Édition du 17 décembre 2024

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Environnement

Au Canada comme ailleurs : quelques raisons pour lesquelles les syndicats doivent rejoindre la lutte pour le climat

Naomie Klein, 1ier septembre 2013,
Traduction, Alexandra Cyr

Note de la traductrice : Ce discours de N. Klien a eut lieu lors du Congrès de fondation du nouveau syndicat, Unifor le premier septembre 2013. Son contenu a paru encore suffisamment pertinent sous beaucoup de rapports, pour que le comité de rédaction de Presse-toi à gauche décide de le traduire et de le publier.

Je suis si heureuse et honorée de partager ce moment historique avec vous aujourd’hui.

L’énergie dans cette salle et l’espoir que fait naitre la fondation de ce nouveau syndicat partout dans le pays, est contagieuse.

J’ai l’impression que ce pourrait être le début de la riposte que nous avons tant attendue, celle qui chassera Harper du pouvoir et restaurera celui de la classe ouvrière du Canada.

Donc, soyez les bienvenus-es dans le monde d’Unifor.

Beaucoup de médias ont mis l’accent sur l’ampleur d’Unifor : le plus gros syndicat du secteur privé au Canada. Être gros peut-être utile quand les travailleurs-euses de ce pays font face à autant d’attaques. Mais ce n’est pas une victoire pour autant.
La victoire arrivera quand cette organisation géante que vous venez tout juste de créer deviendra un lieu pour penser grand, pour rêver grand, pour exprimer de grandes exigences et de grandes actions. Le genre d’actions qui vont renouveler l’imagination publique et nous faire changer d’idée sur ce qui est possible ou non.
C’est de ce genre de grandeur dont je veux vous parler aujourd’hui.

Certains-es d’entre vous connaissent mon livre, La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre. J’y démontre qu’au cours des 35 dernières années, les intérêts corporatifs ont systématiquement exploité diverses formes de crises : crises économiques, désastres naturels, guerres, dans le but de démolir les régulations, de diminuer les dépenses sociales et de pousser à la privatisation sur une grande échelle. Tout cela pour enrichir une petite élite.

Comme l’ont bien exposé Jim Stanford et Fred Wilson dans le document présentant la vision d’Unifor, le genre d’attaques que subit la classe ouvrière au Canada comme partout dans le monde en ce moment même, est un cas classique de la stratégie du choc.

On ne manque pas d’exemples : la baisse magistrale des salaires, les mises à pied des travailleurs-euses du secteur public en Grêce, les attaques contre les fonds de pension à Détroit dans la foulée de la faillite bien orchestrée de la ville, et le gouvernement Harper, ici au Canada, qui se sert des syndicats comme boucs émissaires pour justifier les échecs de ses propres politiques.

Je ne veux pas prendre plus de temps pour vous prouver que la misérable tactique d’exploitation de la peur populaire pour gagner des bénéfices privés est toujours en action. Vous le savez déjà, vous vivez ici.

Je veux vous parler de la manière de la combattre.

Je vais être honnête avec vous : quand j’ai écrit mon livre je pensais que comprendre comment la tactique fonctionne et se mobiliser pour y résister serait suffisant pour l’arrêter. Nous avions même élaboré un slogan : « L’information c’est la résistance au choc. Organisez-vous » !

Je dois admettre que je me trompais. Le seul fait de savoir ce qui se passe, rejeter leurs discours, dire aux politiciens-nes et aux banquiers-ères : « Nous ne paierons pas pour votre crise » ou « Non, nous ne sommes pas sans le sou. C’est vous qui avez amassé toute la richesse », peut être vrai, bien sûr, mais ça ne suffit pas.
Ça ne suffit pas même quand vous mobilisez des millions de gens dans les rues qui scandent : « Nous ne paierons pas pour votre crise ». Soyons réalistes : nous avons vu des mobilisations massives contre l’austérité en Grèce, en Espagne, en Italie, en France et en Grande Bretagne. Nous avons occupé Wall Strret et Bay Street et un nombre infini d’autres rues. Et les attaques continuent.

Certains nouveaux mouvements ont vu le jour au cours des dernières années et ont réussi à avoir un certain pouvoir. Mais beaucoup trop d’entre eux suscitent d’immenses espoirs et par la suite semblent disparaitre ou s’éteignent.
La raison de cette situation est simple. On essaye d’organiser sur les ruines des trente années de guerre contre les gains collectifs et les droits des travailleurs-euses. Les jeunes qui vivent dans les rues sont les enfants de cette guerre.

