La CAQ compte uniquement sur l’innovation technologique et sa généralisation au rythme de la maximisation du taux de profit et du lent amortissement rentable du capital investi : « En neuf ans, ce n’est pas vrai qu’on peut changer toutes les technologies et mettre en place, de facon credible, cette transformation. » de dire le ministre de l’Environnement. Pour la CAQ, l’atteinte nettement insuffisante de la cible léguée par les Libéraux, 37.5%, représente un « effort colossal ». On a l’impression qu’est déjà en préparation une reculade à l’image de celle des Libéraux provinciaux qui ont livré en 2020 une réduction de 9% alors qu’ils s’étaient engagés vis-à-vis une cible de 20%.
Quand on se regarde, on se désole ; quand on se compare, on se console
D’accord, c’est beaucoup mieux que le Canada des sables bitumineux et du fracking avec sa hausse de 19% en 2017 par rapport à 1990... mais beaucoup moins que l’Union européenne qui a réduit ses GES de 22% sur la même période soit qui a dépassé sa cible de 20% pour 2020. La contre-performance du Canada atteint de nouveaux sommets avec son reniement carabiné, par tribunaux interposés, de la Déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones requérant « le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » des nations autochtones. Pendant que la GRC s’empresse d’envahir le territoire de la nation Wet’suwet’en en Colombie britannique pour lever les barrages empêchant le passage d’un gazoduc, les « pommes » (rouge dehors, blanc dedans) affairistes exigent leur part du gâteau de l’oléoduc bitumineux Trans Mountain dont l’agrandissement à fort prix n’est plus bloqué légalement.
On se rend compte des limites de la Déclaration des Nations unies sur les autochtones dont la clause finale garantissant « l’intégrité territoriale ou l’unité politique d’un État souverain et indépendant », ce que n’est pas en droit international le Québec d’où la frilosité de son gouvernement sur le sujet, nie le fondement du droit à l’autodétermination des nations autochtone et inuit et par là dégonfle la portée pratique de la Déclaration. Cela n’empêche pas la solidarité des autres nations autochtones avec les Wet’suwet’en sous la direction de leurs chefs traditionalistes et appuyés par la gauche écologique en opposition avec les officiels conseils de bande de la loi fédérale des indiens. Sous le leadership des Kanien’kehá:ka (Mohawks) est bloqué en Ontario le principal chemin de fer pan-canadien causant un début de crise politico-économique qui pourrait devenir majeure. On comprend la colère de Greta Thunberg contre l’hypocrite vacherie du Canada. De tweeter la pasionaria au sujet de la tergiversation du gouvernement fédéral autour de l’approbation ou non du projet Teck Frontier « qui pourrait devenir la plus grande mine de sables bitumineux jamais réalisée au Canada » (https://www.lapresse.ca/debats/opinions/202002/06/01-5259886-projet-minier-teck-frontier-au-carrefour-de-la-crise-climatique.php)
Le Canada, qui compte pour 0,5% de la population mondiale, planifie donc d’utiliser le tiers des crédits carbone restants à la planète. Ottawa se cache derrière tous ces engagements "zéro émission" en 2050, mais ce sont des promesses vides. Les Canadiens peuvent voir les brasiers australiens à la télé : cela devrait leur rappeler les feux de foret qui ont forcé l’évacuation de Fort McMurray, en plein coeur des sables bitumineux, il y a moins de quatre ans. Il y a quelque chose de hideux à regarder Trump et Poutine déchirer notre avenir. Mais c’est dérangeant d’une autre façon de regarder des meneurs qui font semblant de s’en faire. Trudeau est peut-être charmant, mais il ne peut être des deux cotes de la clôture : si tu ne veux pas stopper la mise sur pied d’un nouveau puits de pétrole bitumineux, tu n’es pas un meneur climatique.
