Édition du 10 décembre 2024

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États-Unis

Discussion, USA

Réponse aux camarades de l’Insurgé – Sur la situation US

Les camarades de l’Insurgé ont publié, datée du 17 novembre dernier, leur analyse des élections américaines. Il nous arrive de reprendre certains de leurs articles car nous avons de larges zones d’accord sur des questions internationalistes décisives telles que la Syrie ou l’Ukraine. Si nous avons publié leur article sur les États-Unis, c’est au contraire comme exemplaire des désaccords de méthode que nous pouvons avoir non seulement avec eux, mais avec ce qu’il est convenu d’appeler « l’extrême-gauche » d’une façon générale. C’est précisément parce que ces camarades s’en distinguent par ailleurs sur des points décisifs qu’il est, pour ainsi dire, exemplaire de relever ce que cette analyse a de « bateau », de traditionnel et, si l’on veut, d’ « orthodoxe », au mauvais sens du terme.

2 décembre 2024 | tiré d’Arguements pour la lutte sociale
https://aplutsoc.org/2024/12/02/reponse-aux-camarades-de-linsurge-sur-la-situation-us/

Dans son préambule, l’Insurgé estime que la présentation médiatique des deux principaux candidats était biaisée : Trump passait pour « fasciste », avec les guillemets, et ce biais semblait être entretenu par Trump lui-même puisque « certes, tous les discours de Trump confortaient cette image » ; et Harris passait pour « intelligente » et attachée à la liberté d’avortement, ce qui, si l’on comprend bien, était tout aussi « biaisé » que de faire passer Trump pour « fasciste » malgré l’impression que lui-même donnait.

Présentant les résultats comme un « retour au réel », nos camarades semblent entendre par ce « réel » que Trump n’est pas si fasciste et que Harris était une candidate capitaliste réactionnaire. C’est ce second point -la nature de Harris – qui semble les préoccuper le plus et qu’ils développent le plus dans le restant de leur déclaration, dont la méthode consiste à montrer, sur la base des programmes de l’une et de l’autre, que là où va Trump Harris allait aussi, même si c’était un peu moins vite.

La démonstration est implacable : les Démocrates ont perdu à cause de ce que tous nous savions déjà depuis plus d’un siècle, à savoir qu’ils sont un parti bourgeois. Faisant ainsi gagner un autre parti bourgeois « fasciste » (avec ou sans guillemets ?), c’est ballot n’est-ce pas, mais ceci n’est guère abordé par nos camarades …

Il n’est pas nécessaire de rentrer dans le détail de la démonstration, portant de fait exclusivement sur Harris : tout ce qui est expliqué là est connu, archiconnu, compris et reconnu. Personne parmi les militants révolutionnaires qui ont préconisé de barrer la route à l’élection de Trump ne l’a nié, tous le savaient et l’ont dénoncé, sans éprouver le moindre besoin de peindre Harris ne serait-ce qu’en rose.

Faut-il en déduire, comme le font manifestement nos camarades, que Harris était tellement réactionnaire que le vote Trump de femmes qui souhaitaient en même temps le droit à l’avortement, et le vote Trump de noirs et de latinos, au fond, n’a pas été un vote si différent que s’ils avaient voté Harris, même si « la xénophobie et le racisme » ont sous-tendu la campagne de Trump beaucoup plus, somme toute, tout de même, que celle de Harris ?

Et même envers les syndicats, certains républicains sont tout autant « pro-Labor », on vous le dit, avec sans doute ni plus ni moins la même hypocrisie, que bien des démocrates ! Bref : dans la nuit du capital, tous les chats sont gris, il n’y pas grande différence. Business as usual !

A propos des syndicats, le soutien traditionnel des principaux appareils syndicaux à Harris n’a donc rien changé à la nature profonde de Harris et le faible poids des syndicats ne pouvait d’ailleurs infléchir les résultats.

Nulle mention des puissantes grèves menées depuis deux ans, notamment par la nouvelle direction de l’UAW, qui a appelé à voter Harris en prenant son temps, en mettant en avant le danger de Trump traité de scab.

