Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections québécoises 2012

POST MORTEM ÉLECTORAL – LE DESSOUS DES CARTES

Après neuf années de corruption

Les sondeurs, les éditorialistes, les analystes et les columnistes politiques ont pour coutume d’invoquer qu’après neuf années d’iniquité un Conseil des ministres est usé, corrompu et inapte à gouverner. Pourquoi cet anathème ?

Incidemment, si ce gouvernement a profité de la proximité de l’assiette fiscale pour s’en mettre plein les poches, favoriser le copinage, organiser le patronage, trafiquer les permis de garderies, récolter les pots de vin, engraisser ses caisses électorales légale et occulte, transférer le fardeau de la crise sur le dos des pauvres, des démunis, de la classe ouvrière, couper dans les services destinés à la population, laisser les listes d’attente s’allonger dans les salles d’urgence, abandonner les chômeurs toujours plus désespérés, privatiser les services publics en faveur des entreprises de services privées, subventionner les multinationales pharmaceutiques, aéronautiques, minières, papetières, forestières, les alumineries et les entreprises alimentaires milliardaires tout en haussant les taxes, les impôts, les tarifs d’électricité, les permis et les assurances, les tickets de transport en commun et les droits de scolarité pour les déshérités, alors, bien entendu un tel Conseil des ministres au service des riches est usé et discrédité.

Évidemment, un tel gouvernement ne parvient plus à mystifier la population et il faut relancer le jeu de la chaise musicale afin de laisser croire que l’opposition qui était aux commandes neuf ans auparavant, et qui a été chassée du pouvoir exactement pour les mêmes tourments, fera mieux une décennie plus avant. Dans neuf ans il sera temps d’alterner et de changer d’attelage gouvernemental. Terminée la confiance envers ces politiciens gouailleurs que les riches doivent se résigner à remplacer, histoire d’hypothéquer la « virginité retrouvée » du parti d’alternance revampé.

Selon Charest, il était temps cet été d’organiser une nouvelle foucade électorale, et de demander à l’électorat québécois de trancher entre son gouvernement et les étudiants, de trancher entre son Conseil des ministres et celui de l’un ou l’autre de ses deux concurrents, Pauline Marois (Parti Québécois) ou François Legault (Coalition Avenir Québec).

Lequel de ces trois partis politiques identiques présente la plus obséquieuse des équipes gouvernementales, la moins sulfureuse et la moins compromise dans les scandales ? Ceci résume le dilemme d’un électeur usurpé, le citoyen avisé, quant à lui, s’abstient de voter pour l’un ou l’autre de ces faux jetons désemparés, fourbes, impuissants ou incompétents.

Pourquoi des élections anticipées ?

Trois motifs impératifs poussaient le premier Ministre québécois à se lancer dans la mêlée deux ans avant l’échéancier. Premièrement, la meute étudiante militante bloquait de nombreux établissement d’enseignement, résistait aux policiers, aux juges, à la justice des riches, à l’inique loi spéciale 78-12, soutenue en cela par des centaines de milliers de pauvres gens, payeurs de taxes et travailleurs enragés de voir leurs enfants matraqués. La loi et l’ordre bourgeois étaient défiés, menacés ; il était temps d’appeler tous les Martineau, les Dubuc et les Pratte du Québec à la rescousse pour soulever l’opinion des commerçants, des professionnels, des petits bourgeois et des bien-pensants contre ce valeureux contingent d’étudiants révoltés.

Deuxièmement, la commission d’enquête Charbonneau sur les malversations dans l’industrie de la construction, finalement instituée, s’apprêtait à commencer ses audiences et tous les gouvernements prévaricateurs, le sien comme celui d’avant, étaient assurés d’être éclaboussés…autant devancer cette calamité.

Troisièmement, le Plan Nord promettait des milliers d’emplois, et tout autant d’investissements gouvernementaux à la charge des payeurs d’impôts, mais la crise économique anticipée s’approchant à grands pas plus le temps passait et plus l’arnaque des pseudo emplois par milliers serait démasquée. Mieux valait devancer l’élection faute de pouvoir retarder la crise économique.