Du tout électrique patronal du PQ a celui de la CAQ
Quant au PQ, on se souvient peut-être que lors de son bref passage au gouvernement de l’automne 2012 au printemps 2014, il n’avait pas augmenté cette cible de 20 à 25% tel que promis. On plaidera que le PQ a mis sur pied la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec dont les Libéraux, de retour au gouvernement, ont aussitôt rejeté les recommandations fort modérées. C’est oublier que « Pauline Marois a[vait] su gagner peu à peu la confiance du monde des affaires, notamment avec sa politique économique dont la stratégie électrification des transports , mais surtout avec l’appui de son gouvernement à l’exploration pétrolière sur l’ile d’Anticosti ou à la construction d’une cimenterie a Port-Daniel, en Gaspésie. » (https://www.ledevoir.com/politique/quebec/401741/partiqu) Même la recommandation de la Commission de ne pas compléter le projet La Romaine, étant donné les surplus d’électricité, n’avait pas trouvé grâce auprès de la Première ministre. S’annonçait déjà la stratégie tout électricité de la CAQ par laquelle « [l]e premier ministre François Legault veut électrifier transports, bâtiments et entreprises afin de réduire de 40 pour cent la consommation de pétrole au Québec d’ici 2030. »
Au chapitre de l’électrification des transports, le premier ministre a confié sept projets à son ministre des Transports, François Bonnardel : - achèvement du Réseau électrique métropolitain (REM) à Montréal ; - extension du REM sur les couronnes nord et sud de Montréal ; - prolongement de la ligne bleue du métro ; - construction d’un tramway à l’est de Montréal ; - construction d’un tramway sur le boulevard Taschereau, sur la Rive-Sud ; - construction d’un tramway à Québec ; - construction d’un projet de transport sur rail à Gatineau ; D’ici 2030, tous les nouveaux trains, tramways, autobus financés par le gouvernement du Québec vont devoir être électriques, et (ils) vont être en grande partie fabriqués chez nous, ici au Québec, a-t-il déclaré. (https://www.985fm.ca/nouvelles/faits-divers/220908/legault-veut-electrifier-les-transports-les-batiments-et-les-entreprises)
La grande panacée de type fake news du gaz naturel
Il faudrait, bien sûr, soustraire de ces réductions anticipées les substantiels ajouts de GES du projet gazier GNL Québec (et de l’augmentation de la circulation de véhicules plus l’extension du périmètre urbain dus au troisième lien entre Québec et Lévis). On ne peut prétendre à la transition rapide quand les très dispendieuses installations de transport et de liquéfaction de gaz naturel s’amortissent sur 30 ou 40 ans. « [L]e gaz naturel émet effectivement moins de CO2 que d’autres sources d’énergie [...m]ais tous les gains sont pour ainsi dire annulés par les émissions de méthane (https://www.ledevoir.com/societe/environnement/507324/le-recours-accru-au-gaznaturel- nuit-a-la-lutte-contre-les-changements-climatiques-affirme-un-expert-du-giec) ce qu’industrie et agences gouvernementales tentent de minimiser si ce n’est de cacher :
La US Energy Information Administration affirme que la ventilation et le torchage de l’industrie ’\ la ventilation est la libération intentionnelle de méthane dans l’atmosphère, tandis que le torchage brule le méthane pour émettre du dioxyde de carbone à la place ’\ a bondi d’environ 66% en 2018. Cela n’inclut pas les fuites involontaires de l’équipement. [...] Mais les fuites de méthane ne sont qu’une partie de l’histoire. Alors qu’une centrale électrique au gaz naturel n’émet qu’environ la moitie du dioxyde de carbone d’une centrale au charbon, c’est encore loin d’être nul. [...] L’expansion des usines pétrochimiques, comme celles qui produisent des plastiques à partir de gaz, représente près de 40 pour cent des émissions supplémentaires. Les nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié, qui permettent aux entreprises d’exporter du gaz à l’étranger, représentent près de 20% des émissions. (https://insideclimatenews.org/news/30012020/natural-gas-methane-carbon-émissions).
