Par-delà le caractère intempestif du 45e et 47e président des USA et sans égard pour sa personnalité ou ses troubles pour lesquels nous ne disposons d’aucune compétence ou expertise pour les diagnostiquer, nous tenterons, dans les prochaines lignes, de cerner certains éléments de la stratégie de communication mise en place par son équipe présidentielle. Cette stratégie semble de plus en plus s’inspirer d’éléments qui correspondent à la stratégie « du choc », de « la sidération et de la stupeur » et de la « saturation ». Qu’est-ce à dire ?
La stratégie du choc
La stratégie du choc a été conceptualisée par la journaliste Naomie Klein dans l’ouvrage La stratégie du choc paru chez Actes Sud en 2007. Pour l’essentiel cette stratégie suppose une méthode bien précise qui consiste à « intervenir immédiatement pour imposer des changements rapides et irréversibles à la société éprouvée par le désastre ». Cette stratégie a été mise de l’avant par certains économistes néolibéraux qui préconisaient des thérapies de choc. Elle s’inspirait des cadres des services de renseignement et des militaires qui appliquaient des méthodes de torture par électrochocs afin de rendre les suspects amnésiques et parfaitement manipulables. « Les partisans de la stratégie du choc, affirme Naomi Klein, croient fermement que seule une fracture radicale – une inondation, une guerre, un attentat terroriste – peut produire le genre de vastes pages blanches dont ils rêvent. C’est pendant les moments de grande malléabilité – ceux où nous sommes psychologiquement sans amarres et physiquement déplacés – que ces artistes du réel retroussent leurs manches et entreprennent de refaire le monde. »
Refaire le monde, c’est ce que Donald Trump, Elon Musk et Steve Banon semblent vouloir nous imposer en ce début de mandat qui doit durer quatre ans, et ce via une démarche qui ne nous donnera pas le temps de décoder clairement leurs orientations ou leurs intentions réelles et de permettre aux personnes affectées et concernées de se tourner vers les recours juridiques pour contrer les visées présidentielles autoritaires, liberticides, réactionnaires, et nous en passons !
La stratégie de la sidération et de la stupeur
Sidération. Ce mot signifie « subir l’action funeste des astres », ou encore « être frappé d’insolation », c’est-à- dire être totalement privé de tout moyen de réagir de manière autonome face à la puissance infinie des étoiles ou d’une puissance divine. Le rêve que semble partager Donald Trump et Elon Musk en matière sidéral consiste à vouloir à la fois atteindre et conquérir Mars — la planète rouge du dieu de la guerre — et de traiter les humains du point de vue de la puissance cosmique. Ajoutons que sous l’angle médical et psychologique, la notion de sidération suggère l’anéantissement de toute force de résistance face à un choc émotionnel.
On peut également utiliser pour qualifier la nouvelle stratégie de communication déployée par Trump II, le terme de stupeur, qui signifie l’engourdissement et la paralysie. Devant la masse considérable de décrets qu’il signe, nous nous retrouvons dans une situation où on ne peut faire face correctement à cet amas indigeste. Pire, nous devenons, sur le coup, quasiment incapables d’exercer notre esprit critique et, par conséquent, notre puissance d’agir risque de s’amoindrir.
La stratégie de la saturation
Depuis son retour au Bureau ovale de la Maison-Blanche, le nombre de décrets signés par Donald Trump atteint un nouveau sommet historique et porte sur une foule de sujets allant de l’immigration à la justice, de l’identité de genre à l’environnement, des coupes dans les programmes gouvernementaux à la réduction drastique pour ne pas dire draconienne dans la fonction publique, etc. N’oublions pas non plus les décrets qu’il a signés et qui ont pour effet de déclarer l’état d’urgence à la frontière du Mexique, la remise en question du droit d’asile, la fin du « droit du sol » et l’envoi de personnes migrantes sans-papiers à Guantanamo. Ajoutons, last but not least, le décret qui a pour effet d’accorder la grâce présidentielle aux personnes reconnues coupables pour leur participation à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Et comme dirait l’Autre : And more to come ! ou encore And many more to come ! Un mot, on le devine, s’impose : saturation.
Le pouvoir de l’information et de la communication
Dans une société des écrans comme la nôtre, il devient possible de proposer des idées, des images et des mises en scène, de façon à les décréter comme étant celles d’une réalité souhaitée. La signature des décrets dans le Bureau ovale devant les caméras n’est pas anodine et relève du symbolisme. Car c’est en ce lieu que l’avenir de la nation des USA se décide, en quelque sorte. Mais il s’agit aussi d’une mise en scène propre à une nouvelle télé-réalité. Derrière son bureau hautement symbolique, soi-disant du chef d’État le plus puissant de la planète, le président étasunien devient le producteur, le maître de jeu et la vedette de l’émission qui suscite le plus de « choc », le plus de rebondissements, le plus de réactions, et ce, partout dans le monde. Tous les projecteurs sont braqués sur lui, dans l’attente du prochain décret ou de la prochaine révélation choc.