Le verbatim de la campagne électorale

Examinons le déroulement de ce carnaval électoral frauduleux que les journalistes ont tenté d’animer et de rendre « passionné et mouvementé » alors que jamais les politicailleurs ne traitèrent un instant des vrais problèmes qui confrontent le peuple travailleur chaque jour de l’année, soit d’accéder aux services publics de santé ; obtenir des soins à domicile ou en institutions pour les personnes âgées ; réserver une place en garderie pour le bambin du foyer ; obtenir une éducation accessible et de bonne qualité qui mette le décrochage en échec plutôt que de mettre l’élève en échec ; organiser la guerre à la pauvreté plutôt que la lutte contre les pauvres ; offrir du travail de qualité et bien payé pour tous et chacun avec la sécurité d’emploi et un fonds de pension qui ne soit pas grevé quand la nouvelle génération de retraités arrivera à échéance de son parcours salarié et surtout que la compagnie ne s’éclipse pas avec la caisse de retraite et la machinerie ; que les monopoles privés cessent de gruger le pouvoir d’achat de tout un chacun par l’inflation et les baisses régulières des salaires ; accéder à des logements salubres et bon marché ; fréquenter des transports en commun accessibles et enfin assister à l’arrêt du saccage de l’environnement par les amis du régime, les fouineurs de gaz de schistes, les prospecteurs pétroliers, les harnacheurs de rivières sauvages autochtones et les faucheurs de forêts, tous contributeurs volontaires et généreux aux caisses électorales occultes.

Je sais que la plupart d’entre vous pensent qu’il faut être fou pour tant demander. Vous vous trompez cependant, vous avez trop longtemps vécu sous ce système politique décadent. Nos sociétés industrialisées pourraient offrir tout cela et davantage si seulement la propriété privée des moyens de production et d’échanges ne semait pas l’anarchie et ne détruisait pas les capacités productives socialisées. C’est cela qu’il faut changer et non pas permuter une bande de voleurs par une troupe de menteurs.

Aucun de ces beaux parleurs électoraux n’a osé aborder de front ces questions et admettre son impuissance devant tant de souffrance. Alors pour donner le change chacun y est allé de ses promesses frauduleuses et chacun souffla le vent de ses engagements bidon alors que les commentateurs des médias à la solde chantaient leur félicité pour tant de dextérité de tous ces prétendants à l’Assemblée.

L’électorat piégé

En régime parlementaire britannique, au Québec, comme au Canada, dans une élection bourgeoise, les jeux sont largement faits dès le début de la joute électorale. Le Pari Libéral du Québec peut toujours compter sur 30% du vote exprimé. Le Parti Québécois peut invariablement compter sur 30% des électeurs. Un tiers parti bourgeois, puissamment soutenu par les médias à la solde, peut facilement rallier 25% de l’électorat populaire désabusé. Ce qui signifie que la bataille électorale vise tout au plus, pour ces trois partis bourgeois, à recruter la plus forte proportion des 15 pour cent de l’électorat restant. Il en est ainsi depuis des décennies à chaque élection bidon. Le nom des partis politiques peut changer mais pas cette répartition des appuis aux grandes sections de la bourgeoisie qui se dispute la gouvernance de l’appareil d’État.

Au début de la foire électorale, la maison Léger Marketing a effectué un sondage à propos des intentions de vote pour le choix de l’équipe des riches, histoire de mesurer le chemin à parcourir par leur prétendant au trône. Il était convenu parmi l’intelligentsia, les faiseurs d’élections et leurs patrons, que le rejeton de l’ex-ADQ crypto-fasciste devenu la Coalition Avenir Québec (CAQ), dirigé par un transfuge ex-souverainiste enragé devenu fédéraliste déluré, muni de son programme politique populiste-réactionnaire devait gagner la course à l’investiture populaire.

La question référendaire

Oubliez, je vous prie, la question référendaire, l’Option indépendantiste et les autres croix et fleurs-de-lys nationalistes. Depuis 1995 le jeu du chantage à la souveraineté est terminé pour la grande bourgeoisie québécoise chauvine (1).

Depuis ce temps, la section québécoise de la grande bourgeoisie d’affaire canadienne a sonné le glas des référendums et comme le dit « le toupet à Bouchard », l’ex-idole des souverainistes chauvins, s’il s’en tenait un il serait nécessairement perdant (2).

La nation québécoise est dorénavant une nation dont les capitalistes monopolistes répressifs doivent être renversés comme l’incident terroriste survenu au Métropolis le soir de l’assemblée péquiste le démontre. C’est désormais la minorité québécoise anglophone au même titre que les nations autochtones qui se sentent délaissées et opprimées et qui protestent de vilaines façons.