Même en termes de bilan CO2, souvent confondu avec le bilan de tous les GES, « [a]u cours de la dernière décennie (2009-2019), les émissions mondiales de dioxyde de carbone provenant de l’utilisation du gaz naturel ont augmenté de 30%, pour atteindre plus de 7,5 milliards de tonnes métriques. Une partie de cette utilisation accrue de gaz a remplacé les émissions de charbon, qui ont également augmenté de 11% au cours de la même période. La plus grande proportion du CO2 n’a pas déplacé le charbon et il est peu probable qu’il le fasse dans un proche avenir. » (https://blogs.scientificamerican.com/observations/natural-gas-use-is-rising-is-that-good-news-or-bad-news-for-theclimate/)
Tout ce qui est hydroélectrique, comme auto solo et REM, ne fait pas automatiquement partie de la solution
À contrario, faudrait-il amplifier ces réductions des GES dus la politique de rabais pour l’achat de véhicules hydroélectriques que la CAQ a repris des Libéraux et auxquels s’ajoutent désormais les rabais des Libéraux fédéraux pour un total maximum de 13 000 $ par véhicule électrique ? Ce serait oublier le minage des métaux rares, ce « cote sombre de la transition énergétique » (https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/201911/13/01- 5249592-metaux-rares-le-cote-sombre-de-la-transition-energetique.php). À part les experts fanatiques des voitures hydroélectriques, les experts académiques s’opposent désormais à ces rabais dont les effets seront empirés sous peu par « l’obésité routière » qui gêne même ses chauds partisans :
Je trouve que subventionner des véhicules individuels n’a aucun sens, et c’est pire pour les gros véhicules ’â, dit [le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montreal, Pierre-Olivier Pineau]. M. Pineau dit comprendre la volonté du gouvernement d’encourager la voiture électrique , mais la congestion, les accidents, le manque d’activité physique, l’étalement urbain... On ne règle rien de ces problèmes nuance-t-il. Tout comme Pierre-Olivier Pineau, l’experte en transport à Polytechnique Montréal Catherine Morency s’oppose aux subventions aux voitures électriques. (https://www.lapresse.ca/actualites/politique/201912/15/01-5253871-vehicules-electriques-quebecappele- a-ne-pas-encourager-lobesite-routiere.php)
Le REM, que la CAQ veut prolonger après la phase actuelle, fait aussi problème. Selon le PQ, le REM actuel c’est seulement 0.13% de voitures de moins et une réduction des GES de seulement 0.12% (https://fichiers.pq.org/Grand-Deblocage/Presentation_GrandDeblocage_rev3.pdf). Selon le test climat de Coalition Climat Montréal et du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), la contribution à la réduction des GES du REM est nulle (https://trainsparence.ca/sites/default/files/inline-files/Test-climat%20Synth%C3%A8se%20V32.pdf). Pour combler la mesure, selon une toute récente « étude de la société canadienne hypothèques et de logement, le REM risque d’accentuer l’exode vers la banlieue » (https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/201906/04/01-5228824-le-remrisque- daccentuer-lexode-vers-la-banlieue-selon-une-etude.php) ce qu’aggraveront les prolongements en banlieue de Montréal souhaités par la CAQ. « ’’Au cours des prochaines années, si le prix des maisons unifamiliales sur l’île de Montréal continue d’augmenter à un rythme plus rapide qu’en banlieue [ce qui est le cas depuis cinq ans], tout laisse croire que ce mouvement migratoire sera appelé à se poursuivre’’, écrit l’auteur Francis Cortellino, chef analyste de la SCHL a Montreal. »
La CAQ, nouveau champion de la lutte climatique ?
Il ne faut pas croire que la CAQ parle à travers son chapeau, ce que pourrait laisser croire l’absence de la thématique environnement lors de sa dernière campagne électorale afin de ne pas déplaire à sa base adéquiste et par l’étroitesse de la mentalité affairiste de son chef. Depuis lors se sont fait valoir tant les événements catastrophiques, dont les inondations et tornades, et les canicules que la population, surtout la jeunesse, par centaines de milliers dans la rue. La CAQ en a été stimulée à comprendre que le capitalisme vert ça peut être payant si l’État interventionniste y met du sien. Interventionniste la CAQ nationaliste l’est certainement comme vient de le démontrer sa réforme d’Investissement Québec qui va avoir plus de sous et prendre plus de risques. Déjà, comme Jean-Baptiste préparant la venue de Jésus de Nazareth, la CAQ avec la loi 44 en cours d’adoption va chambouler les structures administratives concernées pour en grande partie centraliser le pouvoir de décision nécessaire à l’intérieur du cercle sous le contrôle du Premier ministre pour la plus grande satisfaction du patronat et le plus grand déplaisir des environnementalistes les plus critiques (https://www.ledevoir.com/politique/quebec/566013/le-ministre-de-l-environnement-aura-le-dernier-mot-sur-les-projets-finances-par-le-fondsvert).
