Édition du 25 février 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Trump II, un mois plus tard

Comment qualifier la nature du régime politique qui se met en place actuellement aux USA ?

« Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument.  » Lord Acton.

Le 45e-47e président des USA est en poste depuis maintenant un peu plus d’un mois. Les noms ou les adjectifs qui ont circulé en vue de qualifier la nature de son style de gouverne ont été nombreux. Le texte qui suit s’inscrit dans cette mouvance. Nous suggérons ici que Donald Trump est en train de gouverner son pays à partir d’une définition très personnelle sur la portée et l’étendue de sa capacité d’agir et de prendre des décisions. La chose qu’on peut minimalement affirmer, avec certitude, c’est qu’il en mène large avec ses déclarations démesurées et déconnectées du réel, et il ne se gêne pas pour semer le chaos avec sa rhétorique agressive et revancharde. Ses décisions sont souvent, à première vue, illégales et reconnues, pour le moment, comme telles par les paliers inférieurs de l’ordre juridique. Que diront les juges de la Cour suprême de ces dérogations présidentielles ? C’est à venir éventuellement. Mais le mal à la tronçonneuse risque d’être fait. Pour ce qui est de la nature du régime politique qui prend forme, cela représente une chose qui doit être examinée avec beaucoup de circonspection. Par contre, ce qui semble certain au moment où nous écrivons ces lignes, Donald Trump met tout en oeuvre pour renforcer et affirmer la suprématie du pouvoir présidentiel sur l’ensemble des pouvoirs de l’État. C’est le début d’une sorte « (d’)état d’exception » qui prend forme actuellement. Ce ne sont pas les droits et libertés des citoyennes et des citoyens qui sont suspendus. Nous sommes plutôt devant une situation où, par les dispositions des choses, il semble très possible qu’il n’y aura plus aucune force ou puissance pour arrêter le pouvoir présidentiel. Exit par conséquent le mot de Montesquieu selon lequel : «  Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

Renforcer et affirmer le pouvoir présidentiel

Manifestement, Donald Trump pose des gestes en vue d’affirmer et de renforcer le pouvoir présidentiel sur l’ensemble des composantes étatiques. De plus, nous assistons à des mises en scène quasi quotidiennes qui focalisent les projecteurs sur la personnalité du leader à l’ego surdimensionné. Voici quelques preuves à l’appui de ces deux assertions : il exerce son pouvoir d’une manière autoritaire, prend des décisions unilatérales qui vont au-delà de ses prérogatives. Même si la majorité républicaine au Sénat est faible (53 sénateurs sur 100), Donald Trump est parvenu en un rien de temps à neutraliser et à s’assujettir le pouvoir législatif qui réagit nullement devant les débordements présidentiels. Trump II s’arroge unilatéralement des prérogatives législatives qui relèvent de la compétence exclusive du Congrès. Peu de voix s’élèvent ici devant cet unilatéralisme présidentiel.

De plus, le 45e-47e président américain attaque le pouvoir judiciaire en le discréditant à l’avance en vue de pouvoir être en mesure de réduire la portée des jugements à venir susceptibles d’invalider les oukases présidentiels. Les membres de son entourage reprennent à leur compte son refrain, selon lequel les juges n’ont ni le pouvoir ni la légitimité de s’opposer ou de contrôler les décisions du pouvoir exécutif. Est-il nécessaire de rappeler ici que la Cour suprême a décidé le 1er juillet 2024, à 6 juges contre 3, que le président américain jouit d’une immunité absolue pour des actes officiels.

Last but not least, Trump II a décidé de confier à un oligarque non élu — Elon Musk — une mission de purger et de dépecer le pouvoir administratif. Ce dernier est entrain de réduire à peau de chagrin ou à néant de nombreuses agences gouvernementales. Des fonctionnaires sont cavalièrement congédiéEs et invitéEs à se chercher un emploi dans le secteur privé. De plus, le président américain veut diriger vers son bureau des pouvoirs et des compétences qui relèvent de la très indépendante Banque centrale des USA (la FED).

