Tiré du blogue de l’auteur.
Une météorite avait traversé le ciel des smart cities. Au début, en 2016, Google voulait inventer Google City à Toronto. Moins de quatre ans plus tard, l’affaire était réglée, Sidewalk sa filiale d’innovations urbaines, abandonnait Toronto à son sort et disparaissait même deux ans plus tard comme compagnie.
Pourtant, tout le monde avait fantasmé sur la nouvelle disruption dont Google était à nouveau capable. Et aujourd’hui, Josh O’Kane nous en raconte l’histoire par le menu, celui du journaliste local qu’il est, particulièrement impliqué et tenace dans la recherche des informations lorsque la transparence s’évanouit dans les brumes du lac Ontario.
A vrai dire, nous ne saurons pas grand-chose des détails techniques des prodigieuses innovations annoncées dans le fameux Yellow Book de Sidewalks Labs et dans la réponse à l’appel d’offres, ce n’est pas le centre d’intérêt de O’Kane.
C’est dommage, mais étant donné que la « Google City » n’a pas été mise en œuvre du tout, on peut comprendre que les questions techniques réduites aux dessins et aux promesses donnent peu de prises aux analyses. On trouvera un plus grand intérêt pour ces « solutions » techniques chez Tierney (2019), dans une lignée critique assez classique inspirée de Foucault, Lefebvre ou encore Bratton (The Stack) mais finalement assez sommaire. De même, dans ce livre Sideways, manque une discussion détaillée du modèle économique de Google fondé sur la donnée et sa monétisation, même si la question des données est traitée tout au long du récit et que les questions budgétaires deviendront de plus en plus critiques dans le projet.
On l’aura compris, ce travail de journaliste n’est pas aligné avec les standards des travaux académiques : on y perd mais on y gagne aussi la finesse des descriptions de situations, des personnages et un sens détaillé des enjeux politiques. Et c’est là sans doute ce qui manque souvent : une véritable étude de cas centrée sur le terrain, ses acteurs et leurs logiques, analogue à ce qu’on peut trouver chez Laugaa, Pinson et Smith (2024) dans le cas de Bristol, qui est un contre-exemple remarquable des smart cities centralisées.
Car l’enjeu politique est précisément ce qui reste délibérément négligé par les prophètes de la smart city et tous les libertariens qui accompagnent toutes les innovations urbaines (de AirBnB à Uber). Toute l’histoire qui nous est racontée est en fait ce choc des cultures entre datascientists disrupteurs de la plus grande plateforme numérique au monde et urbanistes d’une agence de développement locale dépendant de plusieurs strates politiques, la ville, la province et l’Etat fédéral.
À la fin de l’ouvrage, l’auteur cite Siri Agrell, un assistant du maire de Toronto, John Tory : « Les gens pensent (à la suite de cet échec) que le gouvernement n’est pas prêt à traiter avec la technologie. Alors que je pense que c’est exactement l’inverse : le secteur de la tech n’a aucune idée de la façon d’affronter les vrais défis des villes ».
Mais adoptons succinctement la démarche chronologique de l’auteur. Deux histoires et enjeux d’acteurs éloignés vont se rencontrer.
Le choc des cultures : aménageur versus disrupteur
L’agence d’aménagement Waterfront Toronto doit urbaniser le secteur du port de Toronto nommé Quayside, une zone plus directement urbaine de 5 hectares situé le long du lac et proche d’une autre très grande zone à aménager dans le futur : Port Lands et l’ile de Villiers.
La ville de Toronto est très attractive notamment pour les entreprises du numérique et sa population croit rapidement (3M d’habitants en 2016), le prix du m2 se rapproche de ceux de New York City et de San Francisco. Mais à part l’équipement de toute la zone en haut débit, rien n’est vraiment prévu, une vision manque lorsqu’un nouveau CEO, Will Fleissig, est nommé début 2016.
Avec ses adjoints, ils prennent contact directement avec Sidewalk dont ils ont entendu parler, le 27 juin 2016. Ils sont en effet à la recherche d’idées mais aussi de soutiens financiers et commencent à travailler à un appel d’offres (RFP, Request for Proposals) qui sera publié finalement le17 Mars 2017, après des mois de contacts et de réunions avec plusieurs candidats, dont Sidewalk Labs.