Le projet St-Laurent, idée phare du Premier ministre axée sur la performance technologique, s’apprête à devenir Projet St-Laurent, vallée verte :
[L]e premier ministre a choisi de faire de l’environnement sa priorité et il ne veut pas échouer. Francois Legault a promis un plan clair, précis et chiffré, qui devrait permettre au Québec d’atteindre son objectif de réduction des gaz à effet de serre de 37,5 % sous le niveau de 1990 d’ici 2030. [’c] l’argent [du prochain budget] va parler, laisse-t-on clairement entendre. On promet d’investir des sommes considérables et récurrentes [’c] Une grande partie de cet argent sera consacré a des projets d’infrastructures pour le transport en commun. Le projet de ligne rose de la mairesse Valérie Plante ne fera toutefois pas partie du lot. Le gouvernement a fait son lit et c’est celui du transport de surface, indique-t-on de source gouvernementale. [’cL]a politique-cadre présentera la lutte contre les changements climatiques comme une occasion à saisir pour enrichir le Québec, augmenter les exportations et se positionner comme leader mondial en matière de technologies vertes. [’c] Lors des dernières élections, la CAQ s’était engagée à assurer la pérennité de la bourse du carbone et à maintenir les objectifs de réduction des GES fixés par le gouvernement libéral. Le parti n’avait toutefois pas consacré une seule des 39 journées de la campagne électorale au thème de l’environnement, ce qui lui a valu les foudres des autres partis et de plusieurs groupes de la société civile. [’c] Si on a renoncé a l’avance à obtenir l’appui des groupes environnementaux les plus revendicateurs, on espère au moins au gouvernement rallier les écologistes modérés. [’c] Après avoir entendu parler de laïcité et d’immigration durant toute l’année 2019, les Québécois devraient donc bénéficier d’un certain répit sur le front identitaire au cours des prochaines semaines et des prochains mois. (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1501281/changements-climatiques-quebec-plastique-fonds-vert)
Un grand tournant tactique pour renforcer la même stratégie néolibérale
On constate un grand tournant tactique pour renforcer la même stratégie. La CAQ profite de la situation pour parer d’un habit neuf sa jeune mais déjà vieille carcasse néolibérale. La CAQ a compris que cet habit vert la mettait en diapason avec l’opinion publique tournant au vert, malgré la grogne de son aile climato-sceptique, sans remettre en question ni sa volonté de requinquer Québec Inc. ni son nationalisme identitaire centré sur les banlieues et les régions. « Sauver la planète », pour employer la douteuse expression consacrée, servira d’argument au gouvernement pour justifier tant son endettement auprès du capital financier que la continuation de l’austérité pour garantir aux prêteurs leur remboursement et soutenir les PPP et autres parasites du budget public. Les gagnants en seront l’industrie de la corruption, dont SNC-Lavallin, avec le REM et Bombardier avec les tramways construits en territoire caquiste sans attendre une éternité pour de dispendieuses lignes de métros (roses) au profit du centre et de l’ouest de l’Île de Montréal, acquis aux Libéraux et aux Solidaires, alors que Bombardier crie aux abois.
On doit cependant admettre que cette politique étroitement politicienne doublée de la volonté de soutenir ce qui reste de Québec Inc. et encadrée par la prudence comptable correspond à la sagesse écologique, REM en moins, de donner la priorité au transport en commun de surface aux dépens des autos solo que contradictoirement la CAQ encourage avec ses primes et son troisième lien à travers le fleuve à Québec. En prime, la CAQ, dixit le ministre de l’Environnement, compte « vouloir effectuer une ’’transition juste’’, au nom de la défense des travailleurs québecois. » ce qui empêcherait, selon elle, de viser les cibles conformes au diagnostic scientifique du GIEC. Comme quoi ce slogan issu des appareils syndicaux en est un à double tranchant.
La grande contradiction du mouvement social québecois entre cible et plan d’action
Le mouvement social québécois, dans sa grande majorité, dénonce la pusillanimité du gouvernement de la CAQ et l’invite à se rallier à l’appel de Greta Thunberg. Le Front commun pour la transition énergétique (FCTÉ), rassemblant la quasi totalité du mouvement social québécois des nouvelles organisations climatiques aux centrales syndicales, propose pour son « Projet Québec zéro émission nette » (https://www.pourlatransitionenergetique.org/) une « [l]oi climat obligeant une réduction d’au moins 65 % des GES d’ici 2030 et la neutralité carbone en 2040 » soit un objectif GIEC+ qui tienne compte de la responsabilité historique.