En misant sur les écrans, le président étasunien occupe certes les devants de la scène, mais il expose son pouvoir, qui est aussi celui de sa signature au bas des décrets. D’ailleurs, celle-ci est souvent montrée ; preuve épique du geste posé pour le bien soi-disant de la population de son pays. Il devient héroïque, immortalisé par les images, puisqu’un Grand président l’est par ses gestes et ce qui est montré de lui. En même temps, son rôle de maître du jeu le place en situation où il prend constamment les devants, sans arrêt, toujours dans l’optique de pousser ses opposant.e.s, autant alliéEs qu’ennemiEs, sur la nécessité de réagir. Ces dernières et derniers deviennent les personnages secondaires ou encore les vilain.e.s qui abusent des bontés des USA, qui spolient leurs richesses, justifiant ainsi une action forte, soit celle d’une plume toute-puissante capable de renverser la situation. En ce sens, le président étasunien doit démontrer qu’il manie le « bâton » — soit un pouvoir donné par métonymie à la plume ; dans une réplique de la pièce The Conspiracy de Bulwer-Lytton disant que « la plume est plus forte que l’épée » — et le maintient en tout temps.
Il n’y a pas meilleure émission de superhéros que celle-ci, d’autant plus qu’elle prend scène dans la réalité.
Conclusion
En signant à une vitesse grand « V » cette avalanche d’actes administratifs unilatéraux Donald Trump inonde l’espace médiatique et tente d’empêcher les critiques de s’organiser en s’assurant que personne d’autre que lui et les membres de son équipe de stratèges — plus ou moins compétents —, ne contrôle le flot d’informations. Ce qu’il ne parvient pas, par ailleurs, à réaliser complètement. Au moment où nous écrivons ces lignes, certains de ces décrets font l’objet de dénonciations et de poursuites devant les tribunaux. Des jugements ont même été émis et ont pour effet de les suspendre d’application provisoirement.
Donald Trump ne se contente pas d’occuper, d’envahir et d’inonder l’espace médiatique. Il le submerge et le noie. En agissant ainsi il alimente le flot de controverses, ce qui a pour effet de détourner l’attention de la population en la bombardant d’une suite ininterrompue de déclarations ahurissantes. Cette stratégie de communication n’est pas sans risque pour le principal intéressé. Doit-on rappeler, comme l’observait à son époque Machiavel dans Le prince, que la citoyenne et le citoyen moyen ne raffolent pas d’agitation constante.
Parlant de citoyennes et de citoyens, la population totale des USA en 2023 est estimée à 334,900,000 habitantEs. Le nombre de personnes de 18 ans et plus s’élève à un peu plus de 260 millions. Sur ce dernier chiffre, en novembre dernier, il n’y a que 156 302 318 qui ont exercé leur droit de vote, alors que 49,8 % ont choisi Donald Trump et 48,32 % ont accordé leur vote à Kamala Harris. Les assises électorales de Donald Trump demeurent fragiles. Il n’a pas été plébiscité par l’électorat et encore moins par la population. Pour le moment, il adopte des comportements unilatéraux qui en font un tyran. En ce sens, il abuse abondamment de ses pouvoirs présidentiels. Il agit d’une manière opposée et contraire à ce qui est attendu de lui sur un plan légal ou constitutionnel.
Dans l’histoire du XXe siècle il y a des personnages politiques qui ont marqué leur époque et ils ont laissé une trace un peu plus longue que d’autres. Pensons ici à Roosevelt et à son New Deal. A contrario, il y a eu Margaret Thatcher et Ronald Reagan qui ont remis frontalement en question certaines assises du Welfare state et du keynésianisme. Qu’en sera-t-il de Trump II ? Ses décrets auront-ils pour effet d’inaugurer une nouvelle ère ou se permuteront-ils en mauvais souvenirs sous une prochaine administration ? Pour le moment, seules les personnes qui s’amusent au jeu des prédictions peuvent hasarder quelque chose sur le sujet. Pour notre part, nous laissons à d’autres la description « experte », c’est-à-dire la définition de la marche à suivre pour orienter les changements à mettre en place dans les présentes circonstances. Tout au plus pouvons-nous apporter un éclairage susceptible de rendre compte de ce qui se passe en vue de l’étape qui consiste à choisir son camp. Which side are you on ?
Guylain Bernier
Yvan Perrier
9 février 2025
10h50
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