« Ce qu’il faut comprendre », insista un jour Martin Luther King, « c’est qu’une émeute est le langage des sans-voix ». Le recours à l’émeute, suggérait-il, est rarement un signe d’irrationalité ou le résultat d’une mentalité de foule. Elle est plus souvent le fait de gens marginalisés qui cherchent à faire entendre leur voix, à affirmer leur refus d’être ignorés, d’être réduits au silence. Et si, en certaines occasions, ces excès de « violence » n’étaient pas condamnables, mais au contraire légitimes, voire admirables, puisqu’elles rendraient les revendications de ceux et celles qui sont exploité.e.s et opprimé.e.s impossibles à ignorer ?
Telle est la question en filigrane de cet éclairant essai du philosophe canadien Stephen D’Arcy. Depuis 2011, une nouvelle vague de manifestations, révoltes et autres émeutes a touché l’ensemble du globe, des printemps arabes aux multiples mouvements d’occupations des places des grandes capitales. Comme d’autres avant elle, une nouvelle génération privée de droits et de perspectives cherche à faire entendre sa voix, tout en devant faire face à une répression parfois impitoyable. Nous mettant au défi de considérer que de mettre le feu volontairement à des bâtiments abandonnés, de déployer des tactiques de black bloc et de pratiquer des actions de sabotage sont des formes possiblement légitimes d’action militante, l’auteur se demande s’il est ainsi acceptable de faire preuve de « violence » à l’intérieur de luttes sociales et politiques. Établissant une démarcation nette entre une pratique militante justifiée et non justifiée à travers ce qu’il nomme le « modèle démocratique », D’Arcy montre que l’élément crucial dans toute discussion sur les tactiques et stratégies militantes doit porter sur la nature démocratique ou non de telle ou telle action, et non sur la sempiternelle dichotomie violence/non-violence.
Après avoir exposé les mérites de l’action militante dans le cadre d’une société démocratique, Stephen D’Arcy définit son « modèle démocratique » et les critères à prendre en compte pour juger une pratique militante démocratique et, par conséquent, légitime. Illustrant ensuite sur le plan historique ce que constitue une action militante démocratique exemplaire, l’auteur passe finalement en revue toute une série de stratégies de lutte, des plus « inoffensives » aux plus « combatives », de la simple désobéissance civile à la lutte armée.
À la fois une considération des aspects éthiques et politiques de l’action militante et un examen de l’histoire de la dissidence et de la résistance citoyenne et des stratégies qu’elles ont déployées. Le langage des sans-voix soutient avec force l’idée que la pratique militante ne constitue pas un danger pour la recherche de consensus en matière de normes démocratiques. Bien au contraire, le militantisme est plutôt un remède légitime à l’intransigeance des élites et à des systèmes de pouvoir sourds aux revendications populaires et qui ignorent ou cherchent à museler toute voix dissidente.
Stephen D’Arcy est professeur associé au département de philosophie du Huron University College de la Western University à London, en Ontario. Il enseigne la philosophie politique et morale et publie sur les questions de théorie démocratique et d’éthique pratique, en plus d’être un activiste social de longue date et un organisateur de manifestations.
En librairie le 22 mars 2016
978-2-89719-242-6 - 246 pages
POINTS FORTS DU LIVRE
Un modèle original : Le modèle conceptuel qu’élabore Stephen D’Arcy est novateur et permet de bien mesurer la portée des diverses manifestations de l’action militante et son rôle d’un point de vue démocratique. Sortir des faux dilemmes : Trop souvent analysées à travers le prisme « violence/non-violence », la stratégie militante gagne à être jugée à l’aune de critères visant le renforcement démocratique, ce qu’expose avec perspicacité l’auteur.