Cette critique s’est fait entendre à la commission parlementaire concernant le projet de loi 44 :
Greenpeace, Nature Québec et La Planète s’invite au Parlement ont par ailleurs plaidé mercredi pour la fixation d’une cible encore plus ambitieuse, soit une réduction de 65 % des GES d’ici 2030 par rapport à 1990. Selon les groupes, cet objectif tient compte de la science climatique, de la responsabilité historique des nations développées dans les bouleversements du climat et de notre capacité économique à nous engager dans la transition. (https://www.ledevoir.com/societe/environnement/572313/climat-pas-question-de-s-aligner-sur-les-recommandations-du-giecaffirme- benoit-charette ?)
Cependant, si on en croit le porte-parole « charismatique » officieux de cette gauche écologique québécoise, cette cible requiert, pour être atteinte, certes une grande mobilisation de la société mais non sa transformation structurelle :
La loi doit engager une transition écologique juste et globale de notre économie en mobilisant l’ensemble de la société québecoise, le gouvernement et chacun de ses ministères, chacune de ses institutions . Hydro-Québec, Investissement Québec, la Caisse de dépôt, les entreprises, les communautés, les municipalités, les écoles, le monde de la santé, celui de la construction et l’ensemble des citoyens. Chacun selon ses moyens, chacun sa juste part. (https://www.ledevoir.com/opinion/idees/571600/environnement-il-faut-adopter-une-vraie-loi-pour-le-climat-au-quebec)
Faut-il se surprendre que le porte-voix du mouvement, percevant la contradiction entre la cible de réduction de GES des deux tiers et son refus d’envisager une transformation de la société de fond en comble, en fait une révolution anticapitaliste, aille jusqu’à renier la cible préconisée par le FCTÉ. Il propose plutôt « une réduction d’au moins 50 % de nos émissions d’ici 2030 et la carboneutralite en 2050. » C’est peut-être sa façon à lui de pointer du doigt cette contradiction à même le projet du FCTÉ.
Cette grande coalition fait l’hypothèse qu’à terme « [n]otre société est paisible, comme elle l’est demeurée tout au long de sa transformation » ! Faut-il se surprendre que cette naïveté stratégique faisant l’économie d’un dur affrontement contre le capitalisme fasse bon ménage avec une « [t]arification adéquate du carbone et mise en place de mesures d’atténuation... » et aussi « ...de soutien pour les entreprises qui se voient obligées de transformer leur modèle d’affaires » ! Le projet du FCTÉ, pourtant très détaillé, ignore la nécessité de toute réforme fiscale même s’il reconnaît qu’il faudra « des efforts financiers extraordinaires ». Il ignore encore plus une prise en main du système financier. Contradictoirement, il exige de « stopper sur-le-champ l’étalement urbain... » tout en promouvant un bonus « pour les véhicules électriques légers » Interdire ou limiter la construction de maisons unifamiliales en zone urbaine ? Ni vu ni connu. Construction de logements sociaux écologiques ? Le silence est d’or. Réinvestissement massif dans les services publics qui prennent soin des gens à force essentiellement d’énergie humaine tout en créant un riche tissu social désaliénant du consumérisme ? Jamais entendu parler. Transport en commun ? Y investir comme l’Ontario, sans plus !
Une cible se conciliant le marche avec un plan versus une cible anticapitaliste... mais sans plan
Somme toute, en ce qui concerne le débat sur les cibles, on reconnaît deux grandes tendances. Quoiqu’il y ait aussi divergence sur la cible lointaine de 2050, c’est celle prochaine de 2030 qui clive. Quant à pragmatiquement mettre l’emphase sur la faisabilité du plan d’action pour limiter la fourchette des cibles, la contrainte impérative de la science impose au préalable sa propre fourchette. La détermination de la cible 2030 en devient le fil de plomb déterminant le plan d’action et son échéancier. La cible 2030 capitaliste vert de celles et ceux qui ne veulent pas changer le système se situe dans la fourchette de 37.5% à 50% selon l’ampleur de la taxe carbone envisagée et de celle du budget pour le transport en commun et tutti quanti.
