Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Le financement occulte et la nomination de la juge Barrett Le lien entre les grands pollueurs, et la guerre contre l’ACA (Obama Care), Roe V Wade (jugement qui rend l’avortement légal), et les droits des LGBTs

Au cours de la comparution de la juge Amy Coney Barrett devant la Commission judicaire du Sénat en vue de la confirmation de sa nomination à la Cour suprême, le Sénateur démocrate du Rhode Island, Sheldon Whitehouse, au lieu de questionner la candidate, a décidé de faire un exposé de trente minutes sur le rôle de groupes de droite comme la Federalist Society et le Judicial Crisis Network, dans le financement occulte (d’actions) qui refaçonne le secteur judiciaire du pays, (tout en s’adressant à la juge Barrett). Nous vous en donons ici des extraits. (…)

democracynow.org, 16 octobre 2020
Traduction, Alexandra Cyr

Introduction

Sénateur S. Whitehouse : Mon expérience du monde politique m’a démontré que lorsque vous faite face à de l’hypocrisie, vous devez chercher le financement occulte. On peut se dire : « Pourquoi donc ? Ce n’est qu’une bataille politique verbale. Ça ne représente pas grand-chose  ». Mais il y a des enjeux majeurs bien connus. Je vais vous faire part de trois d’entre eux : Roe vs Wade, Obergefell (la présentation de cette cause n’est pas traitée dans les extraits transmis ici. N.d.t.) et les causes reliées à l’Obama Care.

Dans ces trois cas, d’importants financements anonymes ont joué un rôle à diverses étapes des processus. La Federalist Society a joué sa partie. Son administrateur, Leonard Leo est intervenu dans la sélection de candidats.es nommés.es à des postes de juge. Comment savons-nous cela ? Parce que le Président l’a répété plus d’une fois. Son conseiller à la Maison blanche aussi. Donc, un groupe anonyme dirigé par Leonard Leo a financé la sélection pour des postes de juges.

Autre exemple : encore une fois, des contributeurs.rices de fonds via quelque chose baptisé Judicial Crisis Network, dirigé par Carrie Severino, font des représentations et des campagnes publiques en faveur des candidats.es républicains.es à des postes de juges. 17 millions de dollars a été dépensé en un seul don dans le refus d’entendre le juge Garland nommé par le Président Obama et la candidature du juge Gorsuch nommé par le Président Trump. Un autre montant de 17 millions de dollars a été injecté dans le soutien à la candidature du juge Kavanaugh. Peut-être est-ce la même personne qui a versé 35 millions pour influencer l’organisation de la Cour suprême des États-Unis. Dites-moi, que c’est correct !

Et, en plus, il se trouve une armée de groupes d’avocats.es aussi financés par l’argent occulte qui jouent un rôle différent. Ils défèrent des causes devant les tribunaux. Ceux et celles qui agissent ne portent pas leurs causes directement devant les tribunaux, votre Honneur, ce sont les groupes d’avocats.es qui s’en chargent. Dans plusieurs cas, l’objectif est de perdre devant les tribunaux inférieurs pour rapidement pouvoir présenter leur cause devant la Cour suprême et arriver à leurs fins. Pour ce faire ils se transforment en Amicus curiae, Amis de la cour et présentent leur requête les uns.es après les autres en un chœur bien orchestré.

J’ai eu la chance de voir cela de près. J’ai moi-même été un Ami de la cour dans la cause concertant le Bureau de la protection des consommateurs. J’y ai vu défiler onze Amis faire leur représentation les uns.es après les autres. Chacune de ces personnes était financée par un seul groupe appelé Donors Trust. C’est une organisation de droite gigantesque qui sert à garder secrète l’identité de ses donnateurs.trices et finance des causes et activités quelques soient les vrais.es contributeurs.trices. Ce n’est pas une entreprise, ils n’ont pas de plan d’affaire, ils ne font rien. C’est simplement un instrument de camouflage d’identité. Et huit sur onze des Amis dont j’ai parlé, ont aussi été financés par la Fondation Bradley.

