Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Transport du pétrole sale sur le St-Laurent

Le pactole à l'Alberta, les risques (et pertes) au Québec

On parle souvent du principe cher aux capitalistes de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes. Bref, quelques-uns s’enrichissent alors que la majorité assume les risques et souvent, les pertes. Qu’en est-il de la question du transport du pétrole sale de l’Alberta sur le St-Laurent. Si le passé est garant de l’avenir, on se prépare un gros Lac-Mégantic sur le fleuve.

Aveuglement volontaire

Il suffit de consulter le site de Transport Canada pour que nos pires craintes se confirment : comme lors de la période précédant la catastrophe de Lac-Mégantic, les autorités fédérales font preuve d’aveuglement volontaire afin d’ouvrir les brèches nécessaires à l’exportation du pétrole sale de l’Alberta. On constate les risques importants mais on évoque des chiffres qui n’ont rien à voir avec la situation particulière du St-Laurent pour isoler l’opposition et endormir la population.

Sur la page intitulée « Sécurité des pétroliers et prévention des déversements » (1), le golfe et le fleuve sont clairement identifiés comme étant les zones parmi les plus à risques de déversements majeurs (2) au Canada. De plus, la firme Genivar mandatée par le gouvernement fédéral pour faire une estimation des probabilités de déversements ainsi que les répercussions possibles suite à d’éventuels déversements mentionne dans son rapport que le St-Laurent représente le milieu le plus à risque suite à un déversement en matière d’impact sur le milieu biologique. Bref, tous les signaux sont au rouge en matière de risques et les éluEs libéraux et caquistes sont au front de l’entreprises Harperesque d’exportation du pétrole sale de l’Alberta alors que le PQ parle des deux côtés de la bouche en matière de développement de la filière pétrolière. Mais en plus des risques découlant de la situation actuelle, le développement et l’expansion de ce type de transport nous amène à des perspectives encore plus graves.

Un récent reportage de l’émission radiocanadienne Pas de midi sans info (16 octobre, reportage d’Etienne Leblanc à 11 h 27) mous apprenait que le projet Keystone XL visant à exporter le pétrole de l’Alberta vers le sud des États-Unis était quasi-abandonné. Les Etats-Unis ont de moins en moins besoin du pétrole canadien. Ils sont presque devenus un exportateur de pétrole (un chargement de plusieurs centaines de barils venait d’appareiller par mers vers la Corée du sud) et Obama veut éviter les charges du mouvement écologiste américain. Le projet de pipeline vers l’ouest a du plomb dans l’aile alors que le projet Nothern Gateway est refusé sur tous les fronts sociaux. Et l’industrie montre des signes d’essoufflement : la compagnie Statoil a repoussé de 3 ans un projet d’extraction de plus de 40 000 barils par jour. Cette annonce fait suite à celles de l’entreprise néerlandaise Shell et de la société française Total qui ont renoncé en 2014 à extraire respectivement 200 000 et 160 000 barils par jour dans les mines de Pierre River et de Joslyn, toujours en Alberta. (3)

Bref, la sortie vers l’est demeure l’hypothèse la plus plausible pour atteindre les marchés européen qui renonce à qualifier le pétrole d’Alberta comme « hautement polluant » ce qui ouvre davantage ce marché tout comme la situation en Ukraine. Et le temps presse car le cours international du pétrole et la situation générale de cette industrie font en sorte que le pétrole de l’Alberta ne représente plus une solution compétitive. (4) D’où l’empressement des sbires de l’industrie à faire fi des risques et des oppositions et de foncer dans des projets alors que tout esprit moindrement rationnel adopterait le principe de précaution et éviterait cette aventure qui risque de se terminer dans une catastrophe qui ferait apparaître Lac-Mégantic comme un simple avant-goût.

Les risques inhérents au St-Laurent

La circulation et la gestion du St-Laurent est de compétence fédérale. Ottawa gère cette ressource de manière opaque, sans partage. Il faut constater le comportement des autorités portuaires, à Québec par exemple dans le dossier de la qualité de l’air, pour comprendre que ces institutions tiennent davantage de l’autoritarisme moyenâgeux que de la démocratie. Les provinces, le Québec notamment, possèdent les bordures, les berges. Ils ne rendent des comptes qu’à l’oligarchie qui règne sur la ressource. Le gouvernement fédéral dispose donc de tous les moyens pour orienter le développement du St-Laurent sans que le Québec puisse s’y opposer autrement qu’en remettant en question le lien de dépendance avec le Canada anglais.