La même cible anticapitaliste et internationaliste se fixe au moins aux deux tiers sur la base d’une expropriation du capital financier et pétrolier et d’un plan d’action reposant sur une planification démocratique commandant une révolution à marche forcée des systèmes d’énergie et de transport, de l’agriculture, de l’aménagement urbain et du territoire dans le sens d’une décroissance drastique de la production des objets sonnants et trébuchants et d’une croissance tout aussi drastique des services publics afin de prendre soin comme il se doit des gens et de la terre-mère. On se dit que si le patronat et ses sbires étatiques ont pu imposer une planification bureaucratique de guerre encadrant le marché, le peuple-travailleur peut en imposer une démocratique pour sauver la civilisation. Le drame, toutefois, est que les organisations et les personnes partisanes de la cible anticapitaliste veulent faire l’économie de la lutte pour renverser l’hégémonie capitaliste ce qui les amène à rester prisonnières des paramètres du plan d’action capitaliste vert, en particulier de l’écofiscalité qui en constitue l’épine dorsale. La modification des rapports de prix du marché aux dépens des hydrocarbures par soit la taxe ou le marché carbone soutenue par un complément de soutien étatique aux entreprises, serait dit-on suffisante pour atteindre les cibles du GIEC. Mais ce serait vrai en autant qu’on admette un rattrapage après 2050 grâce à une gargantuesque géo-ingénierie très chère et très risquée et plus d’énergie nucléaire, et qu’on ignore la dangerosité du déclenchement des points de bascule vers une planète-étuve alors qu’il devient de plus en plus évident que la catastrophe est déjà en marche. (https://www.pressegauche.org/Le-Sommaire-pour-les-decideurs-du-rapport-Le-rechauffement-global-a-1-5oC-du) Non seulement cette contradiction tiraille-t-elle le mouvement social écologique mais elle paralyse Québec solidaire qui vient d’introduire l’écofiscalité dans son programme. En résulte une parade avec une campagne politique sans contenu alternatif s’en remettant à la CAQ pour accoucher d’un plan !
Comme le Dieu du petit catéchisme, Québec solidaire est partout pour masquer son recul capitulard
Quelle est la cible 2030 de Québec solidaire ? À chacune et à chacun son choix !
• Voici ce qu’en dit le programme consulté le 10/02/20, normalement la bible du parti et information la plus accessible en deux clics sur le site Internet du parti : « Afin de rattraper le retard accumulé par rapport à nos engagements internationaux et afin de contenir la hausse moyenne de la température mondiale à 1,5 degrés Celsius, il faut accélérer la transition énergétique pour la période entre 2018 et 2030 de façon à atteindre 67 % de réduction en dessous du niveau de 1990. »
• Voici ce que dit la plateforme 2018 accessible en trois clics...et un peu d’attention : « Pour atteindre, d’ici 2050, une réduction de 95 % des gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990, Québec solidaire réduira les émissions grâce à des cibles intermédiaires à chaque cycle de 5 ans » Aucune cible n’est spécifiée pour 2030.
• Voici ce que dit la résolution du Conseil national de mai 2018 introuvable sur Internet : « Un objectif à la fois ambitieux et réalisable de réduction des GES d’au moins 45% par rapport a 1990 sur l’horizon 2030, qui nous assure d’atteindre notre objectif de réduction de 95% en dessous du niveau de 1990 en 2050 » Démocratiquement parlant, le congrès, instance souveraine du parti comportant plusieurs centaines de personnes, a choisi une cible anticapitaliste en 2016. Le conseil national, prétextant une urgence inexistante afin de se donner le droit de renverser une décision du congrès, a choisi une cible dont le ministre de l’Environnement de la CAQ a dit : « Tout en évoquant ’’l’effort colossal’’ que représente déjà une réduction des émissions de gaz a effet de serre (GES) de 37,5 % d’ici 2030 par rapport a 1990, le ministre a fait valoir que l’idée de porter cette cible à une réduction de plus de 45 % serait tout simplement ’’irréaliste’’ ». Donc à la limite, la CAQ accepterait une cible de 45%. Après tout cette cible n’est que 20% plus importante que celle gouvernementale alors que celle de 65% est près de 75% plus importante. Finalement, la direction du parti a décidé, pour les élections de 2018 et depuis lors, d’envoyer le dilemme sous le tapis. On comprend la raison de la double pirouette quand on réalise à quel point est capitaliste vert le Plan de transition du parti décidé à huis clos sur la base d’un document chèrement payé à un think-tank de la nébuleuse péquiste et révélé en pleine campagne électorale mais jamais popularisé (Mon analyse critique détaillée du Plan de transition Solidaire : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article47058).
