Je suis membre des Artistes pour la paix. Cet organisme croit au pouvoir pacificateur de l’art et s’engage dans des activités qui font la promotion de la paix. On comprend donc que la violence ne fait pas partie de nos outils d’intervention et qu’elle ne trouve pas de complaisance chez nous.
Toutefois, quand on demande de condamner la violence, il y a la façon de le demander comme il y a la façon de le faire.
Prenez par exemple une porte-parole étudiante à qui on demande de condamner la violence qui a été constatée lors d’une manifestation. Cette violence n’est pas de son fait et ne vient pas de son groupe. Si elle accepte la proposition de démarrer l’entrevue là-dessus, la conversation ne risque-t-elle pas de porter uniquement sur ce sujet et donc d’évacuer totalement le message qu’elle est venue transmettre alors qu’elle n’a rien à y voir, sans compter que ladite violence peut avoir été déclenchée par des agents provocateurs.
Et puis, même si l’interview finit par porter sur les revendications de son groupe, quels seront les titres le lendemain ? « La porte-parole dénonce les violences » (ce qui évacue encore une fois le sujet) « La porte-parole renie son groupe » (ce qui est sans aucun rapport puisque ce n’est pas son groupe qui est à l’origine de la violence), car hélas la confusion et les amalgames sont monnaie courante quand ils ne sont pas tout simplement commandés dans certains organes de propagande.
De plus, il faut noter le caractère proprement asymétrique de la demande de condamner la violence. On demande uniquement de condamner la violence contre les biens, contre les autorités. La violence exercée contre les personnes par ces mêmes autorités ne fait jamais l’objet d’une demande de condamnation.
Demande-t-on aux autorités de condamner la violence arbitraire exercée par ses forces de l’ordre ? On a vu récemment une cliente qui sortait d’un dépanneur se faire poivrer sans raison. A-t-on demandé au premier ministre, au ministre de la sécurité publique de condamner cette violence ?
Il y aussi le double discours des autorités. Que ce soit madame Beauchamp en 2012 ou monsieur Couillard aujourd’hui, en substance leur discours est le suivant : « Manifestez pacifiquement, ne dérangez rien, c’est excellent ! Et, nous, c’est certain, nous ne dévierons pas d’un iota de notre orientation. » Il est tentant de lire entre les lignes : « Seules des interventions violentes pourraient nous ébranler. » Il ne s’agit pas ici d’excuser la violence, mais d’expliquer que, par leurs discours, les autorités jouent avec le feu.
Ou encore, on entend des ténors du gouvernement dénoncer la désobéissance civile comme de la violence. Or, la désobéissance civile n’est pas violente et est un élément nécessaire à la progression de la démocratie.
Il faut savoir que, lorsqu’on est contre la violence, on doit faire preuve de patience, qu’il faut être assez stoïque et qu’on subit l’injustice pendant longtemps. C’est extrêmement frustrant, mais on ne peut en déroger sous peine de faire le jeu de nos adversaires.
Cependant, cela ne signifie pas non plus qu’on est prêts à tomber dans le piège qui consiste à ne dénoncer qu’une seule sorte de violence, ce qui reviendrait alors à faire la promotion d’une autre violence, celle des autorités.