Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Le choc de novembre 2016

Ceci est le premier d’une série de billets portant sur l’élection présidentielle étasunienne de 2020. Pour ce coup d’envoi, nous allons aborder les résultats de l’élection précédente et les leçons qui en ont été tirées par différents courants de pensée au sein du parti démocrate.

D’abord, rappelons que le républicain Donald John Trump a remporté l’élection en dépit d’un déficit d’environ 3 millions de voix sur son adversaire démocrate Hillary Rodham Clinton. Clinton a obtenu 65, 85 millions de votes contre 62,98 millions pour Trump. Malgré cet avantage pour la démocrate, Trump a remporté 304 votes dans le collège électoral, tandis que Clinton obtenait 227 de ces grands électeurs. À cela, il convient d’ajouter qu’environ 44% de l’électorat ne s’est pas prévalu de son droit de vote.

Le système des grands électeurs accorde un certain nombre de votes à chaque État. Pour la plupart d’entre eux, la candidature ayant obtenu la pluralité des voix obtient tous les votes au collège électoral (Winner takes all). Il est donc plus important de remporter plus d’États que d’obtenir une majorité écrasante dans quelques État. Par exemple Clinton a remporté la Californie avec presque deux fois plus de votes que Trump (8,75 millions contre 4,48 millions), mais elle aurait obtenu les même 55 grands électeurs si elle avait remporté cet état par quelques voix seulement. De son côté Trump a remporté plusieurs batailles importantes par des marges très minces. Il a notamment obtenu les 20 grands électeurs de la Pensylvanie par une marge de 44 292 voix sur près de 6 millions. Au Michigan, Trump l’a emporté par une marge de 0,23%, ce qui lui donnait 16 votes au collège électoral.

L’autre distorsion apportée par le système du collège électoral est qu’il accorde un poids disproportionné aux États moins populeux. Par exemple, le vote d’une résidente du Montana a 3,4 fois plus de poids que celui de sa cousine du Bronx [1]. Comme la population des État les moins populeux tend à adopter des opinions plus conservatrices sur plusieurs sujets, cette distorsion est à l’avantage des Républicains. Ceci est dû en bonne partie au fait que le nombre de grands électeurs par État correspond aux nombre total de ses sièges à la chambre des représentants et au sénat. Comme chaque État dispose de deux sénateurs, les États moins populeux sont avantagés.

Par étonnant que les appels à l’abolition du système des grands électeurs, au profit d’un suffrage universel direct, s’est fait entendre avec force au lendemain de l’élection de novembre 2016. Mais une telle réforme n’allait pas survenir quand la majorité du Sénat est toujours aux mains des Républicains, en de la présidence républicaine avec son droit de véto. L’élection de 2020 va donc se dérouler avec le système électoral qui avait avantagé Bush en 2000 et Trump en 2016.

Deux grandes stratégies : élargir la base ou viser le centre

Comment surmonter l’avantage structurel accordé aux républicains et assurer une victoire démocrate en 2020 ? On peut observer deux grandes tendances dans ce débat stratégique. D’une part, les figures plus modérées dans le parti démocrate considèrent que la meilleure option consiste à cibler le centre de l’échiquier politique de manière à convaincre un certain nombre de personnes qui avaient voté Trump en 2016 de changer de parti en 2020, en particulier dans les États que Trump avait remporté par une faible marge. Cette stratégie repose sur l’idée que la campagne démocrate n’aura pas d’impact majeur sur le taux de participation ou l’inscription de nouvelles personnes sur les listes électorales. Il faudrait faire avec l’électorat actif tel qu’il est et tenter d’en rallier une proportion un peu plus importante. Cette stratégie conduit ses adeptes à éviter les propositions politiques controversées ou polarisantes et à mettre l’accent sur ce qui pourrait rallier largement dans la population, incluant les indépendants (les personnes qui ne s’identifient à aucun des deux grands partis) et les républicains dits modérés.

