26 avril 2023 | tiré de Canadian Dimension | Photo : L’ancien chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, visite le passage à niveau du chemin Roxham en 2018. Photo de Flickr.
Il est devenu un passage frontalier « irrégulier » entre 2016 et 2017. L’accord aurait été secrètement négocié à l’avance pendant des mois. Avec l’accord, le gouvernement Trudeau a pu interrompre un débat partisan dans lequel le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, pouvait attiser les craintes de voir les migrants se multiplier dans le paysage canadien. J’ai été surpris de ce nouvel accord. Avant la visite du président Biden, j’avais simplement tweeté à quelques reprises que Roxham Road représentait l’inconscient canadien. Qu’est-ce que je voulais dire ?
En 2017, le premier ministre Justin Trudeau a envoyé le député libéral Emmanuel Dubourg (qui aurait parlé le créole haïtien) comme envoyé spécial à Miami pour dissuader les migrants haïtiens de se rendre au Canada. Il a été allégué que tant de migrant-e-s avaient traversé le chemin Roxham qu’ils ont dû être logés au stade olympique de Montréal cette année-là. Depuis, le chemin Roxham est un point sensible de la politique fédérale et provinciale canadienne. Les migrant-e-s fuyant l’Amérique de Donald Trump, où sa présidence a commencé par des attaques contre les migrants de l’étape de la nomination à la campagne et jusqu’à la Maison-Blanche, ont vu une augmentation du nombre de migrants traversant des points frontaliers canadiens non gérés.
Cependant, le chemin Roxham s’est démarqué parce qu’il a été allégué que c’était surtout des Haïtien-ne-s qui traversaient la frontière. La réponse du gouvernement Trudeau à l’allégation selon laquelle les Haïtiens constituaient la majorité des personnes qui traversent le chemin Roxham doit être comprise dans le contexte de la législation et des pratiques canadiennes en matière de migration anti-Noirs. Quand je dis que le chemin Roxham est l’inconscient du Canada, je veux dire que le chemin Roxham nous rappelle que le Canada se considère comme une nation blanche et que les Noirs d’ici sont toujours considérés comme trop nombreux. Le chemin Roxham et ce qu’il en est venu à représenter dans les luttes contemporaines autour de la liberté de mouvement révèle cet inconscient raciste.
En 1997, R. Bruce Shepard a publié Deemed Unsuitable : Blacks from Oklahoma Move to the Canadian Prairies in Search of Equality in the Early 20th Century Only to Find Racism in Their New Home, un ouvrage qui a révélé les efforts fructueux de l’État canadien pour mettre fin à la migration noire de l’Oklahoma vers l’Ouest canadien.
Une chose que l’État canadien a faite a été d’envoyer des agents de l’immigration aux États-Unis pour dissuader l’émigration, affirmant qu’ actuellement le Nord était inhospitalier pour les Noirs. La loi du gouvernement du premier ministre Wilfrid Laurier concernant les Noirs « les juge[ait] inadaptés au climat et aux exigences du Canada ». Le travail de Shepard sur la découverte du décret et des mesures prises par le Canada pour garder la nation blanche devrait être beaucoup mieux connu.
Dans les années 1960, les Noirs au Canada ont mené le mouvement de réforme de l’immigration qui a fait passer le Canada de politiques d’immigration fondées sur la race à un système de points. Cela a été développé en tant que modèle motivé par les exigences du marché. Ce système a ouvert les changements démographiques dont nous sommes témoins et avec lesquels nous vivons aujourd’hui.
Cependant, même avec ce système, la peur d’un Canada « trop noir » demeurait un élément central de l’inconscient racial blanc. Trudeau et son gouvernement, du moins en ce qui concerne ses politiques, perpétuent cette conscience raciale blanche historique comme une réponse raciste anti-noire inconsciente au mouvement des Noirs. Le chemin Roxham représente cet inconscient racial et la panique morale qu’il a engendrée parmi l’élite des politiciens canadiens. Les décrets autrefois secrets du début du siècle dernier reflètent maintenant les négociations secrètes actuelles avec les États-Unis.