Et cette guerre a été si victorieuse, si totale, que trop souvent ces mouvements sociaux n’ont plus de lieux pour s’organiser. Ils doivent occuper un parc, un square pour tenir leurs réunions. Ils peuvent être capables de construire un certain pouvoir de base dans leurs écoles mais, par nature, c’est transitoire et tout aura disparu dans quelques années.

Être ainsi transitoire les rends vulnérables à toute manœuvre d’éviction par application de la force brutale de l’État. Trop souvent, i l n’y a qu’a attendre qu’ils disparaissent « naturellement ».

C’est une des multiples raisons pour laquelle la création d’Unifor avec votre promesse de ressusciter le syndicalisme de combat et de développer également un vaste réseau de mouvements sociaux solides auxquels vous serez lié, suscite beaucoup d’espoirs.

Parce que nous avons besoin des uns et des autres.

La contribution du nouveau mouvement social est importante. Il apporte l’habileté de mobiliser largement, une réelle diversité, la volonté de prendre de grands risques. Il utilise de nouvelles méthodes d’organisation dont un engagement envers la démocratie la plus complète.

Mais il a aussi besoin de vous. Il a besoin de vos liens institutionnels, de votre histoire radicale et probablement le plus important, de votre capacité à agir comme ancrage de telle sorte qu’ils ne passent pas continuellement du développement à la disparition.

Nous avons besoin de vous pour avoir une adresse fixe, pour établir notre camp de base pour qu’on ne nous expulse plus.

Nous avons aussi besoin de vos habiletés d’organisation. Nous avons besoin d’examiner ensemble comment nous pouvons construire de vigoureuses nouvelles structures dans les débris du néolibéralisme. Votre idée de « chapitres communautaires » est un magnifique début.

Il est aussi important de se rappeler que vous ne partez pas de zéro. Un remarquable groupe de personnes s’est réuni à l’Assemblée de Port Elgin et a produit ce qui s’appelle le programme contre le gouvernement Harper. Le message le plus important qui ressort de tout cela, c’est que nos coalitions ne peuvent se construire du haut vers le bas par arrangements entre dirigeants-es. Le changement doit venir du bas vers le haut avec un plein engagement de la part des membres.

Cela veut dire d’investir dans l’éducation. Enseigner l’idéologie et les raisons structurelles qui ont fait que nous en sommes là où nous sommes en ce moment. Si nous voulons construire un nouveau monde, nous devons avoir de solides fondements.

Cela veut aussi dire de sortir de nos bureaux et d’aller voir le monde face à face. Pas seulement le grand public ou les médias mais nos propres membres pour les revigorer avec les analyses que nous partageons.

Et il y a encore autre chose, une autre raison pour laquelle nous ne réussissons pas à faire des gains significatifs contre la doctrine du choc. Même quand la résistance de masse s’exerce contre les programmes d’austérité, même quand nous comprenons bien comment nous en sommes là, quelque chose nous empêche collectivement de rejeter à fond le programme néolibéral. J’ai le sentiment que nous ne sommes pas complètements convaincus-es qu’il est possible de construire quelque chose d’autre.

Ma génération et les plus jeunes, connaissons bien ce que sont les dérégulations, les privatisations et les coupes de budget. Mais nous avons peu d’expérience pour construire nos rêves. Nous ne faisons que nous défendre. C’est ce que nous avons fini par comprendre de fondamental en luttant contre la doctrine du choc. Nous ne pouvons nous contenter de rejeter le discours dominant sur la manière dont le monde fonctionne. Nous devons absolument avoir notre propre discours sur ce qu’il devrait être. Nous ne pouvons nous limiter à dénoncer leurs mensonges. Nous devons diffuser des vérités si puissantes qu’elles les feront fondre. Nous ne pouvons nous contenter de rejeter leur projet. Il nous faut notre propre projet. Nous savons maintenant ce qu’est le projet Harper ; il n’a qu’une seule idée pour développer notre économie.

L’idée unique de M. Harper

Creuser des puits et aligner des tuyaux ; pomper le produit dans des bateaux, des camions ou des voitures de chemin de fer et le conduire là où il sera raffiné et brulé. Répétez la formule plus abondamment et plus vite. Il agit avant que qui que ce soit ait compris que c’est son idée unique qui lui a permis de maintenir l’illusion qu’il était le meilleur administrateur économique, le plus responsable, alors que le reste de l’économie tombe en morceaux.

