Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Le discours inaugural de François Legault, un discours d'un gouvernement au service de la classe entrepreneuriale

Un discours inaugural doit nous renseigner sur les intentions d’un nouveau gouvernement. Il s’en tient la plupart du temps à des généralités. Il vaut cependant la peine de le lire attentivement car il peut nous permettre, au-delà de la rhétorique qui s’y exprime, d’identifier les valeurs que le gouvernement veut promouvoir et les intérêts qu’il s’apprêter à servir.

La priorité : être au service de la classe entrepreneuriale d’ici et d’ailleurs

Le premier ministre François Legault est fier. Jamais un gouvernement du Québec n’a compté autant d’anciens dirigeants de grandes entreprises, de banquiers et de gestionnaires. Tous ces gens, écrit-il veulent enrichir les Québécois, enrichir le Québec. Il se donne une mission : créer les conditions favorisant les investissements des entrepreneur.e.s d’ici et attirer les investissements. À ce niveau, il promet d’accueillir les investisseurs à bras ouverts. Et cela passe par une fiscalité compétitive avec celle des États-Unis, une fiscalité où les entreprises ne font pas leur part. Non seulement, il faut s’assurer que les entreprises paient moins, mais le gouvernement se donne comme tâche de les aider à conquérir les marchés d’Europe, d’Asie et d’Afrique sans oublier celui les provinces canadiennes. « Sortez vos projets, on va vous aider ». Ces perspectives le rendent lyrique. Il veut « arrimer la recherche, l’innovation, l’entrepreneurship et la beauté ». Rien de moins. Et cette augmentation de richesse des plus riches va « nous permettre de nous offrir de meilleurs services publics en éducation, en santé, en environnement, dans les infrastructures de transport et en culture. » La théorie du ruissellement dans toute sa démagogie la plus niaise. Mais les personnes les plus démunies sont absentes du tableau. La lutte contre l’appauvrissement de couches importantes de la population, et particulièrement des femmes, ne fait pas partie de la préoccupation du premier ministre. En faire une priorité est complètement de sa vision de l’économie.

François Legault et l’environnement ou le degré zéro de la réflexion écologique

François Legault a été prévenu. La population du Québec est alarmée par la crise climatique. Il ne pouvait pas l’ignorer. Il fallait qu’il prononce quelques bons mots pour apaiser les préoccupations. « Je ne peux ignorer le défi de l’urgence climatique et continuer de regarder mes deux fils dans les yeux. » « La survie de la planète est en jeu ». Mais cela ne le trouble pas suffisamment pour en faire une priorité de son gouvernement. Car, ce qui l’intéresse d’abord, c’est d’utiliser notre énergie pour attirer les industries de fabrication, pour développer la production en serres, pour faire une Québec « la batterie du nord-est de l’Amérique ». C’est pourquoi les projets polluants ne lui font pas peur. Oui, il est pour la construction d’un gazoduc qui traversera le nord du Québec et pour la construction d’une usine de liquéfaction du gaz naturel (le projet Énergie Saguenay). Oui, il est pour la construction d’une usine de fertilisants à Bécancour qui ajouterait 1 million de tonnes de GES au bilan du Québec nous éloignant encore davantage de nos cibles en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Et bien sûr, il est prêt à présenter le troisième lien, comme projet d’économie durable, alors que ce projet permettra un nouveau développement du parc automobile avec les conséquences que l’on connaît.

Pour ce qui est d’émissions de gaz à effet de serre, son excuse pour ne pas s’engager à maintenir les cibles pour 2020, c’est que « le Québec nage en pleine noirceur. » Personne ne sait, dit-il, s’il ce sera possible d’atteindre les cibles pour 2020 ? On ne connaîtrait pas la situation. Il se contente de mettre sur pied un comité pour enquêter sur la question. Alors que l’on sait, que le Québec marque le pas [1], François Legault ne se veut pas audacieux. Il ne veut pas prendre les moyens qui seraient nécessaires pour atteindre les objectifs visés. Tout ce qui les préoccupe, c’est de voir si l’investissement dans les transports collectifs et l’électrification des voitures, trains, autobus et camions pourront être l’occasion d’affaires lucratives et des choix d’investissements possibles pour les entrepreneurs d’ici ou d’ailleurs. Pas l’amorce d’une réflexion, sur l’épuisement des ressources, et sur les limites de la croissance. Les appels répétés des scientifiques à faire de la lutte aux changements climatiques une priorité ne seraient que discours idéologiques.

La panacée des maternelles quatre ans comme solution aux difficultés réelles du réseau de l’éducation

En éducation supérieure, la préoccupation du premier ministre est de rapprocher les chercheurs des entrepreneurs. En fait, il reprend la rhétorique qui promeut la soumission des universités aux besoins des entreprises. Au niveau de la formation fondamentale, le discours se veut plus généreux. Il faut « donner à tous les enfants les outils pour aller au bout de leur potentiel ». Le Québec serait en retard au niveau de la réussite scolaire. Il faut, pour le premier ministre, mettre sur bien des maternelles 4 ans afin de pouvoir dépister les enfants en difficulté d’apprentissage. Cet objectif des maternelles quatre est présenté comme une véritable panacée à l’ensemble des problèmes du système scolaire. Le premier ministre n’identifie pas les élèves à risque compte tenu de la situation de pauvreté vécue par les familles et la nécessité de prioriser les maternelles et autres types de soutien dans ces milieux. Il ne dit rien bien sûr sur la ségrégation scolaire qui fait éclater l’unité de l’école publique et qui mène à donner moins de ressources aux populations qui en ont moins.