Sidewalk Labs de son côté est une spin-off de Google, qui rassemble toutes les idées urbaines que les ingénieurs de Google avaient lancées au sein du projet Javelin (dont des voitures volantes, des villes flottantes, un dôme, des véhicules autonomes). Ce projet initie le mouvement de réorganisation de Google en plusieurs sociétés sous l’ombrelle de Alphabet, créé en 2015, qui permet de propulser des projets indépendamment du métier de base de Google qu’est le moteur de recherche et la publicité.
Larry Page, l’un des deux fondateurs de Google avec Serguei Brin, est très investi dans ces projets qu’ils laissent explorer et prospérer dans un esprit très utopique et sans souci de rentabilité immédiate. Sidewalk Labs va être prise en main par Daniel Doctoroff, personnage central de l’histoire, en raison de sa personnalité (forte et parfois abusivement colérique admet-on) et de sa trajectoire : en tant qu’investisseurs immobilier, il a été au cœur de la candidature de NYC pour les Jeux Olympiques de 2012, il fut l’adjoint au maire Bloomberg avant de travailler dans son entreprise en 2007 (il connait donc très bien les enjeux financiers et les données).
Sa philosophie, résume l’auteur, consiste à maximiser la ville pour les actionnaires, ce qu’il fera par excellence en recyclant le projet perdant d’un stade pour les Jeux en projet immobilier d’envergure connu comme les Hudson Heights à NYC. En tant que directeur de Sidewalk Labs, il lance des groupes de travail avec tous les experts de la ville et du numérique (dont Richard Florida). Sidewalk lance son logiciel de gestion de parkings « Flow » et met en compétition les villes qui veulent le tester (Colombus, Ohio, gagne).
L’entreprise crée aussi à New York City « LinkNYC », des kiosques wifi répartis dans la ville. Tous ces services sont guidés par un principe : récupérer un maximum de données et les revendre, dans la logique du « digital surplus » de Soshan Zuboff, et comme le font toutes les plateformes du secteur.
Cette vision est publiée en Février 2016 sous la forme d’un Yellow Book de 437 pages, où la ville devient en fait une plateforme numérique qui comble le fossé ville/tech. Le dôme est le principe technique suprême qui encapsule toute la ville, un peu à la mode d’EPCOT de Disney avant qu’il ne soit réduit à un parc à thème en 1982. Le dôme est physique et régule tout le climat, ce qu’on retrouve dans quantité d’œuvres de science-fiction et chez Richard Buckminster Fuller.
Mais chez Sidewalk Labs, il devient aussi réglementaire et politique : toutes les règles extérieures sont suspendues et seule l’autorité propriétaire du dôme et du système d’information a le pouvoir de décider les règles qui lui conviennent notamment en matière de données personnelles. Page voulait une ville à partir de zéro et notamment une ville modulaire, toute en éléments recombinables, Doctoroff avait l’expérience des procédures et de la profitabilité.
Leurs visions se combinent dans un Yellow Book qui redéfinit toute la ville comme « fief » dit O’Kane, totalement confié au secteur privé, habillé de soucis de « privacy by Design » avec l’aval de Anne Cavoukian, experte du domaine. Les caméras et les capteurs sont partout pour tracer les comportements qui seront qualifiés alors de « urban data » pour montrer que ce ne sont pas des données personnelles mais seulement des traces publiquement accessibles dans l’espace urbain, ce qui justifie leur exploitation intensive qui permettra les calculs de l’IA pour optimiser les services.
Cette catégorie juridique de « urban data » posera de sérieux problèmes plus tard. Pour le reste, les innovations qui n’en sont pas abondent, comme les vide-ordures ( !!), les écoles maternelles ( !!), la plantation d’arbres comme système technique, etc.. Cette naïveté des promoteurs de smart cities qui pensent réinventer la roue est très fréquente, il suffit de refuser la terminologie branchée qu’ils adoptent pour se rendre compte de la supercherie.
Négociations biaisées et ambitions territoriales cachées
Revenons aux côtés de Waterfront Toronto. L’appel d’offres que l’agence publie le 17 mars 2017 s’avérera trop imprécis sur plusieurs points qui vont entrainer des malentendus, si l’on est clément, ou des opportunités de manœuvre si l’on est plus cynique, pour les répondants. Des pans entiers de questions clés ne sont pas traités en matière de données principalement : la collecte des données dans les limites légales existantes, le partage des données récoltées avec les services urbains ou sous forme de trust en open data, la propriété intellectuelle et les revenus des brevets qui seront déposés à partir de l’expérience.