C’est ce qui devient si important pour ce gouvernement ; il doit accélérer la production du gaz et du pétrole à une vitesse outrageante. C’est pourquoi il a déclaré la guerre à ceux et celles qui se mettent dans son chemin que ce soit les environnementalistes, les Premières Nations ou les autres communautés. C’est pourquoi également, il est d’accord pour sacrifier la base manufacturière du pays, pour faire la guerre aux travailleurs-euses, pour attaquer nos droits les plus fondamentaux
.
Il ne s’agit pas seulement d’extraire des ressources déterminées. M. Harper représente une version extrême d’une vision particulière du monde. Celle que je qualifie parfois d’« extrativiste ». En d’autres temps on aurait simplement dit : capitalisme.

L’extractivisme

C’est une conception du monde basée sur l’idée de retirer et retirer encore (de la nature, n.d.t.) sans jamais rien y remettre. Retirer comme s’il n’y avait pas de limites, pas de limites aux capacités physiques des travailleurs-euses, et sans considération pour les dommages infligés à la santé, aux familles, aux tissu social et aux droits humains.

Quand la crise arrive il n’y a qu’une solution : retirer encore plus et encore plus vite, sur tous les fronts. Donc si nous voulons battre cela, nous devons élaborer notre propre discours.

Le climat change, ne détournez pas les yeux

Je veux vous transmettre ce que je crois être le plus puissant contre discours qui soit contre cette logique brutale encore jamais vue.

Voilà de quoi il s’agit. L’actuel modèle économique ne mène pas seulement la guerre aux travailleurs-euses, aux communautés, aux services publics et aux filets de protection sociale. Il mène la guerre au système fondamental de la vie sur terre, aux conditions de vie sur terre.

Le climat change. Ce n’est plus un simple enjeu à ajouter à ceux qui vous préoccupent déjà. C’est un cri de civilisation. C’est un puissant message qui s’exprime à travers les feux, les inondations, les tempêtes et les sécheresses. Il nous indique que nous avons besoin d’un autre modèle économique basé sur la justice et le développement durable.

Il nous dit aussi que lorsque l’on retire on doit aussi redonner ; qu’il existe des limites à ne pas dépasser, que l’avenir de notre santé ne repose pas sur de plus en plus de forages mais sur de plus en plus d’examen de nous-mêmes pour comprendre que TOUS nos besoins sont interconnectés.

Et, encore une dernière chose : nous devons procéder à la transition, comme nous l’avons fait dans le passé. Parce que nos émissions vont exactement dans la mauvaise direction et il ne nous reste que peu de temps.

Je suis bien consciente que parler des changements climatiques peut mettre mal à l’aise ceux et celles de vos membres qui travaillent dans l’industrie de l’extraction ou dans le secteur qui manufacture les produits liés à l’utilisation intensive des énergies fossiles comme les autos et les avions. Je sais aussi, que malgré vos peurs personnelles, vous n’avez pas rejoint le camp des négationnistes comme certains-es de vos collègues américains-es. Au contraire, dans vos syndicats antérieurs vous avez inscrit toutes sortes de politiques en faveur du climat.

Et ce n’est pas une conversion récente non plus. Le Syndicat canadien des communications et de l’énergie a courageusement lutté en faveur de l’accord de Kyoto depuis les années quatre-vingt-dix. Le Syndicat des travailleurs canadiens de l’auto a combattu la destruction environnementale insufflée par les traités de libre échange depuis encore plus longtemps. L’ancien président du Syndicat des communications et de l’énergie, Dave Coles, a même été arrêté dans la lutte contre l’oléoduc Keystone XL. C’est héroïque.

Alors, comment dire cela poliment ? Je pense qu’il est correct de dire que les changements climatiques, traditionnellement, ne soulèvent pas les passions chez vos membres. Je peux comprendre, je ne suis pas une environnementaliste. J’ai passé ma vie d’adulte à lutter pour la justice économique à l’intérieur de nos pays et entre les pays. Je me suis opposée à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) non pas parce que les dauphins étaient attaqués mais à cause des effets sur les populations et sur nos démocraties.

Ce que je veux vous dire, c’est que les changements climatiques, quand la totalité de leurs implications économiques et morales seront comprises, sont l’arme la plus puissante que les progressistes n’aient jamais eu pour mener la lutte pour l’égalité et la justice sociale.