Ça me semble étrange de voir des personnes avec le statut d’Amis de la cour venir faire leurs représentations sur une cause, les unes après les autres, tout en étant financées par les mêmes groupes. (…) Le Centre pour les médias et la démocratie a fait un excellent travail à ce sujet. Il a réussi à trouver qui avait financé les Amis dans la cause CFBP (le Bureau de la protection des consommateurs en matière financière). On y trouve la Fondation Bradley à hauteur de 5,6 millions de dollars et Donors Trust qui a attribué 23 millions à ces groupes rédacteurs de représentations, pour un grand total de 68 millions de dollars à des groupes qui se présentent devant la Cour en rangs dispersés alors que dans les faits il s’agit d’un seul groupe.

Et ce n’est pas que dans la cause déjà citée, comme vous pourriez le penser. C’est encore dans la cause Janus, (un article sur cette cause existe dans nos archives n.d.t.) ce jugement qui s’attaque aux conditions de travail, même chose dans celle intitulée Friedrichs et Knox et bien d’autres encore. Le financement de DonorsTrust et Donors Capital Fund a été dévoilé par SourceWatch et ProPublica. La Fondation Bradley s’y trouve aussi. Ensemble ils ont versé 45 millions de dollars à 15 groupes qui se sont présentés un par un comme Amis de la Cour en prétendant être différents les uns des autres. Dans la cause Janus, les deux des groupes d’avocats qui sont intervenus ainsi étaient financés par Donors Trust et la Fondation Bradley.

Ceci se répète encore et encore et dépasse les seules représentations au tribunal, va au-delà des présentations à titre d’Amis de la cour. Rappelez-vous la Federalist Society. Elle agit comme intermédiaire (dans l’administration Trump) et D. Trump a déclaré qu’elle est chargée de la sélection des candidats.es juges. Elle reçoit des fonds des mêmes groupes : de Donors Trust, 16,700 millions, de la Fondation Bradley, 1,370 millions et du même groupe de fondations, un total de 33 millions de dollars.
Donc, il est possible d’examiner tout ça et de commencer à voir les liens qui les unissent : des groupes d’avocats.es constamment financés par les mêmes organisations qui introduisent des causes avec la stratégie de la multiplication des Amis de la cour. Quant à moi, il s’agit d’une grosse affaire. Je n’ai jamais vu de toute ma carrière, autant de financement occulte et autant d’influence (en action). Le Washington Post résume ainsi : « C’est une campagne de militants.es conservateurs.trices qui agissent dans l’ombre dans le but de remodeler les tribunaux ». Il s’agit d’une opération de 250 millions de dollars de fonds occultes.

Il y a une autre pièce à cette affaire. Elle n’est pas devant nous mais derrière. Il s’est trouvé 80 causes devant le juge en Chef Roberts qui présentaient ces caractéristiques. Les arrêts ont été pris à cinq contre quatre donc à une faible majorité (dans les 80 cas). Et cette majorité s’est établie sur des bases partisanes, aucun.e juge nommé.e par les Démocrates ayant jugé dans le même sens. J’appelle cette organisation les Roberts Five. Il y a eu un peu de changement depuis le décès du juge Scalia par exemple, mais il y a un regroupement plutôt solide de cinq juges autour du juge en chef qui ont eu la majorité dans ces 80 causes. Et finalement ce qui caractérise ces jugements c’est que chacune des 80 causes était soutenue par des donateurs républicains qui ont gagné dans chacun de ces jugements.