Le premier ministre Legault ne dit rien non plus sur le financement des écoles privées qui coûte 500 millions de dollars au trésor public et qui prive l’école publique de fonds qui lui seraient nécessaires. Mais le premier ministre réaffirme sa volonté de réduire la taxe scolaire. Cette « décision privera les finances publiques de 700 millions de dollars additionnels sans apporter aucune amélioration dans le réseau de l’éducation. (…) De plus, avec cette baisse de la taxe scolaire, l’argent se retrouvera bien davantage dans les proches des propriétaires fonciers que dans celles des familles. Rappelons-nous que près de 40% des ménages québécois sont locataires et ne verront jamais la couleur de cet argent »  [2]

La proposition d’élimination des commissions scolaires, des élections scolaires et des postes de commissaires pour les remplacer par un centre de services administré par des technocrates, élimine un pan de la démocratie scolaire qu’il faudrait sans doute rénover, mais en ce domaine également, le premier ministre ne fait preuve ni d’audace ni de vision. Ce n’est que le symptôme de sa volonté de ne pas écouter réellement les intervenant.e.s est qui sont au coeur du fonctionnement du réseau de l’éducation. Ils et elles devront se contenter d’une salutation et d’une reconnaissance factice.

Bref, on ne trouvera aucun diagnostic sérieux des difficultés de l’école publique ni aucune solution précise sur les voies de dépassement de la situation.

La santé, un simple rappel des promesses de campagne

Le discours inaugural promet aux Québécois.e.s de « voir rapidement un médecin, une infirmière, un pharmacien quand ils sont malades ». Mais, il ne précise pas des objectifs précis à ce niveau. Le premier ministre dit compter sur les GMF. Mais « miser sur les GMF, des structures privées, serait une grave erreur. Poursuivre dans cette voie, c’est laisser encore une fois le contrôle de la première ligne entre les mains des médecins. » [3] Et ce qui est le plus choquant pour le personnel de la santé, c’est que le discours inaugural ne dit rien, absolument rien sur l’allègement de la charge de travail et l’abolition des heures supplémentaires obligatoires, rien sur la nécessaire réduction des ratios professionnelles en soins/patients. [4]. Les salutations au dévouement et l’affirmation de la volonté du gouvernement « à insuffler une bonne dose d’humanisme dans les soins prodigués aux aînés » ne peut fonder une véritable politique en santé.

Immigration et laïcité, le discours inaugural illustre un nationalisme régressif

Continuant à surfer sur les peurs face aux personnes migrantes, le premier ministre Legault a réaffirmé dans son discours inaugural sa volonté de réduire le nombre d’immigrant.e.s de 10 000 personnes faisant passer le seuil de 50 000 personnes à 40 000 personnes. Ce projet de réduire le seuil d’immigration au nom d’une meilleure intégration va contribuer à nourrir la parole xénophobe, car l’immigration est présentée comme un danger pour la langue et la culture françaises. En fait, le discours inaugural s’inscrit dans la logique néolibérale où l’immigration souhaitée serait une immigration économique choisie et arrimée aux critères de sélection répondant aux besoins des entreprises. L’immigration pour permettre le regroupement familial ou l’accueil des réfugié.e.s n’est nullement abordée dans le discours inaugural. Et ceci n’est nullement innocent.

L’interdiction des signes religieux pour les personnes en autorité (y compris les enseignant.e.s) vise d’abord la population musulmane et particulièrement les femmes musulmanes et remet en question le droit au travail de ces dernières. Ce sont des politiques irresponsables dont les seuls fondements c’est la rente électorale que ces politiques lui permet de toucher.

François Legault n’a rien de sérieux à proposer à la majorité populaire.

Il n’a rien à proposer en termes de justice sociale et à la lutte contre les inégalités. Ses préoccupations se concentrent sur l’enrichissement des plus riches. Il n’a rien à proposer en ce qui concerne les luttes aux changements climatiques sauf des bons mots alors qu’il est prêt à poursuivre le « business as usual ». En éducation, sa priorité proclamée, il ne nous sert que la panacée des maternelles quatre ans, sans aucun diagnostic sérieux des difficultés vécues par les personnels oeuvrant dans ce réseau. En santé, la pénurie de main-d’oeuvre et la surcharge de travail ne méritent aucune proposition conséquente. Enfin, dans les rapports au gouvernement fédéral, il n’a aucune revendication à mettre de l’avant. C’est la démission sur la ligne de départ. Pour ce qui est de la promesse de réforme du mode de scrutin, il reste la population dans le flou par rapport à ce qu’il nomme le consensus nécessaire pour réaliser cette réforme.

Les défis à relever pour la majorité populaire sont d’autant plus importants. Ce gouvernement voudra nous imposer que de fausses solutions qui ne satisferont aucun des problèmes auxquels les classes ouvrières et populaires vont faire face dans les prochaines années. La construction d’un vaste front de résistance à ces politiques néolibérales, anti-écologistes et réactionnaires est à l’ordre du jour.


[1« Au lieu de diminuer, les émissions de gaz à effet de serre du Québec ont augmenté entre 2015 et 2017, selon le bilan publié jeudi matin 29 novembre par le ministère de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques, Les émissions de gaz à effet de serre en hausse au Québec, Alexandre Shields, Le devoir, 29 novembre 2018)

[2Sonia Éthier, Un gouvernement qui sabote sa priorité nationale, Le soleil, mercredi 28 novembre 2018

[3Nancy Bédard, présidente de la FIQ, Le premier ministre a manqué son premier rendez-vous avec les professionnelles en soins ». Communiqué de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), 28 novembre 2018.

[4ibidem, FIQ, communiqué du 28 novembre 2018

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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