Une mention, par contre, des Teamsters, dont la direction a refusé de choisir. Cela serait-il un pas vers l’indépendance envers les Démocrates, vers le fameux « parti ouvrier basé sur les syndicats » judicieusement conseillé par Léon Trotsky à ses camarades américains déjà en 1936 ? Les Teamsters auraient-ils été plus « avancés » que les autres par cette position « n’apportant de soutien à personne » ?

En fait, leurs dirigeants ont un peu plus soutenu, à leur façon … Trump, en participant à la convention républicaine de Milwaukee qui l’a investi ! Bonjour le pas en avant vers l’indépendance de classe !

Ces précisions, qui devraient être indispensables, manquent dans l’analyse de l’Insurgé, comme y manquent toute appréhension des processus concrets dans la lutte des classes aux États-Unis depuis deux ans, et de leur réfraction dans les organisations.

D’ailleurs, ajoutent-ils, le protectionnisme agressif affiché par Trump était plus fait pour séduire l’électorat ouvrier que le protectionnisme mollasson affiché par Harris …

Ils ne l’écrivent pas et peut-être ne l’explicitent pas complètement pour eux-mêmes, mais au fond, leur « analyse » conduit invariablement à une seule et même conclusion : il ne s’est rien passé aux États-Unis le 5 novembre 2024, c’est bonnet blanc et blanc bonnet !

La vertueuse conclusion de nos camarades est bien entendu, sur le papier, autre : tout cela a toujours été ainsi et sera toujours ainsi tant qu’il n’y aura pas un parti ouvrier aux États-Unis. Ni Harris, ni Trump (comme diraient les chefs des Teamsters !) il faut une alternative de classe ! Ah, mais !

Bon, mais comment avancer vers cela dans les conditions réelles du moment présent ? Dans ces conditions réelles, il y a non seulement tout ce qu’expliquent nos camarades, ainsi que tout ce qu’ils passent sous silence sur les grèves récentes et la position exacte des dirigeants des Teamsters, mais il y a surtout tout ce dont, dans le programme et les actes de Trump et des trumpistes, ils n’écrivent pas un mot alors que ces gens-là seront au pouvoir le 20 janvier prochain – pas un mot, sauf pour nous dire qu’il ne faut pas s’affoler, les républicains sérieux veillent au Sénat !

Si, pardon, il y a un mot sur le projet de « déporter » 20 millions de personnes et la remise en cause de l’IVG. Mais, somme toute, il semble que ceci fasse partie du business as usual. Trump avait une image « fasciste » : une image, et des guillemets …

Pas un mot sur Project 2025, le plan central de destruction de la place des organisations syndicales, et qui commence par l’interdiction des syndicats dans la Fonction publique fédérale, pas un mot sur qui Trump est en train de nommer, pas un mot sur l’offensive visant la constitution américaine, certes une constitution bourgeoise, une des plus exemplaires même, mais qui est menacée dans ses fondements et pas en bien …

Comment avancer vers l’indépendance de classe ? Mais en combattant réellement cela ! Pas en distillant de tels commentaires blasés et désabusés dont on ne peut que déduire que, par on ne sait quel miracle, tant qu’un « parti ouvrier » n’aura pas émergé, il n’y a qu’à commenter judicieusement en quoi les capitalistes d’antan attachés à la constitution américaine ne valent fondamentalement pas mieux, en dernière analyse, que la meute de barbares qui arrivent avec Trump et Musk coordonnés avec Poutine.

Parce qu’il ne faudrait pas que la discussion académique sur la justification de mettre ou pas des guillemets à « fasciste » pour Trump et pour savoir si c’est juste une image biaisée et que Harris, quand même, etc., ne puisse avoir lieu qu’entre vaincus aigris ressassant ce qu’ils ont toujours su et écrit, que « je te l’avais bien dit, mon gars, il aurait fallu un parti ouvrier, ouais ! », dans un petit camp de concentration …

N’est-ce pas ?

Le 02/12/2024.

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