Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Le Texas, terrain d’expérimentation pour le plan d’expulsion de migrants voulu par Trump

Les élus républicains texans ont tenu à fait de leur État un “modèle” en matière de lutte contre l’immigration. Ils comptent bien jouer un rôle de premier plan dans la politique d’expulsion massive des immigrés clandestins annoncée par le futur président, souligne le “Washington Post”.

Tiré de Courrier international. Article publié en anglais dans le Washington Post. Dessin de Ramsès, Cuba.

Alors que les opposants à Donald Trump dénoncent le plan d’“expulsions massives” annoncé par le futur président, les élus républicains du Texas font tout pour faire de leur État la rampe de lancement de cette politique.

Le gouverneur républicain du Texas, Greg Abbott, et d’autres officiels de l’État ont passé les quatre dernières années à se positionner en principaux opposants à la politique migratoire de Joe Biden et à poursuivre la campagne de répression aux frontières lancée par Trump pendant son premier mandat. Bien qu’ils ne disposent d’aucune autorité constitutionnelle en la matière, ils ont usé de tout l’arsenal à leur disposition pour intensifier drastiquement les mesures et les lois anti-immigrés à l’échelle locale et défendre l’application de ces mesures à l’échelle nationale.

Ainsi, ils ont injecté 11 milliards de dollars dans l’opération Lone Star, menée par Greg Abbott, qui visait à renforcer les frontières, à acheminer les demandeurs d’asile en bus jusqu’à des États distants [et gouvernés par des démocrates] et à cibler les organisations qui prenaient leur défense. Autant de mesures en profonde rupture avec le “conservatisme compassionnel” des républicains texans qui, il fut un temps, accordaient des bourses aux étudiants sans papiers et facilitaient l’accueil de milliers de réfugiés.

“Les dirigeants du Texas veulent construire un modèle de politique migratoire extrêmement dure et cruelle, qui puisse être repris par le gouvernement fédéral”, analyse Daniel Hatoum, avocat de l’association Texas Civil Rights Project. “Le Texas n’attend qu’une seule chose : que le gouvernement Trump coopte ses institutions pour appliquer sa politique antimigrants.”

Le “tsar des frontières”

Ce message était d’ailleurs au cœur du discours de Greg Abbott prononcé le 26 novembre aux côtés de Thomas Homan, futur “tsar des frontières” de Trump, lors d’une visite à la base militaire frontalière d’Eagle Pass. L’année dernière, cette localité s’est retrouvée en première ligne du conflit opposant le gouverneur du Texas, qui dénonçait une “invasion” record de migrants, et l’administration fédérale.

“Le changement est en marche”, a annoncé le gouverneur aux soldats de la garde nationale du Texas et aux membres des forces de l’ordre réunis pour un repas de Thanksgiving. Les officiels texans se concertent déjà avec l’équipe de transition de Trump au sujet de la sécurité aux frontières sur “les actions, la planification, les dispositifs”, a-t-il ajouté.

Depuis l’élection du 5 novembre, les gouverneurs de certains États ont laissé entendre qu’ils pourraient réduire le financement de la sécurité frontalière, d’autant plus si le gouvernement fédéral prend le relais. C’est tout le contraire de ce que prévoient Greg Abbott et Tom Homan, qui veulent augmenter les fonds consacrés à la lutte anti-immigration.

Une fois que Trump aura pris ses fonctions, Greg Abbott l’assure :

  • “Nous allons faire davantage, et plus vite, que tout ce qui a été fait auparavant pour reprendre le contrôle de nos frontières, rétablir l’ordre dans nos communautés et identifier, localiser et expulser les criminels qui ont passé la frontière.”

Tom Homan, qui occupait déjà le poste de directeur de l’ICE, agence chargée du contrôle des frontières et de l’immigration, pendant le premier mandat de Trump, ne tarit pas d’éloges à propos de l’opération Lone Star et de son “succès sans précédent”. Il envisage d’adopter une approche similaire à l’échelle nationale :

  • “C’est un modèle que nous pouvons appliquer à l’ensemble du pays.”

Plus à l’est, dans la vallée du Rio Grande, la commissaire à l’aménagement du territoire du Texas, Dawn Buckingham, s’est rendue devant le tronçon de mur de 82 kilomètres érigé le long de la frontière avec le Mexique sans aucune aide fédérale. À cette occasion, elle a annoncé la création de l’“initiative Jocelyn”, du nom d’une jeune fille de 12 ans assassinée cette année à Houston par des immigrés vénézuéliens qui avaient franchi illégalement la frontière. Cette initiative mettra à disposition plus de 500 hectares de terres publiques pour accélérer l’expulsion des “clandestins criminels”.

“Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour aider le futur gouvernement”, a-t-elle déclaré, avant d’ajouter : “Si vous avez besoin d’un terrain et d’infrastructures pour assurer l’expulsion de criminels violents, nous avons déjà identifié plusieurs propriétés adéquates et pouvons rendre cela possible dès le premier jour du second mandat [de Trump].”