Donald Trump est sans conteste en train de renforcer et d’affirmer le pouvoir présidentiel en mettant en place un régime fondé sur la peur et l’intimidation de ses adversaires ainsi que des personnes qui voudraient se mettre ou s’interposer sur son chemin.

Avant même d’être assermenté, Donald Trump a sévèrement blâmé le gouverneur de la Californie pour les incendies qui ont récemment ravagées et dévastées la région métropolitaine de Los Angeles. Il a, la semaine dernière, annulé le règlement municipal de la ville de New York au sujet des droits d’entrée à acquitter pour y accéder en automobile. Il a annoncé, ces derniers jours, le remplacement du chef d’état-major de l’armée américaine. Sur le plan intérieur Trump II, ne veut qu’une chose : des personnes loyales et disposées à se soumettre et à exécuter ses ordres.

Dans sa République, Platon avait d’ailleurs souligné cette mauvaise inclination du régime démocratique à se verser dans la tyrannie. Parce qu’il y a corruption même de celui-ci, en raison d’un détournement des lois et de leur vertu. Dans l’analyse détaillée du dialogue, Pierre Pachet (Platon, 1993, p. 36) évoque ceci :

« 

 La démocratie est détruite par l’excès de liberté, qui conduit au mépris des lois dans tous les domaines. Cette liberté excessive engendre la servitude. Les faux-bourdons détruisent le régime. Certains faux-bourdons deviennent chefs du peuple, provoquant par réaction la naissance d’un complot oligarchique, et le peuple se choisit un chef, qui devient comme un homme-loup, un tyran. S’il obtient une garde du corps armée, la transformation est complète. Le tyran commence par être bénin, puis provoque des guerres, et nettoie la cité de sa richesse et de ses hommes de qualité. Il embauche des esclaves pour son armée personnelle. »

Ce qui se trame présentement aux USA constitue la continuité de la première présidence de Donald Trump, qui justement avait mis en doute la vertu des lois actuelles, notamment en matière électorale, puisqu’elle s’avérait favoriser un Parti démocrate tourné vers le plus d’État, le plus de lois et de règles, et donc vers moins de liberté dans tous les sens du mot, mais surtout dans l’enrichissement personnel. Le courant de l’extrême droite, pour ne pas dire le libéralisme radical, sur lequel nous reviendrons plus loin, a permis à Donald Trump d’aviver des partisanEs qui ont d’ailleurs pris d’assaut le Capitole le 6 janvier 2021. Et ses fidèles ont été récompensés récemment en obtenant le pardon présidentiel, malgré l’outrage d’un symbole de la démocratie américaine. En soi, cet événement est aussi symbolique et expose les réelles intentions derrière, c’est-à-dire un détournement des lois dites démocratiques à des fins particulières, voire égoïstes.

Ainsi, le don de prédiction de Platon se concrétise à nouveau et plusieurs éléments déjà exposés prendront encore plus d’importance en lien avec ce qui suit. Car il faudra y ajouter au descriptif une réalité contemporaine, alors que la mondialisation et l’ordre international sont aussi chambardés.

Déconstruire l’ordre international

Sous prétexte que les USA ont jeté durant des décennies leur argent par les fenêtres, le président Trump a décidé unilatéralement de supprimer l’aide américaine à certaines agences internationales. Il a retiré son pays de certains accords internationaux. Il remet en question, sans débat, les alliances internationales et les engagements internationaux de ses prédécesseurs. Il s’immisce dans les affaires intérieures de certains pays et permet à des membres de son entourage immédiat de faire de même. Il dit vouloir mettre un terme à la guerre en Ukraine en négociant directement avec la Russie et, en prime, en l’absence de plénipotentiaires du gouvernement ukrainien.