Mais il faut cesser de fuir la crise climatique, cesser de la confier aux seuls-es environnementalistes et l’examiner. Prenons conscience que la révolution industrielle qui généré la société prospère qui est la nôtre a, au passage déstabilisé la nature dont toute vie dépends. Je ne vais pas vous inonder avec des listes de chiffres. Mais je vais quand même vous rappeler que la Banque mondiale dit que nous sommes sur le chemin des quatre degrés de plus de la température. L’Agence internationale de l’énergie, dont on ne peut pas dire qu’elle fait partie du camp des environnementalistes radicaux, dit que les calculs de la Banque mondiale sont trop optimistes. C’est une augmentation de six degrés qui va marquer notre siècle. Et elle ajoute : « cela aura des implications catastrophiques pour nous tous et toutes ». C’est encore trop peu dire : nous n’en sommes qu’à un degré d’augmentation et voyez ce qui se passe.

Les changements climatiques c’est maintenant

97% des glaciers du Groenland fondaient l’été dernier. Comme le dit Bill McKibben nous nous sommes emparés d’une des plus grands atouts de la planète et nous l’avons fracassée. Il y a aussi les événements climatiques extrêmes. J’étais à Fort McMurray cet été et tous les biens que le musée municipal possède flottaient sur l’eau.

Je tentais de rencontrer des représentants de grandes pétrolières. Mais tous leurs sièges sociaux à Calgary étaient vides. Le centre ville était dans le noir et se sortait péniblement de la pire inondation qui y soit jamais arrivée. Le NPD de la province n’a même pas eu le courage de dire : « C’est ce que donnent les changements climatiques et nous allons en avoir de plus en plus si les compagnies pétrolières continuent leur développement ». Nous le savons, l’urgence en matière de climat ne fera que devenir de plus en plus affreuse. Et nos excuses pour ne rien faire sont en train de fondre.

S’engager dans la lutte pour le climat ne veut pas dire de laisser tomber tout le reste dont vous vous occupez déjà et de ne vous consacrer qu’à l’environnement. Je ne vous demande pas cela.

Les changements climatiques au cœur de toutes les revendications

Je soutiens que la menace des changements climatiques rend la lutte contre l’austérité encore plus urgente. Nous avons besoin de services publics, d’infrastructures publiques pour à la fois, diminuer nos émissions de gaz à effet de serre et pour nous préparer aux tempêtes à venir. Loin de repousser les autres enjeux, les changements climatiques vont nous permettre de défendre avec succès tout ce qui reste de ce que nous avons demandé depuis des décennies.

En fait, les changements climatiques amplifient le niveau de nos revendications et en plus leur donnent une solide base scientifique. Cela exige que nous soyons forts, ambitieux-euses pour réussir. Parce que nous ne pouvons nous permettre d’échouer encore une fois. Cela doit aussi, d’urgence, électriser notre vision d’un monde meilleur.

Pas besoin d’ajouter que faire face à la crise climatique, exige que nous éliminions toutes les règles du manuel des marchés libres. Il est urgent que nous le fassions.

Action pour le climat : le programme de la gauche

Je vais vous exposer brièvement ce que, selon moi, devrait être un véritable plan d’action de la lutte pour le climat. Ce n’est pas ce dont nous parle les grands groupes verts américains alignés sur les non sens des marchés, comme changer vos ampoules électriques, ouvrir des marchés du carbone et d’autres systèmes de compensation. Je vous parle du véritable marché, celui qui va au cœur du problème de la folle augmentation de nos GES. Vous allez vous rendre compte que ça va vous sembler familier. La majorité de ce programme est déjà inscrite dans le plan de votre nouveau syndicat. Et c’est aussi en lien avec tout ce pourquoi vous avez combattu dans le passé.

Premièrement, nous devons réanimer et réinventer les services publics. Nous avons besoin de meilleurs réseaux d’électricité qui transportent des énergies renouvelables. Nous devons avoir des systèmes de collectes des déchets qui aient comme objectif l’élimination des déchets. Nous n’avons pas seulement besoin de nouvelles infrastructures. Nous avons besoin d’investissements massifs dans celles qui sont déjà là pour qu’elles tiennent le coup durant les prochaines tempêtes. Nous nous battons contre le dépérissement des services publics depuis des décennies. Nous n’avons cessé de constater les ravages qu’ont faits ces décennies de coupes nous laissant toujours plus vulnérables : des tempêtes monstres qui démolissent les digues mal entretenues, les violentes pluies qui transportent les vidanges dans les lacs, les feux de forêt combattus par des équipes insuffisantes et sous payées. Les ponts et les tunnels sont considérablement affaiblis par les nouvelles conditions sévères du climat.