Les tractations des faiseurs d’élections

Il était entendu que les Libéraux discrédités par neuf années au service des banquiers, neuf années de prévarication et de fréquentation du monde interlope, devaient recevoir une leçon pour ne pas avoir brisé la grève étudiante et s’être laissé emberlificotés par un jeune leader étudiant inexpérimenté.

Enfin, tous ces comploteurs convenaient que le Parti québécois devait survivre au purgatoire de l’opposition jusqu’à ce que ce parti bourgeois comprenne que l’on ne mord pas la main capitaliste qui vous nourrit et qu’il est outrancier de prétendre taxer les compagnies minières, forestières, papetières, alimentaires, les alumineries et les hauts salaires des privilégiés.

Avant même la lancée du festival électoral, le premier sondage Léger Marketing créditait 28% des intentions de vote au PQ. Il attribuait 26% au PLQ et la CAQ pouvait compter sur 23% des intentions de vote – indécis non répartis – tout en suggérant une grande volatilité de l’électorat (3). En effet, à ce moment-là les médias tentaient de convaincre les électeurs de voter pour la CAQ – à l’encontre de leurs intérêts immédiats – et la populace résistait aux pressions qu’on lui imposait.

Suivirent deux semaines de campagne électorale terne faites de rumeurs et de ragots, de petites banalités, de guerre de crucifix et autres futilités imaginées pour décourager l’électeur le plus acharné (4). Pendant ce temps la CAQ présenta ses candidats soi-disant vedettes, des « has been » sur le retour n’ayant jamais gouverné et prétendant, contre toute attente, régler tous les problèmes de malversations et de collusions qui perdurent depuis un siècle.

Enfarger le Parti Québécois

Les ébats télévisés sont habituellement des moments de haute intensité dramatique où les médias tentent de créer un suspense et de stimuler l’intérêt pour ces chienlits électoraux où rien ne change. Cette année Radio-Canada exigea que la candidate député de Québec Solidaire dans la circonscription de Gouin se joigne aux chefs des trois formations qui avaient une chance de l’emporter au bal des élections bidon. Le Réseau TVA s’objecta et organisa ses propres débats télévisés.

Le soir du premier débat tous ces politiciens transfuges se chamaillèrent comme des chiffonniers et l’une d’entre elles prononça ces paroles célèbres : « Personne ne parle de la pauvreté ». Par la suite la candidate Solidaire présenta sa vision référendaire-indépendantiste sans risque. En effet, les chances de son parti de composer le prochain gouvernement étant nulles il n’en coûtait rien de proposer l’escapade rocambolesque intitulée « À la poursuite du référendum perdu ». La polémiste perspicace termina son laïus en suppliant les électeurs de son comté de l’expédier à l’Assemblée.

Aussitôt, les commentateurs payés par la télé d’État et l’éditorialiste du journal The Gazette, féroce fédéraliste, saluèrent le courage souverainiste de la voisine du député de Mercier que tous ceux-là décrétèrent gagnante de la joute oratoire par son éloquence ostentatoire. L’objectif étant ici de coincer la chef du Parti Québécois en la forçant à défendre ses appuis souverainistes d’une possible hémorragie sur son flanc soi-disant de gauche. Dans une bataille à trois partis bourgeois, un écart de quelques points de pourcentage peut être fatal et faire perdre plusieurs comtés convoités.

La dame Marois n’avait pas le choix : qu’elle fasse la cour à l’électorat fédéraliste ou à l’électorat allophone ou anglophone, Québec Solidaire risquait de s’accaparer quelques précieux comtés. Pauline se le tint pour dit et œuvra tout le reste de la partie à conserver ses appuis déjà acquis.

Il fallait maintenant régler définitivement le cas du Parti Libéral afin d’assurer la victoire de la CAQ revampée. Dès le lancement de la campagne électorale, 75% de la population québécoise se disait insatisfaite du Gouvernement Charest. Le Parti Libéral amorçait la joute avec tout juste ses appuis traditionnels (environ 30% de l’électorat). Suite aux débats télévisés mortifiants, la campagne de dénigrement des médias s’intensifia à l’encontre du Parti Libéral. Un journaliste de Radio-Canada suggéra que le Premier Ministre Charest était intervenu pour abroger la filature d’un syndicaliste relié à la mafia. Vrai ou faux, peu importe, la rumeur eut l’effet escompté.

Le bilan de neuf années de pouvoir libéral et de son chef étant ce qu’ils étaient, la descente aux enfers n’était pas difficile à orchestrer. « Tout sauf Charest » devint le mot d’ordre des électeurs désabusés.