L’extension de la zone à urbaniser est évoquée mais sans aucune garantie puisque de toutes façons Waterfront n’a pas de mandat pour le faire. Mais l’appel d’offres accueille volontiers les idées sur cette zone étendue. Evidemment, les répondants mais surtout Sidewalk vont utiliser cette possibilité pour montrer que leurs solutions techniques (comme un train monorail suspendu) n’ont de sens que sur une zone qui dépasse de loin Quayside et plus tard qu’elles sont impératives pour la rentabilité de leur projet.
Trois répondants se présentent. La réponse de Sidewalk est en fait totalement inspirée de son Yellow Book avec cependant des adaptations puisque le dôme étant irréalisable, ils proposent des auvents rétractables, les immeubles seront à ossature bois (pour des raisons d’innovation responsable écologiquement), toutes choses qui demanderaient par exemple une modification du code de la construction au niveau de la province de l’Ontario. Ou encore des pavés amovibles chauffants qui permettent d’accéder en permanence aux réseaux, ce qui est totalement infaisable avec le climat de Toronto, et qui donne une impression de posture hors-sol comme c’est souvent le cas avec ces firmes du numérique qui n’ont aucune expérience réelle de la gestion urbaine.
Pour l’anecdote, Sidewalk s’aperçut même que dans toutes ses maquettes de ville conçues en laboratoire, jamais les églises n’apparaissaient, dans des pays où pourtant elles prolifèrent et alors qu’elles sont des lieux de vie sociale incontournables, certes équipées de plus en plus de techniques numériques de diffusion médiatique.
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Cependant, Sidewalk est sélectionnée en Septembre 2017…. pour continuer les discussions avant de signer un accord définitif ! Le gouvernement fédéral soutient le projet en Octobre, mais l’auteur, journaliste, parviendra à montrer qu’en fait Justin Trudeau a eu une conversation téléphonique (cachée) au moins avec Eric Schmidt, le CEO de Google avant la décision et que toute l’annonce a été précipitée en fonction des agendas des uns et des autres pour réaliser une cérémonie très médiatique.
On peut penser que ce genre de détails n’aide guère à la compréhension du processus mais en fait, de telles opacités contribuent à miner les prétentions à la transparence et cela montre à quel point l’enjeu de réputation est essentiel dans la compétition financière désormais entre les Etats et les villes autour de ces labels technologiques.
Cela contribuera d’ailleurs à alimenter les soupçons des activistes qui sont évidemment des parties prenantes importantes de tout projet urbain, d’autant plus lorsque Google apparait derrière toute l’opération avec sa puissance et ses méthodes. Un blog de Bianca Wylie « Torontoist » sera très actif ainsi que l’Open Data Institute de Toronto et le Civic Tech de Toronto. Les consultations sont déjà agitées mais leur alarmisme n’est pas partagé par l’agence Waterfront qui considère qu’ils n’ont rien signé et qu’il faut leur donner le temps de tout ajuster.
Quand les temps médiatiques changent à propos des données : Cambridge Analytica, Zuboff, …
Mais l’année 2018 va changer la donne. Une fois encore des facteurs extérieurs majeurs changent les perceptions : le scandale Cambridge Analytica éclate en Mars 2018, le RGPD est mis en œuvre en Europe, les données sur NHS britannique sont collectées par Google, ce qui entraine une attention citoyenne et médiatique considérable sous forme de suspicion généralisée sur la question de la collecte et du traitement des données.
A tel point que le terme « smart cities » va se déprécier très vite, et que plus personne ne veut l’utiliser à Toronto, Waterfront parlant plutôt de « intelligent communities », on appréciera la nuance. Un effort de compréhension interculturelle sera même nécessaire tant la brutalité orientée business de Sidewalk sous influence de Doctoroff, l’ancien de Bloomberg, et leur culture du secret se heurtent à la tradition de relations civilisées de Waterfront : des conférences sur la culture canadienne et sa résistance à l’hégémonie US seront ainsi organisées à l’été 2018 pour le personnel de Sidewalk.
On peut dire que les critiques qui pointent la posture coloniale de ces grandes firmes apparaissent pertinentes au regard de ces efforts considérables pour ajuster les comportements.
L’accord est signé le 31 Juillet 2018 alors que les questions sur les données deviennent de plus en plus discutées dans le public. Sidewalk pense ainsi prendre les devants en créant un « civic data trust » indépendant, récupérant les données anonymisées et permettant à d’autres acteurs citoyens, administratifs ou privés d’exploiter les données récoltées.