Loin de nous éloigner de la lutte pour des services publics solides, les changements climatiques nous installent en plein dedans mais, cette fois, armés d’arguments qui relèvent le niveau des enjeux. Il n’est pas exagéré de dire que notre futur repose sur notre habileté à faire ce qu’on nous à dit pendant si longtemps de cesser de faire : agir collectivement. Qui mieux que les syndicats peuvent porter ce message ?

La réfection des installations publiques va créer des millions de nouveaux emplois bien payés et syndiqués. Des emplois qui n’accéléreront pas le réchauffement de la planète. Il n’y aura pas que les chaudronniers, les installateurs-euses de tuyaux, les travailleurs-euses de la construction et les ouvriers-ères sur les lignes d’assemblage qui décrocheront de nouveaux emplois dans cette grande phase de transition. Le secteur de notre économie qui fonctionne avec peu de consommation de carbone est important. Mais il y a des secteurs qui sont très affectés par des attaques humiliantes et irrespectueuses et des coupes de budget. Ce sont généralement les emplois occupés par les femmes, les immigrants-es et les personnes de couleur.

Ce sont les secteurs que nous devons étendre massivement : les soins de santé, l’éducation, l’entretien et d’autres secteurs des services. Il s’y trouve des travailleurs-euses que votre syndicat envisage d’organiser. Ces travailleurs-euses déjà employés-es dans le secteur à basse consommation de pétrole, veulent des salaires décents et être respectés-es. Faire remonter leurs salaires est une opération qui apporte une solution aux problèmes climatiques et cela devrait être reconnu. Je pense qu’on devrait s’inspirer de la lutte des travailleurs-euses de la restauration rapide aux États-Unis et de leurs grèves historiques de la semaine dernière. Il y a là une leçon sur la manière de s’organiser. Peut-être sommes-nous devant la première révolte qui vise à la fois de meilleurs salaires et une meilleure alimentation ! Le genre de lutte où la santé des travailleurs-euses et celle de la société sont inextricablement reliées.

Je veux que vous compreniez bien que je ne suggère pas un programme pour de supposés « emplois verts ». Je parle d’une révolution du « travail vert ». Je parle d’une extraordinaire vision pour guérir notre pays des ravages de trente ans de néolibéralisme et guérir la planète du même coup.

Les environnementalistes ne peuvent pas faire cela tout seuls. Aucun parti politique n’est à la hauteur des enjeux. Nous avons besoin que vous preniez la direction de ce plan.

Comment payer pour cela

C’est toujours la terrible question : comment allons-nous payer pour tout cela ? Ne sommes-nous pas sans le sou ? C’est ce que nous répète notre gouvernement.

Crier qu’on est à sec ne va pas éliminer l’ampleur de l’enjeu. Nous savons qu’on arrive toujours à trouver de l’argent quand il s’agit de sauver les banques et de déclencher de nouvelles guerres. Donc, il faut que nous nous tournions du côté où se trouve l’argent. Il se trouve justement chez les compagnies pétrolières et gazières et dans les banques qui les financent. Il faut mettre la main sur une partie de leurs profits pour arriver à nettoyer leurs dégâts. C’est un concept simple, il est inscrit dans la loi : le pollueur payeur.

Il est clair que nous ne pouvons avoir plus d’argent en extrayant toujours plus. Donc, comme nous diminuons notre dépendance aux énergies fossiles, que nous extrayons MOINS nous devons ramasser PLUS de leurs profits.

Il y a de multiples manières de le faire. Introduire une taxe sur le carbone et augmenter les redevances minières semblent un bon début. Une taxe sur les transactions financières serait d’une aide précieuse. De même qu’une augmentation des taxes des entreprises.

Voici un exemple : Une étude récente du Centre canadien pour les politiques alternatives compare les répercutions d’un investissement public de cinq millions de dollars pour un oléoduc (par ex. Gateway) et celles d’un investissement du même montant dans le développement de l’économie verte. Le premier investissement donnera principalement des emplois de court terme dans la construction au profit du secteur privé et des coûts importants à même les budgets publics pour nettoyer les dommages environnementaux.

Investir ce montant dans le transport public, dans la modernisation (des infrastructures) et le développement des énergies renouvelables donnerait au moins trois fois plus d’emplois sans parler d’un avenir plus sécuritaire. Il pourrait y avoir en ce moment, bien plus d’emplois selon leurs projections. Au bout du compte, à leur point le plus élevé, les investissements dans l’économie verte créeraient jusqu’à 34 fois plus d’emplois que la simple construction d’un autre oléoduc.