Trump II semble prêt à participer à une déconstruction du système politique international tel qu’il s’est constitué et mis en place au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. De plus, il annonce des visées d’annexion — ou d’achat — territoriale. Et quoi encore.

Sur le plan extérieur, Donald Trump ne veut qu’une chose : un monde conforme à sa vision simpliste et, pour y accéder, il n’hésite pas à multiplier les paroles blessantes et les gestes offensants pour montrer qu’il est prêt à tout pour rendre l’ordre planétaire conforme à sa vision de « Maître du monde ». Parce que, dans son imaginaire, être président des USA donne droit à tout, même à la réalisation de désirs capricieux, pour ne pas citer le despote de Montesquieu.

Lancer une guerre commerciale

Durant la campagne électorale, le candidat républicain Donald Trump promettait la prospérité et l’enrichissement de toutes et de tous à travers quatre mesures : une baisse d’impôts, l’expulsion des immigrantEs réputéEs illégauxGALES, la réduction de l’appareil administratif jugé inefficace et corrompu et l’imposition de tarifs douaniers. Quatre promesses électorales phares, quatre promesses visant une réorientation de la liberté perçue à sa façon.

Maintenant qu’il est en poste depuis plus d’un mois, en vue de renflouer les coffres du gouvernement américain qui est surendetté — la dette nationale brute s’élèverait environ à 35 770 milliards de dollars américains — et pour avoir les moyens de réduire les impôts de ses concitoyennes et concitoyens, il se dit prêt à déclencher une guerre tarifaire en imposant des tarifs douaniers, et ce, en vue supposément d’attirer vers son pays des entreprises étrangères qui veulent voir leur production s’écouler sur le marché américain. Il prétend même que cette guerre des barrières tarifaires ne déclenchera pas une nouvelle flambée inflationniste.

Et l’avenir dans tout ça ?

Nous ne spéculerons pas sur ce qui nous attend pour les 47 prochains mois à venir (ou plus si Donald Trump décide d’aller de l’avant avec son idée de solliciter éventuellement un troisième mandat). Une chose est certaine, la gouverne de Trump II est déstabilisante et comporte un certain nombre de ruptures importantes et significatives qui sont susceptibles d’être reconnues ou déclarées, plus ou moins majoritairement par les juges des différents paliers de tribunaux, inconstitutionnelles. D’où, en ce moment, une authentique fracture avec le passé dont nous devons prendre le temps de mesurer la portée et l’étendue. N’empêche que cette redéfinition du régime sous le courant trumpiste augure une transformation radicale qui remet en question même l’étatisme. Dès lors s’exposent de plus en plus un autoritarisme et une propagande de l’ère numérique, mais toujours dans sa phase préliminaire.

Ce qui est en jeu en ce moment

Donald Trump est en train de tout mettre en œuvre pour affirmer la suprématie du pouvoir présidentiel sur la totalité des autres composantes gouvernementales ou branches étatiques (le pouvoir judiciaire, le pouvoir législatif, les composantes administratives et militaires). C’est le début d’un « état d’exception » qui se met en place jour après jour. Un État de décret où les autres composantes du système des contre-pouvoirs sont invitées à ne pas intervenir ou à reconnaître comme légitime et fondé en droit les décrets présidentiels. Le tout dans un contexte où une censure ciblée se déploie et où une chasse aux sorcières est dirigée contre les WOKES (les groupes qui militent en faveur de l’équité, la diversité et l’inclusion des minorités discriminées). De plus, les droits des femmes à l’avortement sont toujours et plus que jamais dans la mire de Donald Trump. Une confusion entre le religieux et certains choix politiques est annoncée et sera pratiquée par des membres de l’exécutif du président.