Outre les questions de responsabilité, le St-Laurent représente un défi de tous les instants en terme de conduite. Ce n’est pas pour rien que des pilotes spécialisés doivent prendre la barre lorsqu’un bateau se pointe dans le golfe : par exemple, la profondeur du chenal du fleuve à la hauteur de Québec varie de 13 à 40 mètres avec des fosses variant entre 21 mètres et 61 mètres à Trois-Rivières et Québec. Les marées font en sorte que les courants se renversent à de multiples endroits. On doit draguer à plusieurs endroits où la profondeur n’atteint pas 11 mètres afin que les navires puissent se rendre à Montréal. Au sud de l’ïle d’Orléans, on doit draguer pour maintenir une profondeur de 12,5 mètres. (5) Les bancs de sable constamment en mouvement multiplient les risques d’échouements. Le mouvement des glaces lors des hivers est tributaire des vents et marées et il est fort imprévisible.

Le gouvermement fédéral minimise les risques, passe sous silence les épisodes de déversements et assume au frais des contribuables les coûts de tels accidents. (7) Il pousse même l’audace en légiférant pour favoriser le transport maritime du pétrole au détriment d’autres produits. (6) Il soutient le projet de port pétrolier et de terminal à Cacouna, un site que Gaz Métro avait rejeté à cause des risques reliés à sa situation géographique par rapport au fleuve dans le cadre du projet Rabaska. Trop risqué pour Gaz Métro mais pas pour Trans Canada.

Quelles conséquences aurait un déversement ?

Le professeur en océanographie chimique à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski de l’Université du Québec à Rimouski Émilien Pelletier a publié une étude intitulés Risques et avantage du transport pétrolier par voie maritime (7) sur le projet de Trans Canada à Cacouna et en arrive aux conclusions suivantes :

 Le transport maritime du pétrole va continuer à croître au cours des 20 prochaines années ;

 Les modèles de risques pour l’estuaire et le golfe Saint-Laurent sont inexistants ;

 La zone de Gros-Cacouna comporte de multiples facteurs aggravants ;

 La coordination des divers intervenants en cas d’accident apparaît inadéquate.

 Le temps de réponse en cas d’accident important est beaucoup trop long (18 à 24h).

Ces affirmations ont l’avantage d’être claires et limpides : les risques sont trop élevés pour permettre un tel projet.

Des mensonges du fédéral

Pour intervenir lors de catastrophe comme des déversements importants, il faut un degré de préparation à la hauteur. Or, en ce domaine Ottawa fait aussi preuve de pensée magique. Sur le site de Transport Canada, il est écrit « Le gouvernement du Canada est bien préparé et prêt à intervenir en cas d’accidents maritimes causés par des navires en eaux canadiennes. La prévention, la préparation, l’intervention et la reprise des activités en cas de déversements causés par des navires sont entreprises dans le cadre d’une approche pangouvernementale axée sur la collaboration. Les principaux ministères fédéraux travaillent avec le secteur privé, ainsi qu’avec les gouvernements provinciaux et les administrations municipales, pour veiller à ce qu’on intervienne de façon concertée en cas d’incident. » Or, les autorités municipales ont lancé un cri d’alarme lorsqu’ils ont avoué qu’aucun plan n’existait pour faire face à une marée noire. Le maire de l’ïle-aux-Coudres a récemment affirmé (8) « Nous, les municipalités, on n’a pas d’équipement, on n’est pas préparé pour ça ». L’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent, des maires des États-Unis et du Canada ont lancé un appel aux gouvernements fédéraux du Canada et des États-Unis leur demandant d’augmenter de façon significative la sécurité du transport de pétrole de part et d’autre du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, dans le but de protéger la plus grande source d’eau douce au monde. (9) Et bien des rapports ont démontré noir sur blanc que le gouvernement du Québec n’était pas préparé à faire face à une telle situation. Les conservateurs font de nouveau la preuve que la sécurité est le moindre de leurs soucis.