Comment arriver à trouver le cinq millions d’investissement public ? Une minime taxe nationale de 10$ sur la tonne de carbone y arriverait. Et cela se répèterait année après année. Ce que l’investissement dans un oléoduc d’Enbridge ne fera jamais.
Les environnementalistes, et je les rejoins ici, doivent faire bien mieux que de s’opposer à des projets comme Northern Gateway. Il faut aussi insister sur la valeur de nos solutions pour structurer et financer des infrastructures vertes. En ce moment, elles sont raisonnables sur papier mais, dans la vraie vie elles battent de loin l’idéologie dominante qui scande qu’il est impossible d’augmenter les impôts des entreprises, que nous ne pouvons refuser de nouveaux investissements, et pire, que nous ne pouvons pas, par nous-mêmes décider du type d’économie que nous voulons. Il faudrait laisser tout cela à la magie des marchés.

He ! bien, nous avons vu comment le secteur privé gère la crise. Nous devons maintenant nous en mêler. On appelle de plus en plus ce programme « démocratie de l’énergie ». C’est une idée nouvelle au sein du monde syndical. (…) Plusieurs syndicats intéressants, dont le Syndicat des communications et de l’énergie, ont travaillé là-dessus depuis des années. Il est temps que nous fassions de la « démocratie de l’énergie » une réalité, ici au Canada. Nous avons déjà un slogan extraordinaire : « Le pouvoir au peuple ».

Comme vous le savez, certains gouvernements provinciaux ont commencé, modestement, à jouer un rôle plus actif dans le développement d’une transition verte. Et ce, en même temps qu’ils résistent aux pressions pour qu’ils doublent leur part dans l’énergie sale. Mais, ici, nous commençons à voir quelque chose de très dérangeant. Ceux de ces gouvernements qui ont pris des décisions plutôt vigoureuses, sont poursuivis sur la base des traités de libre échange.

Cela m’amène au dernier point de ma conférence sur un vrai programme progressiste en matière de changement climatique.

Le commerce

Il est temps que nous déchirions les soit disant Traités de libre échange une fois pour toute. Et que nous nous assurions de toutes nos forces qu’aucun autre ne soit signé. Vous les combattez depuis des années, depuis que le Syndicat des travailleurs de l’auto a joué un rôle central dans la bataille contre l’ALÉNA. Vous l’avez combattu parce qu’il s’attaquait aux droits des travailleurs-euses ici et aux États-Unis, parce qu’il déclenchait une course vers le plus bas, parce qu’il augmentait encore plus l’hyper pouvoir des entreprises.

Et vous aviez raison. Même plus que vous ne l’imaginiez. Il n’y a pas que la mondialisation des entreprises qui soit largement responsable de l’augmentation des GES. Il y a aussi la logique du libre échange qui nous bloque pour introduire les changements nécessaires pour faire face au chaos climatique. Quelques exemples : Le plan de l’Ontario pour les énergies vertes est loin d’être parfait. Mais il comporte un article pour favoriser l’achat local pour les énergies solaires et éoliennes. Ce programme a déjà créé des emplois et eut des retombées économiques positives dans les communautés. C’est la base d’une transition juste. He ! bien, l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) a déclaré que c’était illégal.

Le Syndicat des travailleurs de l’auto fait déjà parti d’une coalition qui combat sur ce terrain. Mais, d’autres politiques vertes vont être confrontées aux mêmes objections corporatistes. Un autre exemple : Le Québec a banni la fracturation. C’est une décision courageuse qui a été prise par deux gouvernements successifs. Alors, une compagnie de forage prévoit poursuivre le Canada à la hauteur de 250 millions de dollars. C’est le chapitre onze de l’Aléna qui lui permet de le faire. Elle soutient que cette interdiction interfère avec :« son droit fondamental de creuser pour trouver du pétrole et du gaz sous le Saint Laurent ».

Nous aurions dû voir ça venir. Il y a maintenant au moins dix ans, un employé de haut niveau de l’OMC disait que l’organisme autorise des poursuites contre : « presque toutes les mesures de réduction des GES ». En d’autres mots, ces maniaques pensent que le commerce devrait surpasser tout y compris la planète. Si jamais il y a eut un argument solide pour faire tomber cette folie, ce sont les changements climatiques que nous observons qui nous l’offre.

La ligne de front n’a jamais été aussi évidente. Les changements climatiques sont l’argument qui doit dominer tous les autres aspects dans la lutte contre les politiques de libre échange. Je suis désolée messieurs-dames, mais la santé de nos populations et de notre planète sont juste un petit peu plus importantes que vos droits divins aux profits obscènes.