Monarque sans royaume et Projet 2025

Le monarque sans royaume met en place les mesures contenues dans le programme Projet 2025 (document promu par l’Heritage fondation). Ce programme rédigé pour et par les membres de l’oligarchie de la richesse vise à affaiblir les assises de la démocratie américaine (démantèlement de l’appareil administratif, subordination des pouvoirs législatif et judiciaire à l’organe exécutif, limitation du droit de vote). Cette oligarchie qui se colle au Parti républicain, en vue de faire élire au Congrès des représentantEs et des sénateurTRICEs qui seront et sont disposéEs à adopter des lois qui vont compliquer l’accès au droit de vote à différentes catégories de citoyenNEs (principalement des personnes racisées et des femmes) et pourquoi pas cultiver, par divers moyens, l’apathie politique d’un nombre important de citoyenNEs, le tout en vue de limiter les votes favorables aux démocrates.

Est-il nécessaire de préciser que cette oligarchie de la richesse correspond à une ploutocratie réactionnaire et conservatrice qui veut faire disparaître, entre autres choses, les lois favorables à la protection de l’environnement ainsi que celles qui posent des limites ou des contrôles accrus aux activités dans le champ des nouvelles technologies d’information et des communications (le monde du WEB) et dans la cryptomonnaie. Il est même recherché, par ces ultra-riches milliardaires, des juges à nommer qui vont rendre des décisions qui s’inscrivent dans le courant juridique dit « originalisme ». Ajoutons en plus que cette oligarchie veut réduire les possibilités d’une alternance politique au Congrès et à la présidence.

Similitudes et divergences avec des régimes dits « totalitaires »

Par essence, il ne saurait faire de doute que tout gouvernement qui prône la suprématie du Chef sur les autres branches ou composantes de l’État porte avec lui des similitudes avec les régimes dictatoriaux de ceux qui ont été mis en place au XXe siècle par les Mussolini, Staline et Hitler…

La tentation est donc forte — et très forte même — de vouloir affubler ou qualifier la gouverne de Donald Trump II au fascisme ou à une sorte de néo-fascisme. Nous sommes par contre d’avis qu’il faut éviter, pour le moment, ce genre de comparaison hâtive. Oui, Donald Trump se comporte en tyran, en dictateur, en chef incontestable, en leader qui veut disposer d’un corps de serviteurs fidèles et serviles à son service tout en désirant être adulé par les foules. En plus, il répète son désir d’étendre son espace territorial vital à une terre proche (le Canada) comme lointaine (le Groenland), jugée nécessaire à la défense de son pays et d’accéder, par le fait même, aux ressources et aux richesses de ces territoires ; ressources et richesses qui font cruellement défaut à l’économie américaine.

Il y a quand même, selon nous, des nuances à prendre en considération entre les dictatures fasciste et nazie et le régime trumpiste. Nous ne sommes pas devant un dirigeant qui a un plan d’extermination de ses opposantEs et des oppositions — du moins, pas encore dans cette tournure meurtrière. Il est certes sur une lancée visant à continuer son œuvre déroutante, déconcertante, etc…. En agissant comme il le fait, Trump II concrétise et incarne la forme corrompue de la démocratie, selon la typologie aristotélicienne (mais aussi platonicienne) : il agit en tyran qui confond son intérêt personnel et celui des membres de son « sérail » immédiat avec le bien commun. Nous n’avançons donc pas que le régime trumpiste est un régime fasciste ou hitlérien… Il faut trouver des mots justes au contenu précis pour décrire la nouvelle réalité qui prend forme sous nos yeux. Avec Trump II, comme avec ses prédécesseurs, ce ne sera pas avant la fin de sa présence au Bureau ovale de la Maison-Blanche, dans quatre ou huit ans, que nous serons en mesure de forger ce mot-synthèse ou ce concept qui caractérisera l’ensemble de son œuvre qui prend incontestablement sa source dans l’idéologie libertarienne antiétatique qui est accompagnée d’un mouvement social diffus, mais très actif dans le Parti républicain et largement financé par des fondations et des fortunes privées.

