À contrario, tant en pourcentage de votes qu’en nombre de sièges, la CAQ, succédané populiste droitier des Libéraux, n’a même pas égalé la performance de l’ADQ, qu’elle a absorbée, lors des élections de 2007. Reste qu’elle est bien en selle dès sa première expérience électorale grâce au soutien de Québécor, le plus anti-syndical et le plus pro-Conservateur fédéral parmi les monopoles médiatiques.
À la tête d’un très faible gouvernement minoritaire, le PQ, qui n’était déjà plus depuis belle lurette que l’ombre du parti issu de la phase prolétarienne de la « révolution tranquille » (1966-1976), n’est plus que l’ombre de son ombre malgré l’expertise professionnelle de sa députation, reflet des « classes moyennes » technocratiques et bureaucratiques qui lui restent fidèles. Écorché par ses politiques ultra-libérales de drastiques coupures, baisses d’impôt et répressions syndicales lors de son dernier passage au pouvoir de 1994 à 2003, il est devenu incapable, même dans les meilleures conditions, de dépasser sa base composée du tiers de l’électorat votant. Son discours électoral souverainiste de gauche de fin de campagne tournera brusquement de bâbord à tribord sous les bourrasques des exigences de la CAQ qui détient la balance du pouvoir.
Quant à Québec solidaire, malgré la grande popularité de son député élu en 2008 et la sympathie de Radio-Canada et des médias de Power Corporation envers sa chef effective, depuis la débat des chefs de la mi-campagne où elle a bien performé, afin d’empêcher un gouvernement péquiste majoritaire, il n’a pu faire mieux que de progresser de deux points de pourcentage (4 à 6%) et d’un deuxième siège même si la croissance de l’électorat et surtout celle du taux de participation fait en sorte que son vote a doublé. Malgré l’obstacle du dit « vote stratégique » propre au système uninominal à un tour, la hausse importante du taux de participation de dix-sept points de pourcentage par rapport à l’élection de 2008 aurait dû lui amener davantage de votes des mécontents si le parti avait su représenter non pas l’alternance institutionnelle la plus à gauche des partis en lice mais une alternative de rupture anti-systémique qui ne fait pas l’économie d’une stratégie d’affrontement contre les banques et contre les transnationales.
Faut-il ajouter que la satisfaction de la bourgeoisie est grande même si elle n’a pas gagné le gros lot, soit un gouvernement Libéral ou au moins caquiste, ce qui lui paraissait de toute façon hors d’atteinte au moment du déclenchement des élections. Tant à Toronto (Alexandre Shields, Menotté, le gouvernement Marois inquiète moins le milieu des affaires, Le Devoir, 6/09/12) qu’à Ottawa (Marie Vastel, La minorité du PQ soulage Ottawa, Le Devoir, 6/09/12), les satisfecit débordent et la bourse est rassurée. À sa façon déformée, l’attentat meurtrier perpétré par un homme d’affaires anglo-québécois lors de la soirée électorale du PQ dénote la peur viscérale d’un diabolisé indépendantisme vomie par plusieurs grands médias anglophones. La victoire patronale était en fait acquise avant même la journée des élections. La bourgeoisie a pleinement réussi à combiner illusion électoraliste et répression pour infliger une défaite au mouvement étudiant. (Mon article, La résilience étudiante interpelle les partis, à commencer par Québec solidaire, Presse-toi-à-gauche, 31/08/12), même si ce sont les Libéraux qui ont semé et le PQ qui, in extremis, moissonne une amère récolte.
Retour à la « bonne gouvernance »
L’annulation des cours aux dépens de la poignée de grévistes ultimes de l’Université de Montréal, qui n’avaient voté le retour en classe qu’après les élections, signale le retour du boomerang. Au mieux, la promesse péquiste d’un gel indexé au coût de la vie est en-deçà de la demande minimaliste de statu-quo exigée par les ex grévistes. Si le gouvernement minoritaire peut à court terme procéder par décret, il est attendu dans le détour soit au prochain sommet de l’éducation qui étudiera le mode de financement des universités soit lors du prochain budget qui le coulera dans le ciment. Sans rapport de force dans la rue, la voie des reculs est grande ouverte. Comment appeler autrement que défaite, quelque soit les promesses d’avenir, cette grève sans précédent qui n’arrache même pas le statu quo. Elle se double de la défaite du mouvement social contre les politiques néolibérales qu’était devenue cette grève dont la profondeur et la longévité est du jamais vu et dont les manifestations monstres des 22 de chaque mois ont été la caisse de résonance de toute la société.
Ne doutons pas que PQ et CAQ, après quelques concessions partielles au mouvement étudiant, par rapport au coup de Jarnac des Libéraux s’entend, et l’une ou l’autre au mouvement social en particulier sur la question de la taxe de capitation sur la santé, sauront s’entendre comme larrons en foire sur le ménage anti-corruption aux dépens des Libéraux, en reconstruction après la démission de leur chef et premier ministre sortant, et sur un ensemble de populistes politiques identitaires afin de masquer la continuité des politiques d’austérité et de soutien au capital (Mon article, Québec solidaire malgré tout, Presse-toi-à-gauche, 28/08/12). Même le Plan Nord trouvera preneur en autant qu’il en reste quelque chose au gré de la baisse amorcée du prix mondial des matières premières hors alimentation.