Ce sont des arguments moraux avec lesquels nous pouvons vaincre.

Nous n’avons pas à attendre la permission des gouvernements. La prochaine fois qu’ils fermeront une usine de production consommatrice d’énergies fossiles, que ce soit des autos, des tracteurs ou des avions, ne les laissons pas faire. Faisons ce que les travailleurs-euses de l’Argentine, jusqu’à ceux et celles de Grèce et de Chicago, ont fait : occupons les usines et transformons-les en coopératives de travailleurs-euses pour la production verte. Dépassons les tristes négociations pour des indemnités de départ. Exigeons des gouvernements et des entreprises les ressources pour commencer à développer une nouvelle économie, immédiatement.

Que ce soient des trains électriques ou des éoliennes. Observons ces usines devenir des phares pour les étudiants-es, les militants-es anti pauvreté, les environnementalistes et les Premières nations. Tous et toutes ensemble, impliqués-es derrière cette vision.

Les changements climatiques sont un outil. Saisissez les, servez-vous en.

Prenez-les pour demander l’impossible. Ce n’est pas une menace pour votre emploi. C’est une clé pour se libérer de la logique qui a déjà démarré une guerre contre le concept de la dignité au travail.

Donc, tout ce qu’il nous faut pour faire de cette vision une réalité, c’est le pouvoir politique. Ce pouvoir peut se construire sur la base des urgences, de la science et de la crise du climat. Si nous persistons vraiment avec la vision claire que ces changements sont absolument nécessaires pour empêcher l’effondrement écologique, nous allons faire changer le débat.

Nous allons sortir de la logique économique étroite du libre marché. On ne cesse de nous répéter qu’il faut demander moins, nous attendre à moins ce qui nous mène dans un débat moral : quel genre de peuples voulons-nous être, quel genre de monde voulons-nous pour nous et pour nos enfants ? Si nous prenons en charge les termes du débat, nous allons mettre Harper dos au mur. Nous allons le tenir responsable de son idéologie mortifère, celle qu’il a dissimulée derrière son masque désolant. C’est de cette façon que nous allons renverser le rapport de force dans ce pays.

Si UNIFOR devient le diffuseur décidé de ce modèle économique différent, celui qui offre des solutions aux attaques contre la classe ouvrière, contre les pauvres et même aux attaques contre la planète, vous pourrez alors cesser de craindre pour vos primes de départ. Vous serez sur la ligne de front du combat pour l’avenir et tous et toutes les autres, dont les opposants-es, devront suivre sinon ils et elles resteront derrière.

Les Premières Nations

Je pense qu’une des clés pour ce changement repose sur votre alliance avec les Premières Nations. Elles ont des droits constitutionnels sur leurs terres et les ressources qui s’y trouvent, garantis par des traités. C’est la barrière légale la plus importante à laquelle le gouvernement Harper fasse face. (C’est le cran d’arrêt) à sa vision du Canada comme machine d’extraction et d’exportation du pétrole qui transforme pays en zone sacrifiée.

Comme le dit mon ami Clayton Thomas Mueller, imaginez une coalition solide entre les travailleurs-euses et les Premières Nations qui sont les propriétaires légitimes du sol. Ajoutez les mineurs, les installateurs-trices d’oléoduc pour exiger, ensemble, un autre modèle économique.

  • Vous avez ainsi, les peuples et le cœur d’un côté et le capitalisme prédateur de l’autre. Les conservateurs de M. Harper accuseraient le coup.

Ce tableau va plus loin que les alliances stratégiques. Nous apprendrons de la vision du monde des autochtones pour raffiner notre discours pour un autre Canada et l’opposer à celui de Harper qui prêche pour l’extraction infinie. C’est un discours qui explique qu’on ne peut prendre et prendre encore sans faire attention à la manière de prendre et sans remettre quelque chose de la récolte. Ce plan sur cinq ans, est fait pour nos enfants et les jeunes : fixons-nous un délai de sept générations environ. Il faut avoir une vision du monde qui nous rappelle qu’il y a toujours des conséquences que nous n’aurons pas vues, toutes choses étant inter reliées.

Construire la sorte d’alliance dont nous avons besoin, commence par l’identification des liens qui nous mettent en rapport tous et toutes dans nos luttes. Et bien sûr, reconnaitre que nous sommes dans le même combat.

