti peut et devrait se donner dans ces débats difficiles qui n’ont pas fini de nous occuper.

Notes

[i] http://www.ledevoir.com/politique/quebec/480395/rentree-a-l-assemblee-nationale-le-debat-sur-la-laicite-de-l-etat-reprend-le-dessus?utm_source=infolettre-2016-09-20&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne

[ii] L’auteur a été impliqué à la Commission thématique sur l’intégration citoyenne à différents moments, incluant la rédaction du mémoire de QS à la commission Bouchard-Taylor. Il était responsable de cette CT et membre de la Commission politique jusqu’en juin 2016.

[iii] Quand les Conservateurs de Harper ont soulevé l’hypothèse d’une loi fédérale inspirée directement du PL62, les syndicats de la fonction publique fédérale ont répondu ensemble que les Conservateurs devraient commencer par trouver une seule fonctionnaire portant un niqab. On attend encore la réponse… 

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