Un déchirement entre les cibles créant un vide de l’alternative ce que le parti hésite à résoudre
Ce déchirement entre les cibles résulte en un vide au niveau de l’alternative. La militance du parti, et encore moins sa direction et sa députation, ne semblent prêtes à vouloir même en discuter et encore moins y remédier. On ne pourra pas toujours enjoindre la CAQ d’accoucher d’un plan de transition sans que les interrogations finissent par viser les Solidaires. Cette fois-ci, il ne faudra pas tomber dans le piège des experts élaborant en catimini un plan technocratique en symbiose avec le marché derrière lequel se cache la dictature des transnationales financiarisées. Il faudra faire appel à la sagesse de la militance du parti s’exprimant à travers un processus de démocratie interne ouvert sur l’ensemble des membres et sur l’électorat Solidaire quitte à demander l’avis d’experts en accord avec la nécessité d’un plan audacieux GIEC+. Il est plus que temps qu’il y ait des formations-débats avec panels sur le Plan de transition de façon à pouvoir convoquer un congrès spécial ou régulier sur la révision en profondeur du Plan de transition. Ce Plan profondément transformé pourrait devenir l’épine dorsale de la campagne politique centrale du parti débouchant sur la prochaine campagne électorale en 2022 ou mieux encore, sur une grève climatique qui pourrait être une grève du secteur public, comprise comme partie prenante de la lutte climatique, se transformant en grève générale comme en 1972.
Ces formations-débats pourraient être, par exemple : L’auto solo électrique fait-elle partie de la solution ou du problème ? ; Pour le transport en commun, la priorité doit-elle aller à la gratuité ou aux nouveaux investissements ? Pour le transport en commun, faut-il donner la priorité au transport en surface (autobus, tramway...) tassant les autos solos y compris électriques ou aux moyens de transport dans les airs (REM) et sous terre (métro dont la ligne rose) abandonnant la surface aux « chars » ? Faudrait-il dès maintenant interdire la construction de maisons unifamiliales et même en rangée en zone urbaine ? Pour le transport des marchandises, faut-il donner la priorité au camionnage électrifié ou au rail-cabotage ? La lutte pour la justice sociale, en particulier dans le secteur public, est-elle partie intégrante de la lutte climatique étant donnée la marginalité de l’énergie mécanique qui y est employée et la richesse des liens humains anti-consuméristes qui y sont créés ? La panne sèche dans la construction de logements sociaux éco-énergétiques et la plaie des rénovictions ne nécessitent-elles pas l’expropriation des spéculateurs pour libérer des terrains et rénover les taudis ? L’agriculture biologique est-elle assez productive pour nourrir toute la population à un prix abordable et à une rémunération viable pour la productrice agricole ? La « transition juste » est-elle faisable étant donné la nécessité d’une décroissance drastique de la fabrication en vue de d’en finir avec la consommation de masse ?
La militance du parti est-elle prête pour un tel tournant ? Le désire-t-elle ? Tout récemment, l’assemblée générale annuelle de mon association de circonscription, qui avait pourtant été à l’avant-garde pour contester l’abaissement de la cible 2030 des deux tiers à 45%, a refusé à ±60% de proposer un réalignement de la campagne Ultimatum 2020 sur les négociations du secteur public et le logement social s’ajoutant au transport en commun et à la restauration écologique des bâtiments sous prétexte que la direction du parti s’en chargeait suite à une recommandation du dernier conseil national (voir annexe). Cette démission vis-à-vis la participation de la militance à la direction du parti n’est pas rassurante même si elle n’est pas encore désespérante. Elle est sans doute un reflet de la profonde déconnexion faite par la militance de la gauche syndicale, si on se fie au débat sur le sujet au dernier camp de formation de Lutte commune, entre lutte proprement syndicale et lutte climatique (et même féministe). Cette militance voit très bien la nécessité d’un front commun à la base (mais étonnamment moins au sommet le confondant avec le bureaucratisme). C’est sans doute pour cette raison que mon association a accepté, à aussi ±60%, une proposition d’implication des membres syndiqués dans le secteur public pour favoriser un front commun à la base. La gauche syndicale comprend aussi la nécessité de sortir des sentiers battus au niveau du plan d’action de façon à engager l’affrontement dès ce printemps autour du budget et du premier mai mais sans trop se soucier de la pertinence des revendications très axées sur la question salariale négligeant la question d’un réinvestissement massif dans les services publics. On en est là.