Reste que tout ce beau monde se mettra en mode électoral en attente d’une prochaine élection générale. On peut être certain que le PQ jettera le blâme sur la CAQ à propos de l’impossibilité de mettre en œuvre ses promesses électorales les plus progressistes et que la CAQ fera de même à propos de l’impossibilité de faire la guerre aux syndicats. Après tout, jusqu’à date, la collaboration de classe, dite « concertation », marche à merveille. Sans opposition organisée et publique aux directions des centrales et aux grandes fédérations syndicales, Dieu sait quelle couleuvre elle pourrait encore faire avaler aux bases syndicales pire que le coup fourré de la convention collective du secteur public de 2010. Last but not least, disparaîtra de l’horizon, au plus grand soulagement du PQ, toute perspective référendaire. Ne restera plus que la fédéraliste « bonne gouvernance » néolibérale.
Pendant que la direction de Québec solidaire cherche le PQ…
On peut douter que Québec solidaire échappe à la tentation d’achever sa transformation en pure « machine électorale ». La compromission du programme ne s’est pas fait attendre. Lors d’une entrevue au Devoir à quelques jours de l’échéance électorale (Marco Bélair-Cirino, Amir Khadir et Françoise David au Devoir – « On veut tirer le PQ vers le centre-gauche », Le Devoir, 31/08/12), ses deux porte-parole affirmaient que si le parti détenait la balance du pouvoir, la direction du parti serait prête à promettre au PQ au moins un an de soutien sans aucune condition. Pire, ils y renouvelaient, tout à fait contre la décision de la base du parti clairement exprimée en congrès, l’offre d’alliance « progressiste et souverainiste » pour la prochaine élection à la seule condition d’obtenir la proportionnelle mixte. Jaugés à cette aulne, tous les engagements mentionnés dans cette entrevue ne sont là que pour l’apparence quoique il n’est pas dit que le PQ n’eut pas été tenté par certaines, quitte à s’arrêter à mi-chemin, si Québec solidaire avait effectivement détenu la balance du pouvoir (Mon article, Le cadre financier et le plan vert de Québec solidaire, ESSF, 18/08/12).
On peut même se demander si la réduction des prix des médicaments aux dépens des transnationales pharmaceutiques à la mode néo-zélandaise et ontarienne n’aurait pas trouver grâce auprès du PQ. Jusqu’ici, le gouvernement québécois est aux petits oignons envers l’industrie pharmaceutique, une importante « grappe industrielle » qu’elle n’est ni en Nouvelle-Zélande ni en Ontario. Sauf que depuis un ou deux ans, cette industrie en panne d’innovation n’a de cesse d’annoncer des fermetures de laboratoires dans la région de Montréal. Pour un gouvernement coincé budgétairement et se sachant en mode survie, il serait tentant, surtout si la crise économique revenait en force, d’en finir avec les très généreuses faveurs fiscales bénéficiant à cette industrie.
N’est-ce pas ce genre de nuances qui distinguent un gouvernement néolibéral à la Obama ou à la Hollande ou à la NPD d’un gouvernement néolibéral pur et dur. Ce dernier type, tant pour diviser l’électorat et provoquer des débats hors du champ néolibéral que pour proposer à la société un ciment collectif en lieu et place de la solidarité sociale, se drape de conservatisme moral et social. Sauf que les atténuations sociales-libérales des premiers arrivent rarement à franchir le seuil du discours quand les foudres de la finance s’abattent à la manière grecque ou espagnole. Ne reste plus que l’individu néolibéral mis à nu sans consolation familialiste, religieuse ou patriotique, ce qui est insupportable à l’humain, un être historiquement social. Or l’État providence québécois est devenu le mouton noir de la zone ALÉNA, le modèle à démantibuler.
…elle oublie encore et toujours la grève sociale
La voie alternative à l’électoralisme, c’est la promotion de la « grève sociale ». C’était vrai durant les élections (Mon article, Les prochaines élections au Québec — Promouvoir la grève sociale contre les politiques néolibérales sur horizon d’indépendance à gauche, ESSF, 28/07/12). Cela reste vrai après les élections. Durant la période électorale, étant donné la possibilité d’une reprise de la grève étudiante, que les Libéraux et la CAQ voulaient à tout prix empêcher et que le PQ ne souhaitait nullement, c’était une question d’agitation, d’invitation pressante. Cet appel aurait correspondu à celui de la CLASSE qui, constatant le cul-de-sac de la « grève générale illimitée » du seul mouvement étudiant face au « talon de fer » néolibéral, en était venue sur le tard à inviter à la grève sociale, ce qui était le but de sa tournée estivale.
La grève terminée et les jeux électoraux faits, cette promotion reste une question d’éducation générale, de propagande pour employer un vocabulaire ancien mais précis. À la première occasion, peut-être durant la saison des budgets, il faudra s’y remettre autour, par exemple, de la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation en autant que les centrales syndicales cessent leur habituel sabotage.