Je veux vous laisser avec un mot qui peut aider : surcharge.
La surcharge

Je n’ai cessé de penser à cela cet été quand j’étais dans la zone des sables bitumineux. Surcharge est le mot que les compagnies minières emploient pour décrire « les déchets de sol sous lequel repose le dépôt de minerai ». Et elles ont une curieuse façon de définir « déchet ». Elles y incluent les forets, les sols fertiles, les rochers, la glaise…et d’une certaine manière, tout ce qui existe, entre elles et l’or, le cuivre ou le bitume qu’elles veulent atteindre. La surcharge, c’est la vie qui existe entre ces compagnies et l’argent (qu’elles recherchent). La vie devient un déchet. À force d’observer, monticules après monticule, la terre entassée le long de la route, je me suis dit que ce n’était pas que la belle forêt boréale qui était un « déchet » pour ces compagnies. Nous sommes tous et toutes des déchets. C’est surement la vision du gouvernement Harper.

Les syndicats sont des déchets puisque les droits que vous avez acquis sont une barrière à l’infinie cupidité. Les environnementalistes sont des déchets du fait de leur bataille contre les changements climatiques et contre les déversements pétroliers.
Les autochtones sont des déchets parce que leurs droits et leurs poursuites en cour sont des freins (à l’exploitation).

Les scientifiques sont des déchets parce que leurs recherches prouvent ce que je vous ai dit aujourd’hui.

La démocratie elle-même est un déchet pour le gouvernement. Elle l’oblige à considérer les droits des citoyens-nes à participer aux audiences d’évaluation environnementale et ceux du Parlement à se réunir pour débattre de l’avenir du pays.
C’est le monde qu’a créé le capitalisme dérégulé. Un monde où n’importe qui et n’importe quoi peut être mis de côté, mâché, jeté sur les tas de déchets.

Mais, le mot surcharge, a un autre sens. Il veut aussi dire « travailler avec une trop grande fatigue » : pousser quelque chose ou quelqu’un au-delà de ses limites. C’est une très bonne description de ce que nous vivons. Nos infrastructures accusent la surcharge des nouvelles demandes qui leur sont faites et qui s’ajoutent aux vieilles négligences. Les travailleurs-euses sont surchargés-es par des employeurs-euses qui traitent leurs corps comme si c’était des machines. Nos rues et nos refuges sont surchargés par ceux et celles dont le travail a été jugé inutile.

L’atmosphère est surchargée des gaz qui nous lui envoyons.
C’est dans ce contexte qu’on nous crie de toute part : « Assez » ! C’est cela et RIEN de plus.

Nous l’avons entendu cette semaine lors de la grève des travailleurs-euses de la restauration rapide à Milwaukee. Leur réponse : des pancartes avec ce slogan : « Je vaux plus ». Cela a aidé à créer un débat national à propos des inégalités.
Nous l’avons entendu l’été dernier quand les étudiants-es québécois-es ont dit non aux augmentations des droits de scolarité. Le gouvernement a fini par être viré et le débat sur les droits à l’éducation gratuite a été lancé.

Nous l’avons entendu lorsque quatre femmes ont dit « NON » aux attaques de M. Harper contre l’environnement et les droits des autochtones. Elles ont déclaré « Jamais plus soumises ». Ça c’est terminé par un soulèvement en faveur des droits des Amérindiens-nes partout en Amérique du nord.

La planète dit « Assez » en tentant de s’en tirer comme elle peut.
Partout la vie se réaffirme. Et ça ce n’est pas une surcharge.

Non seulement nous nous rendons compte que nous en avons eu assez mais qu’il y en a assez. Evo Morales le dit : « Il y a assez pour que tous et toutes vivent bien ». Mais il n’y en pas assez pour que quelques-uns-es vivent de mieux en mieux.
Pour finir, je veux vous lire un extrait de l’article 2 de votre nouvelle constitution. Beaucoup d’entre nous ont attendu ces mots depuis longtemps. Peut-être les avez-vous entendu aujourd’hui, mais ils méritent d’être répétés. Voilà :
« Nous visons le changement. Réaffirmer nos intérêts communs au-delà des intérêts individuels. Changer nos milieux de travail et notre monde. Notre vision est convaincante. Nous voulons fondamentalement transformer l’économie sur un base d’égalité et de justice sociale, restaurer et renforcer la démocratie et bâtir un avenir viable sur le plan environnemental ».

C’est la base d’un syndicalisme de combat, une culture forte pour un syndicat progressiste et un engagement à travailler à des causes communes avec d’autres syndicats au Canada et dans le monde.

Frères et sœurs, tout ce que je veux ajouter c’est : ne le dites pas si vous n’en êtes pas convaincus-es. Parce qu’il faut vraiment et réellement en être convaincus-es. Merci.

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