N’empêche que l’homme derrière la présidence possède des traits de caractère qui le rapproche de dirigeants autoritaires, voir même « fasciste » à la rigueur. Car, comme les autres, il provient d’un régime démocratique et a en aversion les lois en vigueur, ou du moins les envisagent autrement. Il se sent coincé par le régime qui l’empêche de réaliser ses desseins, alors que ceux-ci sont généralisés à l’ensemble d’une population jugée comme étant perdue ou en quête d’une nouvelle utopie. La vraie liberté américaine vantée par la démocratie ne peut exister. Elle doit être guidée, ramenée dans un régime dont le dirigeant en connaît la véritable portée. Autrement dit, le régime doit être réformé en totalité, voire même contrôlé par quelqu’un qui saura l’incarner. Et comme le soulignait Montesquieu (XVIIIe, Troisième Livre, Chapitre 8, p. 67), en parlant du gouvernement despotique :

« Comme il faut de la vertu dans une République, et dans une monarchie de l’honneur, il faut de la crainte dans un gouvernement Despotique[,] pour la vertu elle n’y est point nécessaire et l’honneur y serait dangereux. Le pouvoir immense du Prince [voire du Despote] y passe tout entier à ceux à qui il le confie. Des gens capables de sentiments beaucoup. Eux-mêmes y seraient en état de faire des révolutions : il faut donc que la crainte y abatte tous les courages et y éteigne jusqu’au moindre sentiment d’ambition ». (Citation adaptée à l’orthographe et à la grammaire d’aujourd’hui).

Mais comme nous l’avons précisé, il est encore tôt pour statuer définitivement sur le qualificatif d’État despotique et l’attribuer aux USA, mais les diverses actions de la présidence actuelle démontrent bien la voie prise en ce sens. Montesquieu (XVIIIe, Cinquième Livre, Chapitre 13, p. 153) encore résume l’idée du despotisme comme suit : «  Quand les Sauvages de la Louisiane veulent avoir du fruit[,] ils coupent l’arbre au pied et cueillent le fruit[,] voilà le gouvernement Despotique ». Il faut certes contextualiser cette citation et renier sa connotation raciste, afin de retenir l’action symbolisée ici, c’est-à-dire ruiner ce qui apporte les bénéfices à la nation. Autrement dit, en osant ici supputer sur l’avenir, les qualités reconnues des USA seront perdues et l’unité, déjà perdue, se divisera encore davantage ou plutôt cette division se cristallisera et se radicalisera au point de créer un conflit interne devant aboutir à de grandes souffrances pour le pays.

Et les juges dans tout ça ?

« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » a dit Montesquieu.

Jusqu’à maintenant, Donald Trump est parvenu à obtenir une immunité présidentielle élargie, il a nommé une flopée impressionnante de juges à travers le pays (200 environ) et trois à la Cour suprême des USA. Que vont dire ces juges du coup de force en cours visant à renforcer davantage le pouvoir présidentiel ? Car il s’agit bel et bien d’un coup de force qui prend forme en ce moment. Ces juges qui ont été sélectionnés en raison de leur position antiavortement et en faveur de l’immunité des décisions du président en exercice affirmeront-elles et affirmeront-ils leur indépendance ou trouveront-elles et trouveront-ils le moyen de donner des victoires constitutionnelles à Donald Trump ? Autrement dit, les juges en place vont-elles et vont-ils avaliser le coup d’État institutionnel qui se déploie sous nos yeux ? Les institutions américaines (le Congrès et les tribunaux) seront-elles en mesure de freiner et d’empêcher Donald Trump de remettre en question la séparation des pouvoirs prévue dans et par la constitution américaine ? Donald Trump semble prêt à se lancer dans un affrontement et un conflit avec la branche judiciaire. Il veut tester le système judiciaire en matière de partage des pouvoirs entre la branche exécutive et la branche judiciaire. C’est le système des checks and balance (le système de freins et de contrepoids) qui est en jeu ici. Se pose dès lors, avec beaucoup d’acuité l’interrogation suivante : jusqu’à quel point les institutions politiques prévues en vue de limiter les excès et les abus de pouvoir de Donald Trump seront-elles en mesure de le freiner, le contenir et l’empêcher d’agir ? L’avenir le dira.