Mais la définition des « urban data », comme indiqué déjà, continue à poser des problèmes. Toute utilisation des données doit en fait entrer dans le cadre légal existant au Canada qu’on appelle PIPEDA, agrégeant deux textes, Personal Data Protection et Electronic Document Act, qui datent tous les deux de 20 ans. Ces textes de loi relèvent du ministère de l’innovation alors que l’agence Waterfront relève, elle, en dernier ressort, du département fédéral des infrastructures.
Les pouvoirs publics canadiens à leurs échelles différentes tentent en fait d’éviter de devoir réécrire les lois car la procédure serait très longue, et préfèrent trouver une solution contractuelle ad hoc, ce qui évidemment ouvre la porte à toutes les critiques. Le commissaire à la privacy de l’Ontario prône ainsi ce qu’il appelle la « data minimization ».
A partir de 2019, année de la sortie du livre de Soshana Zuboff (The Age of Surveillance Capitalism), qui eut un écho puissant, les campagnes des activistes se sont multipliées, sous le hashtag #Block-Sidewalk notamment puis avec une plainte du CCLA en Avril 2019, tout cela pendant l’attente du plan masse qui n’était toujours pas fourni, et donc dans une situation d’information très imparfaite. Notons aussi que d’autres acteurs s’invitèrent dans la discussion, comme quoi la liste des parties prenantes n’est jamais vraiment closes dans ces projets : les syndicats du bâtiment notamment intervinrent pour soutenir le projet de Sidewalk alors que les Missisangas, nation indigène, exigèrent de participer à tout le processus car leurs idées et leurs intérêts n’avaient pas été pris en compte.
La prétention à créer un fief hors de tout contrôle, malgré les compromis
En juillet 2019, sort le plan masse (MIDP : Master Innovation Development Plan), document de 1524 pages intitulé « Toronto Tomorrow ». Il apparait qu’il est tout aussi énorme et ambitieux qu’au début sans avoir pris en compte la plupart des remarques faites par les diverses parties prenantes tout au long du processus. Sidewalk se pose comme le nouveau régulateur de toute cette zone, ignorant toutes les règles qu’il faudrait revoir à des échelles beaucoup plus larges, pour l’autoriser à construire des immeubles élevés à ossature bois, pour le système de transport léger sur rail ou encore pour piloter directement des feux de circulation adaptatifs.
Blayne Haggart, professeur associé en Science Politique à Brock University (Ontario) crée un blog pour étudier un à un les articles de l’énorme MIDP : un travail qui peut encore servir de référence pour conduire un examen critique de tout dossier de smart city ou de développement urbain.
Waterfront publie une réponse de 100 pages en Septembre signalant toutes les failles du plan masse et demande une réécriture pour le 31 Octobre 2019. Les deux points clés demeurent la gestion des données et des brevets et l’extension impossible vers Port Land puisqu’il faudrait de toutes façons un nouvel appel d’offres, ce que Sidewalk savait très bien en publiant son plan.
Et chose plutôt inattendue, Sidewalk répond en acceptant à peu près toutes les demandes de l’agence : la firme accepte de concourir pour les extensions éventuelles, elle abandonne sa référence à ce concept juridique fake que sont les « urban data », elle respectera les lois de chaque entité, elle partagera les revenus des brevets, etc. Il semble donc que tout rentre dans l’ordre et que Sidewalk ait appris l’art du compromis alors que toute la culture de ces disrupteurs leur imposent de tout faire pour éliminer le droit existant et faire plier les partenaires/ bureaucrates qui bloquent les innovations.
Waterfront accepte donc les 160 propositions de révision de Sidewalk à l’exception de seize d’entre elles, telles que le chauffage prélevant la chaleur des eaux usées à 4km du site ou encore les « ultrasmall efficient units » d’habitation qui sont en fait certes optimisées du point de vue énergétique mais inhabitables d’un point de vue…. humain !!
Le coup de grâce du Covid
Certes, Brin et Page ont quitté la direction de Alphabet en Décembre 2019, ce qui constitue un tournant historique pour la firme, autorisant moins de projections futuristes hasardeuses comme les aimait Brin, mais cela ne saurait remettre en cause le projet. Et pourtant, tout va s’écrouler en quelques mois, car fin Février 2020, Toronto, comme tout le reste de l’Amérique du Nord, est touché par la pandémie du Covid-19.
