Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections québécoises 2012

Le conservatisme et la Coalition Avenir Québec

« Si l’Homme est libre de choisir ses idées il n’est pas libre d’échapper à leurs conséquences »
Bossuet

Quand Monsieur Legault utilise la peur comme il le fait actuellement en utilisant l’épouvantail de la dette, en culpabilisant les Québécois d’avoir choisi la social-démocratie, en nous disant qu’il faut créer de la richesse, quand M. Legault s’entoure de gens d’affaires et d’apôtres reconnus de la droite économique, il ne fait pas de la politique, il fait de la propagande idéologique en faveur d’une classe qui ne représente d’aucune façon la majorité de la population. La CAQ est apparue sur la scène politique dans un seul et unique but : mettre le Québec au pas du néolibéralisme.

Selon l’idéologie prônée par la CAQ, l’État doit s’effacer et cesser d’intervenir dans l’économie, même s’il en est un acteur incontournable. Il s’agit là d’un dogme bien connu de la droite, qui s’appuie depuis plus de 200 ans sur le beau principe de la main invisible, sur un matérialisme immuable et sur une vision darwiniste des relations humaines. C’est sur ces assises philosophiques que s’est maintenu l’establishment financier et corporatiste depuis l’ère industrielle, et c’est sur ces mêmes piliers que s’appuie toujours le conservatisme contemporain. Car le conservatisme, c’est d’abord la préservation des acquis et la poursuite d’un libertarisme aussi extrême que déshumanisant.

La CAQ est un parti conservateur, ni plus, ni moins. Elle est constituée de mandarins politiques représentant une élite économique qui ne veut pas de l’État dans le marché, qui ne veut pas d’une instance qui puisse donner un vrai levier de pouvoir aux citoyens, qui ne veut pas d’institutions qui puissent prendre le rôle d’arbitre face aux enjeux contemporains, comme l’environnement, l’équité et la paix sociale. Tout cela nuit au commerce, disent-ils, à la croissance. Ainsi, la valeur d’échange est la seule donnée à considérer dans la conduite de la société, et tous ceux qui ne comprennent pas cela sont des idéalistes, des gauchistes, des gens déraisonnables.

Si ces idéologues de l’ultralibéralisme affirment que l’État n’a pas à se mêler du marché, le marché, lui, fait tout pour se saisir de l’État, voire de l’infester. Jamais depuis les démocraties de masse, a-t-on vu le monde des affaires contrôler autant les gouvernements. Et pour cause : l’État est un levier de pouvoir et de richesse considérable pour les classes d’affaire, d’autant plus qu’on peut aisément le manipuler pour le moins qu’on ait les moyens financiers et un accès médiatique privilégié pour convaincre la populace de notre bonne foi. Mais concrètement, ce qui attire réellement l’establishment d’affaire en politique, c’est avant tout les opportunités : subventions aux grandes entreprises, dérèglementations commerciale, environnementale et fiscale, laxisme face à la collusion, transferts de risques à la sphère publique, bref, tous les moyens sont bons pour traire la vache étatique au détriment de la collectivité, et au bénéfice de ceux qui « créent des emplois ».

Pendant que la CAQ accuse le Québec de s’être rendu « malade », d’avoir osé privilégier la valeur d’usage de ses services publics et la paix sociale issue d’une véritable social-démocratie, pendant que ce parti conservateur promeut le conformisme néolibéral et une intégration aveugle aux mécanismes de la mondialisation, la CAQ balaie du revers de la main les conséquences de son obsession pour la marchandisation totale. On voit bien les effets désolants de la fuite en avant du libéralisme illimité sur l’environnement et la santé socioéconomique de l’ensemble des nations du monde (effondrement des pays dits en voie de développement, endettement des pays dits industrialisés, catastrophes écologiques et climatiques, pénurie alimentaire, épidémie de cancers et de maladies dégénératives, appauvrissement généralisé).

Quand malgré toutes ces conséquences et malgré un siècle d’atrocités fondé sur le matérialisme et le conservatisme, la CAQ nous dit que la mondialisation et le néolibéralisme sont la seule voie à suivre, que le Québec est en retard, quand M. Legault ose nous dire qu’il faut exploiter notre pétrole pour payer la dette, qu’il faut baisser les impôts, quand ses apôtres nous disent d’un ton supérieur que le Québec doit mieux s’intégrer à la structure économique globale, ce ne sont pas des politiciens voulant le bien de la population et du Québec qui parlent. Ce sont des hommes d’affaires qui revêtent le masque du bienfaiteur pour mieux servir leurs propres intérêts et ceux de leurs commanditaires. Les ténors de ce parti pseudo politique sont à ce point endoctrinés dans les schèmes néolibéraux, que leur vision de la gouvernance est entièrement modulée par le paradigme productiviste. Pour eux, l’État doit être mené comme une entreprise privée, par des spécialistes du rendement. Ainsi, il est temps de marchander l’éducation, les soins de santé, les services sociaux. Est-ce vraiment ce que les Québécois veulent ?

La dernière proposition caquiste d’étirer les heures de cours au secondaire de 9h à 17h est très révélatrice. On peut d’abord constater l’incompétence du parti en termes de politique sociale ; n’importe qui de sérieux en matière d’éducation comprend que le simple fait d’ajouter des minutes n’améliore pas la qualité du système. Si la CAQ était vraiment soucieuse du réseau public, ses commissaires politiques sauraient que les jeunes peinent déjà à demeurer attentifs et motivés dans le cadre de l’horaire de classe actuel. Avec un peu de compétence, la CAQ saurait aussi que dans les systèmes les plus performants du monde, les jeunes passent moins de temps en classe que dans le reste de l’Occident, mais obtiennent de meilleurs résultats et ne décrochent pratiquement pas. Les pays scandinaves ont misé sur la qualité et l’efficacité du service à l’élève, et ils ont compris que le temps optimal d’apprentissage est limité, et qu’au-delà, l’attention et la motivation s’épuisent. Mais François Legault affirme qu’il faut s’adapter à la réalité d’aujourd’hui ! On voit très bien ce qu’est la réalité pour les conservateurs : le Québec est une grosse « shop », et pourquoi ne pas utiliser les ressources déjà étriquées du système d’éducation comme garderie pour « accommoder les parents ». Cela démontre à quel point les promesses de la CAQ sont cosmétiques, démagogiques et improvisées ; les objectifs profonds de ce parti, Legault n’en parlera pas.

Mais une chose demeure : il est vrai que l’État doit mieux remplir ses responsabilités et trouver un équilibre entre les dictats économiques mondiaux et les valeurs profondes de notre nation. C’est pourquoi il faut favoriser davantage les sciences sociales et naturelles au sein du gouvernement, plutôt que les sciences commerciales. C’est pourquoi l’État doit se détacher des milieux d’affaires pour accomplir ses missions envers la collectivité et assurer la cohésion de la société. L’équilibre doit être plus grand entre les valeurs d’usage et d’échange, entre les besoins individuels et collectifs. Seul un progressisme non dogmatique, scientifique et humaniste peut amener la sagesse, la responsabilité et l’éthique nécessaires à une gouvernance d’État plus réaliste et bénéfique à tous.

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