L’Occident riche craint d’être envahi par les hordes noires et brunes des pauvres du monde entier qui se dirigent vers l’endroit où les richesses de la planète sont thésaurisées. Et pour éviter un tel mouvement, pour l’interdire, toutes sortes de schémas de migration planifiée ont été élaborés (et pour répondre aux migrations non planifiées, d’autres plans ont également été élaborés).
L’entente sur le chemin Roxham est l’un de ces stratagèmes. Cela peut sembler doux par rapport à d’autres comme ceux dévoilés dans l’UE et au Royaume-Uni, mais ce n’est pas le cas. En fait, nous avons déjà des rapports de décès qui pourraient être le résultat de l’accord. Suella Braverman, la ministre britannique de l’Intérieur, et son gouvernement pourraient proposer une décision politique vulgaire pour traiter avec les migrants, qui est de les expédier ailleurs. Mais le Canada et son gouvernement offrent une approche « plus douce » qui est enracinée dans la même vulgarité : leur dire de ne pas venir avant même d’essayer de partir. Ces positions ne sont finalement pas si différentes. Et avec les représentants multiculturels et multiraciaux de l’État qui présentent et représentent ces politiques, ce qui reste fermement en place, c’est la blancheur supposée et incontestée de la nation.
Les migrations non planifiées des opprimé-e-s du monde sont refusées par la vanité del’Occident riche, qui a exploité les peuples, les terres et les eaux du Sud, et qui prétend également gouverner leurs mouvements sur la terre. L’entente sur le chemin Roxham n’est pas seulement une mauvaise décision politique ou une erreur de réflexion qui sera corrigée plus tard. Cela fait partie d’une position idéologique profondément conditionnée qui détermine qui peut vivre et qui peut mourir. En effet, le chemin Roxham est plus qu’un passage frontalier – c’est l’incarnation des fondements maintenus de la suprématie blanche et de l’eurocentrisme du Canada. L’ajustement multiculturel et la rhétorique de la réconciliation n’y changent rien.
Je me suis assis pour écrire cette chronique alors que la guerre fait rage au Soudan. J’ai lu les gazouillis des Canadiens d’origine soudanaise alors qu’ils désespèrent de l’information qui vient de la région. Et j’ai noté le retard atroce du gouvernement fédéral dans la création d’un programme d’urgence qui permettrait aux réfugiés soudanais d’émigrer au Canada.
Bien sûr, l’inverse a été vrai pour les Ukrainiens, et avant cela pour les Syriens (parce que la mort d’Alan Kurdi a fait honte au monde). Pourquoi en est-il ainsi ? Nous savons tous ce que les Haïtiens et les Soudanais ont en commun, tout comme nous savons aussi qu’il serait tout à fait surprenant de voir le premier ministre Trudeau accueillir des réfugiés soudanais dans un aéroport canadien de sitôt. Nous ne pouvons pas nier que, parce que le Canada se considère comme un État-nation fondamentalement blanc, sa réponse aux catastrophes mondiales est influencée par cette conscience profondément enracinée. En effet, cette prise de conscience est la raison pour laquelle la réconciliation avec les peuples autochtones continuera d’échouer. La blancheur est l’endroit à partir duquel toute politique procède, et elle est déterminée à garder les races les plus sombres à l’extérieur ou du moins à croire qu’elle peut planifier quand, comment et où elles pourront entrer au pays.
Depuis l’abolition de l’esclavage transatlantique et les différents contrats qui ont suivi son existence, l’Euro-Amérique a cru pouvoir gérer les migrations mondiales comme une re distribution de l’inégale richesse acquise. De la migration de main-d’œuvre, y compris les programmes de travail domestique et agricole, aux programmes limités de regroupement familial, la planification de la migration a été faite dans l’intérêt euro-américains et a cherché à d’entraver ce mouvement mondial. Mais si le chemin Roxham doit signifier autre chose que la nature brutale et exclusive de l’État-nation, il pourrait devenir le premier moment au Canada vers une nation aux frontières ouvertes. Mais soyons clairs : nos dirigeants ne possèdent pas l’imagination visionnaire qui ferait d’une telle exigence une réalité vécue.
Rinaldo Walcott est écrivain et critique. Il est également professeur et président des études africaines et américaines à l’Université de Buffalo (SUNY).
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