Il est important de connaitre la portée de ces causes. Il ne s’agissait pas de causes bien connues par le public comme défaire Roe vs Wade ou se débarrasser de l’Afordable Care Act (Obama Care) ou même du mariage pour les conjoints.es de même sexe. Non, elles portaient sur le pouvoir. En les examinant on se rend compte que l’on peut classer chacune d’elles en quatre catégorie sans se tromper. L’une, permet l’utilisation de fonds occultes dans la politique, c’est l’arrêt Citizens United. L’arrêt McCutcheon, un peu plus tard, retire toutes les limites de financement en politique. Et une autre est à venir. Elle portera sur la fin des procès devant jury. L’existence du jury était dans la Constitution, la Charte des droits et notre chère Déclaration d’indépendance. Mais cela déplait aux grandes entreprises. Elles peuvent toujours aller se vanter devant les membres du Congrès, dire au Président pour qui elles ont participé au financement lors de son élection quoi faire. Il y placera l’un.e ou l’autre de vos comparses. Tout ça est bien beau jusqu’à ce que vous vous retrouviez devant un jury parce qu’il a, comme vous le savez Mme la juge Barrett, un obligation légale d’être juste envers les deux parties en litige peu importe leur poids socio-politique. Vous ne pouvez pas lui verser de pots de vin. Ce serait un crime, alors que c’est de pratique courante au Congrès.

Donc, nous avons vu qu’il n’y a plus de limites aux fonds occultes. Ensuite des manœuvres pour faire disparaitre le jury populaire. Vient ensuite l’affaiblissement des agences régulatrices. Je suis convaincu qu’une grande partie de ces fonds est fournie par les pollueurs. Les industries Koch polluent. Les industries de l’énergie fossile sont des pollueuses. Qui donc investirait autant d’argent dans cette cause en se cachant derrière le Donors Trust ou d’autres organisations de ce genre. He ! bien, si vous êtes un grand pollueur qu’est-ce que vous recherchez ? De agences régulatrices faibles. Vous en voulez qui soient capables de ne tenir aucun compte du Congrès et faire en sorte que ce soient vos amis.es qui y prennent les décisions que vous voulez.

Et à la fin, vient l’enjeu du vote. Qu’est-ce qui a bien pu décider la Cour suprême à prendre une décision aussi peu liée aux faits, pas le genre de décision que les cours d’appel doivent ordinairement prendre, comme je le comprends, Mme la juge Barret, la décision de retirer l’obligation de contrôle préalable (de la part du gouvernement fédéral) des conditions du vote dans les États (où les traditions discriminatoires étaient toujours présentes) et que personne n’avait à s’inquiéter des droits de vote des minorités et que les législateurs.trices vont adopter des lois et règlementations qui visent à annuler leurs capacités à voter ? Résultat : l’arrêt Shelby County vs Holder, (adopté par cinq juges de la Cour suprême) qui a mené à l’adoption d’une loi du Congrès (les deux chambres réunies) pour en effet abolir cette obligation de contrôle préalable sans aucun égard pour les faits. Le problème était réglé mais sans aucun examen des faits, sans bases valables aucunes. Et nous en voyons les résultats en ce moment : l’adoption de lois restreignant le vote dans une succession d’États. L’une d’elle vise si directement les Afro Américains.es que les tribunaux l’ont qualifiée de « chirurgicale » conçue pour toucher exactement cette minorité.

Partout, dans ces situations c’est le pouvoir politique qui est en jeu, on trouve les grands intérêts spéciaux, des gens qui veulent financer les campagnes électorales et des gens qui veulent agir en politique sans se découvrir en se cachant derrière Donors Trust et d’autres groupes qui opérationnalisent ces actions encore et encore avec le même stratagème. 80 jugements, Mme la juge Barrett….

Il y a quelque chose de vicié autour de la Cour suprême et du système juridique. Le financement occulte y joue un rôle important. Les intérêts spéciaux y jouent un rôle important. Donors Trust et quiconque se cache derrière lui y jouent également un rôle important. La Fondation Bradley qui orchestre le défilé d’Amis de la Cour a aussi beaucoup à y voir.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : États-Unis

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...