La conséquence qui affecte alors le plus directement le projet tient à l’effondrement du marché de l’immobilier de bureau. En effet, les confinements sous diverses modalités encouragent le télétravail et la fuite des zones denses. Waterfront devient plus exigeant sur le paiement par Alphabet du montant annoncé pour l’achat du lot et cela sans abattement. Sidewalk est sous pression de la part d’Alphabet pour revenir dans les règles d’un équilibre budgétaire et donc réduire ses coûts. Or, pour le faire sur un espace aussi restreint, il lui faudrait éliminer plusieurs des innovations qui faisaient pourtant l’intérêt de l’opération.
Sidewalk en tire la conclusion très rapidement que ce projet n’est plus intéressant, non viable économiquement et annonce qu’il stoppe sa participation le 6 mai 2020. Quatre ans de tractations diverses et de controverses sont ainsi annulés en trois mois à l’occasion du Covid, sans pouvoir établir si c’est une cause réelle ou une opportunité saisie pour mettre fin à un projet mal parti.
Les suites sont aussi radicales : Sidewalk Labs quitte Toronto puis quitte même le marché en tant qu’entreprise spécifique même si certaines innovations sont réintégrées dans Google même, reflétant ainsi une nouvelle stratégie d’Alphabet, indépendamment du Covid. Sidewalk dans ses derniers mois s’est d’ailleurs redéfini comme un incubateur de start-ups, de brevets et d’idées (dont les immeubles à ossature bois et le système de gestion de parking) et non plus comme l’aménageur urbain qu’il a tenté d’être à Toronto.
C’est avant tout son incapacité intrinsèque à forger des alliances hors du domaine de la tech qui apparait ainsi, et donc une forme d’inculture politique et urbanistique qui exige du temps long, du débat contradictoire et des partenariats et non des diktats à effet immédiat avec contrôle total.
De leur côté, Waterfront a dû relancer un appel d’offres pour un aménageur et non plus pour un « innovateur-sponsor » comme était perçu Sidewalk Labs. Mais la loi canadienne sur la vie privée a été changée dans les 6 mois qui ont suivi la fin de l’expérience de QuaySide : elle est proche du RGPD et étend ses obligations au secteur privé.
Cependant, il fallut deux ans pour sa mise en œuvre effective, car le temps administratif et politique ne relève pas des coups de force ou des passages à l’acte mais de l’acte d’institution durable et responsable, après examen contradictoire et minutieux. Bref, la culture libertarienne a échoué à abattre ou contourner l’Etat de droit mais cela n’empêche pas des promoteurs de tenter de le faire comme Jeff Bezos avec le nouveau siège d’Amazon (HQ2) à Cristal City (Virginie) près de Washington DC, en abandonnant cependant dès 2019 la localisation à NYC envisagée en raison de la controverse suscitée (effet de gentrification, avantages fiscaux exigés notamment). Elon Musk fait de même au Texas en achetant un village (Boca Chica) près de son site de lancement de Space X près de Brownsville et la gentrification de la ville apparait très vite.
Smart cities sans intelligence collective : un comble !
L’histoire racontée par Josh O’Kane explore encore d’autres biographies d’acteurs, car c’est son angle préféré. Cependant, pour l’analyse des dimensions politiques et des négociations internes entre les parties prenantes, son récit est remarquablement riche car il remet au premier plan ce que les belles histoires des technophiles et des libertariens veulent passer sous silence.
Ces innovations urbaines ne sont pas « techniques », elles sont encastrées dans des rapports sociaux, dans des environnements précis, dans des cadres juridiques, dans des cultures et des visions politiques qui entrent en conflit, elles sont « urbaines » au sens plein du terme. Le déni de ces dimensions ou leur instrumentalisation supposée par les techniques du numérique, du calcul et des modélisations conduit ces projets dans le mur et on ne peut pas s’en plaindre.
On peut cependant regretter que dans ces projets aux financements énormes de « smart cities », l’ingrédient le plus difficile à trouver soit « l’intelligence collective ».
Notes
Laugaa, M., Pinson, G. et Smith, A. (2024) . Les strates de la smart city L’institutionnalisation disjointe des politiques urbaines du numérique à Bristol. Réseaux, N° 243(1), 103-142.
Tierney, T. F. ‘Toronto’s Smart City : Everyday Life or Google Life ?’ Architecture_MPS, 2019, 15(1) : 1, pp. 1–21.
Un billet d’Irénée Régnault qui date de 2019 et qui soulevait déjà tous les problèmes du projet QuaySide : https://maisouvaleweb.fr/toronto-quayside-cite-etat-numerique-etre-democratique/
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