En effet, le Texas dispose de vastes terrains, mais aussi de lieux de détention pour y rassembler les immigrés le temps de décider de leur sort. Cela dit, l’économie texane dépend fortement de la main-d’œuvre sans papiers, en particulier les secteurs en plein essor comme la construction, l’agriculture et les services, une question sciemment ignorée par les républicains comme Tom Homan.

Un État sous contrôle total des républicains

Mark Krikorian, directeur du Center for Immigration Studies [un think tank anti-immigration], s’attend à ce que le Texas soit au cœur des expulsions de masse de Trump pour plusieurs raisons : “Cela va au-delà des immigrés qui ont franchi la frontière ces derniers temps : il faut considérer l’ensemble de ceux qui sont arrivés ces quatre dernières années et qui se trouvent en grande partie au Texas”, commente-t-il. Des aspects logistiques entrent également en jeu : pour les immigrés mexicains et sud-américains arrêtés ailleurs dans le pays, “le sud du Texas est l’endroit le plus proche de là où on veut les renvoyer”.

La question politique ne doit pas non plus être négligée : le Texas est le seul État frontalier où les républicains disposent de la majorité au parlement local et contrôlent les principales instances étatiques, dont le poste de gouverneur.

Lors des derniers tours de vis migratoires – qui s’étaient traduits par la politique de séparation des familles de migrants à la frontière pendant le mandat de Trump, et par la rétention de familles de migrants pendant celui de Barack Obama –, les autorités du Texas ont bâti des infrastructures gigantesques pour détenir temporairement toutes ces personnes.

Or, “il est beaucoup plus facile de dépoussiérer et de réutiliser des installations qui existent déjà”, résume Mark Krikorian.

Le recours à l’état d’urgence

En 2021, excédé par le président Biden, qu’il jugeait incapable de sécuriser la frontière, Greg Abbott a décrété l’état d’urgence. Cette disposition lui a permis de contourner certaines lois et normes environnementales et de délier les cordons de la bourse pour lancer l’opération Lone Star. Il a amassé à la frontière des soldats de la garde nationale du Texas et des policiers, et installé barrières flottantes et barbelés. Il a aussi affrété des bus afin d’acheminer quelque 120 000 demandeurs d’asile depuis la zone frontalière vers des villes démocrates aux quatre coins du pays.

Le Texas a aussi créé un appareil de justice pénale destiné aux immigrés qui enfreignent les lois de l’État, a construit de nouveaux centres de rétention et libéré des milliers de places dans trois prisons d’État pour y placer des migrants, puis jugé et expulsé massivement ces détenus. L’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) a porté plainte l’année dernière au nom de plusieurs migrants. “L’opération Lone Star a un bilan dramatique en termes de droits humains”, dénonce Cody Wofsy, de l’ACLU.

Plus tôt cette année, Greg Abbott a adopté un décret qui oblige les hôpitaux publics à interroger les patients sur leur statut migratoire et à signaler le montant de tout soin prodigué à une personne présente illégalement sur le territoire. Une autre mesure inscrite à l’ordre du jour de la prochaine session parlementaire permettrait aux forces de l’ordre de prendre les empreintes digitales des enfants en situation irrégulière et de les stocker dans une base de données, ce qui pourrait permettre de leur restreindre l’accès à l’école publique.

“La cruauté est le but recherché”

“Cela fait des années que nous essayons en vain de tirer la sonnette d’alarme sur ce qui se passe au Texas”, déplore Victoria Neave Criado, élue démocrate à la Chambre des représentants de l’État : “Militariser la frontière, attiser la peur et semer le chaos dans nos communautés ne fera pas du Texas un endroit plus sûr.”

C’est à Eagle Pass que le durcissement est le plus palpable. La garde nationale du Texas y a pris possession du parc municipal en bordure du Rio Grande pour y établir son QG, puis a restreint l’accès au fleuve. Au Texas, l’argent du contribuable a donc servi à payer des contractants pour bâtir cette nouvelle base militaire baptisée Camp Eagle, et à financer les patrouilles de soldats le long de la frontière. Cette présence militaire n’a pas décliné malgré le durcissement du droit d’asile par le gouvernement Biden et le renforcement des actions menées par la police mexicaine aux frontières.

Amerika Garcia Grewal organise tous les mois une veillée pour les migrants morts en traversant la frontière. Selon elle, les autorités du Texas ont trouvé comment monétiser la souffrance et se servent de sa communauté comme d’un terrain d’expérimentation. “La cruauté est le but recherché, assure-t-elle, c’est un business très lucratif.”

Molly Hennessy-Fiske et Arelis R. Hernández

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Molly Hennessy-Fiske

Journaliste au Washington Post.

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