Le laxisme du fédéral

Comme dans le cas du transport ferroviaire, les conservateurs font confiance dans l’auto-règlementation de l’’industrie pour prévenir ou gérer les déversements. Mais encore là, des échappatoires existent pour que les géants du pétrole puissent s’en sortir sans trop de dommages. Le gouvernement fédéral oblige les compagnies pétrolières à avoir la capacité de faire face à un déversement de 10 000 tonnes d’hydrocarbures, dans un délai de 72 heures. Mais les plus gros navires-citernes ont une capacité de plus de 150 000 tonnes, quinze fois plus. Et un délai de 72 heures dans le St-Laurent permettra à la marée noire de se déplacer on ne sait où car les courants et marées du St-Laurent sont plutôt imprévisibles.

Ça ressemble trop au cas de la MMA qui a fait preuve de négligence à de multiples reprises avec la complicité des conservateurs et qui a échappé à la justice sans avoir à acquitter la facture de la catastrophe survenue en Estrie. LA MMA avait une assurance bien en deçà des coûts que représentaient les risques d’un accident d’un train pétrolier.

Un déversement à la hauteur de Lévis (10) ou de Cacouna par exemple, aurait des conséquences sur les sources d’eau potable de centaine de municipalités. Plusieurs réserves fauniques comme le parc du Bic, l’estuaire du Saguenay et bien d’autres zones sensibles sont menacés par une telles catastrophe. L’industrie touristique qui s’anime autour de l’observation des baleines et autres mammifères marins serait suspendue pour une longue période de temps. Quant à l’industrie de la pêche, ses activités seraient suspendues pour une durée qu’il est impossible de préciser à l’avance. La priorité sur le St-Laurent accordée aux pétroliers par les conservateurs aura avec l’augmentation prévue du trafic (on parle de doubler et même de tripler le nombre de pétroliers sur le fleuve (11)) un impact sur la durée du transport des autres types de marchandises sur le fleuve. Comment se traduira cet impact d’un délai plus long de livraison des marchandises est difficile à évaluer actuellement mais il est certain que les coûts grimperont et seront refilés aux consommateurs-trices.

Être à la hauteur des défis

Il est évident qu’une course est actuellement en cours pour l’oligarchie des énergies fossiles afin de trouver des débouchés à leur production pétrolière. L’Arabie saoudite coupe les prix. La Russie rencontre des difficultés majeures notamment en raison de la guerre en Ukraine. L’impact de l’opposition du mouvement écologiste sur certains projets de développement de nouveaux gisements peut se faire sentir et les pressions en faveur de la réduction des GES font en sorte que l’industrie doit composer avec une situation plus houleuse que jamais. Les conservateurs de Harper sont parmi les prétendants à cette course et veulent mettre tous les atouts de leur côté en éliminant les obstacles qui se présentent en s’acharnant sur le maillon faible selon eux, le Québec. Pour y parvenir, ils ont pu compter sur les porteurs de valises québécois libéraux, caquistes et péquistes. Au mouvement d’opposition d’agir en conséquence et d’être à la hauteur des défis qui se présentent.

Notes

1- http://www.tc.gc.ca/fra/securitemaritime/menu-4100.htm

2- Un déversement majeur est un déversement de plus de 700 tonnes. Voir à ce propos http://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2014/10/01/petroliers-saint-laurent

3- Voir article de Sophie Chapelle dans ce numéro : http://www.pressegauche.org/spip.php?article19383

4- Voir l’article Qu’est-ce qui fait baisser le prix du pétrole ? Dans ce numéro : http://www.pressegauche.org/spip.php?article19366

5- L’Action nationale, Nov.-déc. 2013, p. 137 et suivantes

6- L’Action nationale, Nov.-déc. 2013, p. 118

7- http://www.crebsl.org/file_download/560/Risques_Avantages_Transport_Pétrolier_Émilien_Nadeau.pdf

8- http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/national/2014/09/23/001-petrole-fleuve-deversement-quebec-canada.shtml

9- http://www.umq.qc.ca/nouvelles/actualite-municipale/les-maires-demandent-une-meilleure-protection-face-aux-deversements-de-petrole-23-06-2014/

10- Ce ne serait pas un précédent. Deux importants épisodes de déversements ont eu lieu en 1985 à Pointe-Lévis et en 1988 au Quai St-Romuald. Dans ce dernier cas, on parlait de 700 tonnes de brut. Voir l’étude d’Émilien Pelletier.

11- http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/national/2014/09/22/001-croissance-transport-petrole-fleuve-saint-laurent-navires-quebec.shtml

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