Pour que le thème de la grève sociale devienne un débat public large qui franchisse le seuil du petit univers des seuls activistes, où même là il est en berne, il n’y a que Québec solidaire qui détienne la crédibilité sociale pour l’initier, à moins que l’on s’imagine que les centrales syndicales vont s’y mettre. Comme Québec solidaire ne l’a même pas mis de l’avant durant les élections, ce que n’importe quel parti de la rue aurait fait, on devine l’intensité de la lutte interne à mener.
La lutte pour l’indépendance commence au sein de Québec solidaire
Voilà la tâche essentielle de l’heure des collectifs anticapitalistes du parti qui jusqu’ici ont fui leur responsabilité en faveur d’une alliance avec la direction sociale-libérale du parti, laquelle alliance s’interdit toute critique ouverte et publique de l’orientation, du régime interne et de la direction du parti. Pourtant, le pluralisme statutaire du parti signifie une alliance uniquement sur la base de la Déclaration de principes (parti écologiste, de gauche, démocratique, féministe, altermondialiste, pluriel et souverainiste), seul document d’orientation politique voté à la fondation du parti en 2006. Que le porte-parole-député, en pleine campagne électorale, déclare que la position du parti c’est « l’indépendance si nécessaire mais pas nécessairement » (You tube) en dit long sur le respect de cette Déclaration… à moins de donner au mot « souveraineté » le sens indéterminé de « souveraineté populaire » qu’on retrouve fréquemment dans le programme quoique celui-ci se déclare aussi « pour un Québec indépendant ». Tout le reste est sujet à débat entre les tendances formelles et informelles.
Sans ce vigoureux débat interne, qu’un parti transparent faisant de la politique autrement ne peut mener que publiquement surtout au niveau de treize mille membres, il n’y a aucune chance que Québec solidaire se transforme en parti de la rue prônant l’alternative d’une indépendance de gauche libérant le peuple québécois de la mainmise de la Cour suprême étouffant sa langue et de la domination du capital financier étouffant son projet de société de plein emploi écologique. Il n’y aura pas plus de référendum indépendantiste dans un premier mandat Solidaire ― il suffit de lire plate-forme, plan vert et cadre financier pour le constater ― qu’il y en aurait eu dans un premier mandat péquiste majoritaire.
La démarche purement institutionnelle de la stratégie indépendantiste de Québec solidaire n’a même pas le potentiel de la rue du « référendum d’initiative populaire » du PQ… renié par la chef péquiste en plein milieu de la campagne électorale tant il était incompatible avec la notion bourgeoise de « parti responsable ». N’importe qui connaissant un tant soit peu l’histoire du Québec et d’ailleurs sait très bien qu’Ottawa interviendra avec ses gros sabots, manu militari s’il le faut, avant que n’aboutisse à l’indépendance le long processus d’Assemblée constituante à moins qu’elle ne résulte d’un soulèvement populaire dont la grève sociale pourrait être le point de départ.
S’appuyer sur le legs des carrés rouges émondé de ses erreurs
Le legs idéologique ― la rentrée littéraire et culturelle en témoigne ― et politique d’Occupons-Montréal et de la grande grève des carrés rouges fournit les conditions gagnantes à ceux et celles qui ont le courage d’entreprendre cette lutte pour la grève sociale dans la perspective de l’indépendance contre la Cour suprême et contre les banques et autres zinzins. Cette lutte pourrait même trouver une assise organisationnelle dans ses assemblées autonomes de quartier suscitées par les manifestations des casseroles dans lesquelles il faut s’investir pour qu’elles ne s’étiolent pas ou ne s’égarent pas sous une houlette par trop anarchisante. Aussi très présente au sein de la CLASSE, l’idéologie libertaire a tendance, en plus de laisser tomber la lutte électorale, de faire de la lutte de classe un absolu qui évacue la pensée stratégique donnant à la question nationale toute son importance si on ne la ratatine pas à ses seules dimensions constitutionnelle et linguistique, si importantes soient-elles.
C’est par la dimension proprement économique de la lutte pour l’indépendance, particulièrement pour exproprier le capital financier, dimension complètement escamotée tant par le PQ que par Québec solidaire, que le peuple québécois tend la main aux peuples canadien, aborigènes, acadien et terre-neuvien afin de lutter ensemble pour l’indépendance du Québec, le maillon faible de la bourgeoisie canadienne. Le peuple québécois ne pourra pas se passer de cette alliance pour vaincre. Comme le révèlent tant l’hystérie haineuse du « Quebec bashing » au Canada anglais que l’inquiétude des sommets mondiaux de la bourgeoisie telle que l’on peut le constater à la lecture la moindrement attentive des revues d’analyse du capitalisme financier mondial comme « The Economist », la bourgeoisie a parfaitement compris que l’indépendance du Québec est la plus grande menace réellement existante à la stabilité du Canada si ce n’est de la zone ALÉNA. Voilà le clou sur lequel le prolétariat du Québec et du Canada doit taper.
Marc Bonhomme, 8 septembre 2012
bonmarc@videotron.ca ; www.marcbonhomme.com