Marc Bonhomme, 12 février 2020
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.c a
ANNEXE : Un réalignement d’Ultimatum 2020 sur les négociations du secteur public et le logement social s’ajoutant au transport en commun et à la restauration écologique
1. Les négociations du secteur public sont la grande affaire du mandat de la CAQ comme parti patronal car cet affrontement pourrait déterminer le rapport de forces fondamental entre la classe d’affaires et le peuple-travailleur
2. Après l’affaiblissement syndical des négos 2010 et 2015 consacrant l’austérité, la CAQ veut infliger une défaite stratégique au mouvement syndical pour dérouler le tapis rouge à la privatisation soutenue par le budget public
3. Cette défaite équivaudrait à celles que Reagan et Thatcher ont infligé aux mouvements syndicaux étasunien et britannique au début des années 1980 afin de mettre en place dans la durée l’ère néolibérale
4. Le Québec étant le mouton noir progressiste de la zone Canada-ÉU comme la France l’est de la zone euro, la CAQ a la même stratégie de casse de l’État providence que le gouvernement Macron pour la France
5. Si en France l’épreuve de forces est le système de retraites par répartition légué par la victoire anti-nazi en 1945, au Québec elle est la tradition du Front commun légué par la grève générale de 1972
6. La négo 2020 démarre du mauvais pied avec l’absence de Front commun officiel et la super priorité donnée aux salaires aux dépens des autres conditions de travail garant majeur de l’anti-austérité et donc de l’appui populaire
7. Le nécessaire rattrapage salarial met l’emphase sur la traditionnelle augmentation de pourcentage, sauf la CSN pour la première année, ce qui accentue les inégalités et par là affaiblit la solidarité
8. La capacité du parti d’influencer l’opinion publique a été démultipliée depuis 2015 ce qui rend possible sinon nécessaire un discours public du parti pour modifier le rapport de forces en faveur du mouvement syndical
9. La lutte du secteur public est non seulement une lutte pour la justice sociale mais aussi une lutte écoféministe de « prendre soin » des personnes, l’autre côté de la médaille de « prendre soin » de la terre-mère
10. Ce sont majoritairement des travailleuses qui sont concernées dont les tâches de soin aux personnes socialisent de semblables tâches domestiques faites gratuitement dans l’isolement du foyer familial
11. Ces emplois exigent peu d’énergie mécanique (et beaucoup d’énergie humaine) tout en créant des liens désaliénant de la solitude consumériste, en opposition à la société de consommation de masse
12. Si organisées à cet effet, il y a assez de membres du parti syndiquées dans le secteur public pour inciter les syndicats de base à construire un front commun à la base pour qu’il s’en construise un au sommet
13. Les trois revendications clefs de la campagne Ultimatum 2020 ignorent complètement l’aspect alternative du Plan de transition et ne rejette pas le transport de transit des hydrocarbures dont GNL-Québec
14. Au Canada, le rapport de forces climatique connaît une sérieuse détérioration avec les décisions judiciaires contre la lutte anti-gazoduc des Wet’suwet’en et en faveur du gouvernement albertain (Trans Mountain)
15. La campagne Ultimatum 2020, la grande affaire du parti, risque d’aboutir à un show de boucane parlementaire et à un pétard mouillé dans la rue car les grandes mobilisations ne se décrètent pas
16. Le Plan de transition du parti ignore la dimension « prendre soin » des gens de la lutte climatique, en termes de services publics comme de logements sociaux, une faille majeure à corriger pour permettre sa popularisation
17. Conjuguer Ultimatum 2020 et l’appui du parti à la construction d’un Front commun anti-austérité de justice sociale et éco-féministe permettrait d’intégrer le grand enjeu de 2020 à la grande campagne du parti
A. Le parti doit transformer Ultimatum 2020 en campagne de soutien a la construction d’un Front commun écoféministe de réinvestissement massif dans le secteur public et de salaires plus égaux, pour la construction de 10 000 logements sociaux éco-énergétiques par an et contre GNL-Quebec
B. Le parti doit se donner des objectifs chiffres en termes budgétaires, de création d’emplois et de ratios ou quotas pour chacun des services publics dont le logement social, lesquels s’ajouteront a ceux du Plan de transition pour le transport en commun gratuit sur 10 ans et pour la restauration écologique des bâtiments
C. Le parti doit encourager et organiser ses membres syndiqué-e-s dans le secteur public pour qu’elles se dotent d’un plan d’intervention en ce sens et pour initier un front commun à la base, et ceci avec la collaboration organisée d’autres syndiqué-e-s d’accord avec cette orientation ??
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