Président des USA et chef du monde entier

En ce moment, nous assistons au retour de la notion d’impérialisme américain dans les déclarations ou les analyses de personnes qui ont fait leurs études dans des institutions universitaires conservatrices… Par-delà cet aspect particulier de la conjoncture politique, il est vrai que Donald Trump semble se prendre non seulement pour le président des USA, mais aussi pour le chef du monde entier. Lui et les membres de son cercle restreint se considèrent comme les nouveaux « Maîtres du monde » — du moins leurs agissements vont en ce sens. Trump se croit tout puissant, voire même hyper puissant. Il veut découper et partager le monde avec des vis-à-vis qu’il veut choisir seul ; voilà la conception d’un authentique despote.

La naissance d’un « état d’exception » ?

Il semble donc clair, selon nous, que Donald Trump veut mettre à plat la démocratie américaine et voir triompher la suprématie présidentielle sur les autres composantes de l’État. Y parviendra-t-il ? C’est lors de cet éventuel affrontement décisif avec les juges de la Cour suprême américaine que nous serons en mesure de constater si ses actions, ses exactions et ses interventions laisseront et ont laissé un caractère durable dans le temps et sur les institutions juridico-politiques des USA. La méthode du fait accompli — par le recours à la tronçonneuse et la multiplication des décrets présidentiels — sera-t-elle accompagnée de ruptures irréversibles qui seront difficiles à redresser ? En attendant, nous pouvons nous demander si ce n’est pas un « état d’exception » qui se met en place aux USA ?

L’État d’exception, selon nous, correspond à ce moment où le droit est en dehors du droit, tout en y appartenant. Donc, une situation contraire et à première vue étrangère au droit, mais qui reste légale tant que les juges n’ont rien tranché définitivement (Agamben, 2003). Bref, il s’agit d’un point de déséquilibre passager et provisoire entre le droit et le fait politique. C’est ce qui fait dire à Saint-Bonnet (2001, p. 335) ceci : «  L’état d’exception, qui se caractérise par l’évidente nécessité, convertit une décision normalement inconstitutionnelle en non-décision inconstitutionnelle par une métamorphose qui appartient à un registre dont ni le politique ni le juridique ne peuvent rendre compte  ». N’est-ce pas véritablement ce qui est en train de se mettre en place sous nos yeux au sud de la frontière canadienne ?

Quoi qu’il en soit, l’histoire nous enseigne comment les plus grands dictateurs ont été soit neutralisés ou soit renversés. En attendant, il ne faut pas rester les bras croisés. Il faut intervenir sur la scène publique et déployer son agentivité dans cette période trouble où même certaines bouches ministérielles, habituellement très sélectives dans leur choix de mots et qui n’ont surtout pas été formées sur les banquettes des peu nombreuses universités progressistes canadiennes ou dans les rangs des groupuscules de l’extrême gauche des années soixante-dix, osent parler maintenant très ouvertement de l’impérialisme américain. Le monde est en train de changer de base, mais, hélas, nulLE ne peut prédire l’avenir…

Guylain Bernier
Yvan Perrier
22 février 2025
14h30

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Références

Agamben, Giorgio. 2003. État d’exception : Homo Sacer. Paris : Seuil, 153 p.

Montesquieu, Charles de Secondat. XVIIIe siècle. De l’Esprit des Lois : Premier jet. Tome I (version manuscrite — archives de La Brède). Paris : NAF 12382.

Platon. 1993. La République : Du régime politique. Paris : Gallimard, 551 p.

Saint-Bonnet, François. 2001. L’État d’exception. Paris : PUF, 393 p.

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : États-Unis

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...