De l’autre côté, tout un courant au sein et autour du part démocrate penche plutôt en faveur d’une meilleure mobilisation de la base électorale progressiste. Il s’agit alors de convaincre les gens de prendre la peine d’aller voter. Aussi, on met en œuvre des campagnes d’inscription sur la liste électorale, un processus qui n’est pas automatique et doit parfois compter avec des obstacles administratifs mis en place par des gouvernements d’État aux mains des républicains. Ces mesures de découragement du vote (voter suppresssion) ou de limitation du droit de vote (disenfranchizement) affectent tout particulièrement les personnes afro-américaines, latinos ou issues de l’immigration.

Qui a voté pour Trump ?

Six états clé avaient voté pour Obama en 2012 et ont basculé du côté républicain en 2016 : la Floride (29 grands électeurs), la Pennsylvanie (20), l’Ohio (18), le Michigan (16), le Wisconsin (10), et l’Iowa (6), plus un des districts du Maine (attribué séparément). Ceci fait un total de 100 grands électeurs, soit beaucoup plus que la quarantaine qu’il aurait fallu faire passer de la colonne rouge vers la colonne bleue pour assurer la victoire de Clinton.

Mais qui sont les personnes qui ont voté pour Obama en 2012 et Trump en 2016 ? Une étude auprès de 8000 répondants semble indiquer que la question clé a été celle de l’immigration, avec d’autres enjeux dits « sociaux » [2]. Ce 9% de l’électorat Obama qui a voté pour Trump serait composée de gens qui ont généralement des idées progressistes sur les questions socio-économiques (inégalités, commerce, services publics…) mais des idées conservatrices sur les enjeux sociaux ou culturels (religion, immigration, criminalité, identités…). Devant cette observation, on peut, encore une fois, adopter deux stratégies bien différentes. D’un côté, les démocrates auraient intérêt à mettre de l’avant un programme ambitieux de réduction des inégalités et d’amélioration des services publics, sur le modèle du New Deal de F.D. Roosevelt. L’autre option serait de modérer le programme démocrate sur les questions sociales, notamment en adoptant une orientation plus répressive face au phénomène de la migration irrégulière.

On a beaucoup fait était du phénomène de la « classe ouvrière blanche » du Mid-West, qui aurait fait la différence du côté de Trump. On estime que 22% de l’électorat blanc ouvrier (sans éducation post-secondaire) ayant appuyé Obama est passé à Trump, contre 9% dans l’ensemble de l’électorat. Mais le fait est que la majorité des votes des milieux ouvriers blancs sont allés à Clinton. C’est plutôt la démobilisation des personnes de couleur qui ont décidé de rester à la maison qui a fait pencher la balance [3]. En 2016, le taux de participation de la population afroaméricaine a diminué de 7% (de 66,6% à 59,6%). Le taux de 2012 était le plus élevé jamais mesuré et pour la première fois surpassait celui de l’électorat blanc. Bref, la campagne de Hilary Clinton n’a pas su conserver l’appui de milliers de gens qui avaient appuyé son prédécesseur.

Une autre étude a démontré que la base électorale de Trump se caractérisait par son hostilité envers l’immigration et non par des difficultés socio-économiques [4]. En fait, quand on compare les sondages de sortie du vote (Exit Polls) de 2012 et 2016, les caractéristiques sociologiques ou démographiques de la base de Trump sont très semblable à celles de George W. Bush, le dernier républicain à avoir remporté la présidence [5]v. La seule caractéristique frappante qui semble rallier l’ensemble de l’électorat de Trump est son hostilité envers l’immigration [6] et son appui pour le projet du mur le long de la frontière avec le Mexique (86%).

Dans des entrevues effectuées par des journalistes en 2018, des membres de cette catégorie de l’électorat ayant passé de Obama à Trump exprimaient un rejet général pour la classe politique [7]. Le côté « outsider » de Trump, qui n’avait jamais occupé un poste électif, les avait attiré. Cet attrait de la nouveauté ou de l’audace pouvait jouer en faveur d’Obama en 2008, puis de Trump en 2016. Aujourd’hui, il pourrait favoriser autant Bernie Sanders (le socialiste) que Pete Buttigieg (le maire d’une ville modeste). Ce rejet de la classe politique pourrait aussi expliquer le peu d’enthousiasme pour la candidature de Joe Biden, le sympathique mais brouillon vice-président d’Obama.

Dans le prochain billet, nous allons examiner les résultats des premiers votes de la longue saison des primaires démocrates.

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