Le concept de la mixité égalitaire suggère que le Québec se dote d’une vision égalitaire incontournable, intégrée (built in) et transversale de la gouvernance. Tous les organismes publics et privés bénéficiant du financement de l’État se doteraient d’instances décisionnelles formées d’hommes et de femmes, dans une proportion 40-60. Si la mixité obligatoire n’assure pas automatiquement la parité, elle en est fortement porteuse.
Quoi que puissent en penser certains élus et citoyens, la démocratie n’est pas un concept figé. Dans la foulée des multiples étapes qui ont enrichi la plus impressionnante invention de l’humanité, le pas le plus urgent à franchir en 2015 est celui d’une gouvernance partagée également par les hommes et les femmes.
Le concept que je développe depuis 10 ans suscite de plus en plus d’intérêt. Ici et ailleurs, j’ai accompagné des militantes et des aspirantes candidates vers l’engagement politique. Ma foi en une parité qui serait atteinte par petits pas s’est émoussée lorsque j’ai pris la mesure des défis qu’elles avaient à relever au sein d’instances toujours à majorité masculine. Une fois élues, j’en ai trop vues intégrer allègrement le modus vivendi masculin de la gouvernance et, souvent, se contenter de jouer les faire-valoir. Là n’était pas motivation.
Dès mes premières interventions auprès de femmes attirées par la chose publique, c’est à une gouvernance mixte égalitaire que je pensais. Mais je ne le disais pas encore ainsi. C’est au fil des expériences et des observations faites au Québec et dans certains pays où j’étais invitée que j’ai formulé le concept de la mixité égalitaire.
Lorsque, il y a six ans, j’ai commencé à en parler, le momentum n’y était pas. Les femmes et certains hommes mettaient alors leurs espoirs sur les quotas et les mesures d’action positive. Pourtant, même les timides propositions faites à différentes commissions parlementaires n’ont eu aucun écho. Toutes les raisons étaient bonnes pour maintenir le statu quo. Les partis étaient les premiers à balayer du revers de la main les demandes des femmes. Raisons évoquées : quand ce n’était les contraintes de la démocratie dans leurs associations locales, c’était la difficulté de trouver des femmes compétentes, voire l’absence d’intérêt des femmes.
En 2015, les choses sont-elles en train de changer ? Récemment, ma collègue Pascale Navarro et moi-même étions invitées à présenter le concept de la mixité égalitaire à quelques députées. Aujourd’hui, le principe de la justice citoyenne amène bon nombre de femmes engagées à mettre en parallèle le concept de la territorialité et celui du genre dans les institutions démocratiques. Comme moi, elles croient que territorialité et genre sont des clés incontournables de la justice démocratique.
L’égalité dont nous jouissons dans notre vie quotidienne n’est plus suffisante. Nous voulons des instances décisionnelles où la vision des femmes ait le même poids que celle des hommes. Que les femmes, pas plus que les hommes, ne soient clonées, nous le savons ! C’est justement cette riche diversité qui prend d’abord racine dans les genres que nous souhaitons. Des SOS ont récemment été lancés, entre autres par la Fédération des femmes du Québec et par la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec.
On ne voit plus de traces de l’analyse différenciée selon les sexes, intégrée dans la machine gouvernementale il y a près de vingt ans. Qu’est devenu l’outil de planification issu de la Conférence de Beijing ?
De tout temps, la recherche de la justice a nourri les architectes de la démocratie. Depuis sa naissance dans les agoras athéniennes, la plus impressionnante invention de l’humanité s’est enrichie de principes et de pratiques visant l’inclusion citoyenne. Après les débats publics de quelques hommes triés sur le volet, au Moyen-Âge des représentants de corporations s’associent à la gouvernance des villes. Plus tard, Montesquieu met en lumière les vertus du partage des pouvoirs. Enfin, les hommes américains et français obtiennent le droit de vote. Depuis, l’âge et le statut des personnes autorisées à voter n’ont cessé d’évoluer. Au Canada, le droit de vote, accordé d’abord aux hommes propriétaires, s’est progressivement appliqué à tous les hommes, aux femmes et aux autochtones.
Ces pas anciens et récents visant la justice citoyenne nous rappellent que la démocratie n’est pas achevée. La principale étape restant à franchir est celle d’une mixité égalitaire partout où se décident le quotidien et le futur de notre société. Le Québec, perçu jusqu’à récemment comme avant-gardiste en matière d’égalité, a une belle occasion de se démarquer par sa créativité démocratique ?