Les 100 jours de François

Un carnaval électoral comporte toujours un moment de vérité où le candidat choisi par la bourgeoise doit faire la preuve de ses capacités à grimper sur le trône tant convoité.

Dans les cent premiers jours après son accession au pouvoir le prétendant François Legault promettait : 1) d’attaquer des milliers de pharmaciens trop payés selon lui ; 2) d’agresser 8000 médecins généralistes accusés de ne pas assez travailler ; 3) puis, de monter à l’assaut des 295 000 étudiants post-secondaires et de leur imposer 200$ de droits scolaires, prétention sur laquelle Charest s’était précédemment brisé le menton ; 4) de congédier des milliers d’employés d’Hydro-Québec ; 5) de démantibuler les Commissions scolaires et de mettre en colère leurs milliers d’employés ; 6) de chambarder tout le système de santé déjà moult fois chamboulé ; 7) d’allonger la journée de classe de 75 000 enseignants et de leurs centaines de milliers d’étudiants ; 8) de relancer l’animosité contre les centaines de milliers d’employés de la fonction publique québécoise déjà fragilisée…

Excepté les chroniqueurs chevronnés, les analystes politiques expérimentés et les éditorialistes surpayés, la plupart des québécois comprirent que François Legault mentait ou « troublait ». Si Jean Charest n’était pas venu à bout de 165 000 étudiants militants, qu’en serait-il de ce politicien fou, innocent ou dangereux devant mâter et humilier presque 2 millions de travailleurs, de professionnels, d’étudiants, d’enseignants, de directeurs, de fonctionnaires et d’employés tous unis dans l’adversité ?

Les électeurs indécis (s’il en restait), les discrets silencieux, les dépités qui effectivement souhaitaient du changement, comprirent à l’instant que celui-là n’était pas conscient et se briserait les dents avant d’avoir réussi son pari de malappris. Plusieurs se résignèrent et retournèrent à leur ancien amour électoral.

Les libéraux récupèrent leurs appuis

Nous connaissons la suite, le Parti Libéral ressuscita comme par magie après avoir senti les flammes de l’enfer le brûler en effigie (50 comtés sauvegardés). Le Parti Québécois contrit sauva tout juste sa partie (54 comtés conquis). La Coalition « Héritage » Québec malmenée s’effondra (19 comtés sauvés) et la candidate de Québec Solidaire fut élue dans le comté de Gouin comme si la campagne de ce parti avait eu pour objectif de consolider l’EGO de la co-porte-parole.

Le lendemain de la foire d’empoigne électorale (5.09.2012) quelques bouffons s’empressèrent de faire le post mortem de cette escroquerie électorale téléguidée. François Legault répondit publiquement aux reproches de son mentor Charles Sirois – Président de la deuxième banque canadienne (CIBC) – « On doit dire la vérité à l’électorat », s’excusa le candidat devant les caméras. Qui poursuit les forfanteries électorales sait que toute vérité n’est pas bonne à dire comme Sirois lui a certainement appris : « Il n’est pas de bonne guerre de demander à un fonctionnaire ou à un employé de voter en faveur de celui qui menace de le congédier ».

Il vaut toujours mieux plagier le Premier ministre Trudeau qui en 1974 avait juré de ne jamais imposer le gel des prix et des salaires, puis une fois élu, s’empressa d’imposer le gel des prix et des salaires. Idem pour « ti-poil » Lévesque qui en 1981 récupéra les hausses de salaires accordés aux fonctionnaires après un premier référendum raté.

Nul doute que François Legault aura le temps d’apprendre les astuces de la fraude électorale bourgeoise sur les banquettes de la deuxième opposition officielle.

Pour nous ouvriers et employés nous savions à l’avance qu’aucun de ces partis politiques ne représentait ni la classe ouvrière ni la vraie opposition que nous avons commencé à forger à l’usine et dans le quartier où elle se poursuivra.


(1) Impérialisme et question nationale. 2012.
http://www.robertbibeau.ca/commadevolume.html

(2) http://www.archambault.ca/lettres-a-un-jeune-politicien-ACH003106443-fr-pr?gclid=CN7S6s3isrICFUhN4AodQQgAdw

(3) Jean-Marc Léger. Élections 2012 : 35 jours après le départ. 6.09.2012. Le Devoir.

(4) La patente à François Legault. Vie et mort d’un avatar. 15.06.2011. http://www.legrandsoir.info/la-patente-a-francois-legault-vie-et-mort-d-un-avatar.html

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