Édition du 12 novembre 2024

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États-Unis

Le Trésor américain accusé d’avoir vendu le monde aux banquiers

Lorsqu’il a obtenu ce mémo [PDF], l’écrivain et journaliste d’investigation américain Greg Palast « n’arrivait simplement pas à y croire ». Selon lui, ce document – qu’il affirme authentique – est digne des pires théories complotistes : « A la fin des années 1990, les hauts fonctionnaires du Trésor américain ont conspiré en secret avec une petite cabale de gros bonnets du secteur bancaire pour tailler en pièces la régulation financière dans le monde entier. »

tiré du site Rue89|23-08-2013

Greg Palast ne précise pas comment il a authentifié le document, mais avec sa longue carrière d’enquêteur pour des cabinets d’audit anti-trust et anticorruption, et de nombreuses investigations pour la BBC, The Observer et The Guardian, il ne fait aucun doute que ses preuves sont solides.

Une cabale politico-financière

Ce mémorandum ne serait donc rien de moins que la genèse de la crise financière mondiale et du « sang et des larmes » qui en ont coulé.

Daté du 24 novembre 1997, son auteur Timothy F. Geithner écrit à son « boss », le secrétaire adjoint au Trésor américain, Larry Summers, à propos des dernières tractations à l’OMC :

« Alors que nous entrons dans la dernière ligne droite des négociations à l’OMC sur le commerce des services, je pense que ce serait une bonne idée pour vous d’en toucher un mot avec les PDG des principales banques et sociétés boursières qui ont suivi de près les négociations. »

Timothy Geithner transmet ensuite la liste des numéros des cinq PDG les plus puissants de la planète (d’alors) : Bank of America, Goldman Sachs, ou encore JP Morgan figurent au tableau.

Le but de ces entretiens téléphoniques : préparer la dérégulation – ou ouvrir la boîte de Pandore, selon le point de vue.

Geithner assure ensuite que les estimations quant au succès des négociations peuvent être – « prudemment » – interprétées comme étant « optimistes ». Il ajoute que les entreprises du secteur sont « largement satisfaites avec les grandes lignes de l’accord ».

Acte I : briser la régulation

De quoi ont-ils tous discuté après, le mémo ne le précise pas. Mais Greg Palast explique la suite des évènements qu’il présente comme un « coup d’Etat financier global » pour déréguler d’un seul coup toutes les banques à travers le monde – et les placer sous la domination des vautours américains.

Il fallait d’abord briser le mur entre banque de dépôt et banque d’investissement instauré par le Glass-Steagall Act de 1933 – et censé empêcher une nouvelle « Grande Dépression ». Cela tombe bien : en 1997, le mur est déjà très poreux et les exceptions à la règle pleuvent.

Le Trésor américain, de son côté, fait rempart à toute tentative de régulation des produits dérivés financiers. Dans la foulée, le président Clinton déclarera que la loi « Glass-Steagall Act n’est plus appropriée ». Deux ans plus tard, son abrogation signifiera le début du règne de la dérégulation financière.

Acte II : briser les frontières

L’acte deux est plus délicat et franchement machiavélique, comme l’explique le journaliste :

« Mais pourquoi donc transformerait-on les banques américaines en casinos à produits dérivés si l’argent s’enfuit vers des nations où les lois bancaires sont plus sûres ? La réponse conçue par le top 5 bancaire : éliminer les contrôles sur les banques dans toutes les nations de la planète – d’un seul coup. C’était aussi brillant que terriblement dangereux. »

Le Trésor américain à la solde du lobby bancaire s’est donc servi des négociations sur le nouvel accord de l’OMC. L’Accord général sur le commerce des services (AGCS) sera conclu en décembre 1997, un mois après le mémo, et entrera en vigueur en 1999.

Alors que l’OMC ne prenait en compte jusque-là que les marchandises, l’AGCS pave la voie au commerce d’instruments et actifs financiers qui seront largement responsables de la crise actuelle.

La boîte de Pandore est maintenant grande ouverte :

« Parmi les célèbres transactions légalisées : Goldman Sachs (le secrétaire du Trésor Rubinen avait été vice-président) a travaillé avec la Grèce sur un swap d’obligation qui, finalement, a détruit cette nation.

L’Equateur, une fois son secteur bancaire dérégulé et démoli, a été ravagé par des émeutes.

L’Argentine a dû vendre ses entreprises pétrolières et ses réseaux d’approvisionnement en eau alors que ses professeurs cherchaient leur subsistance dans les poubelles. »

Les joueurs, eux, n’ont pas connu la crise

Pour l’auteur, Larry Summer est le « serpent » et Geithner son « valet » chargé de « transformer les accords en bélier pour les banquiers ». Comble du cynisme, il souligne le parcours professionnel des différents acteurs impliqués dans la manœuvre :

•Robert Rubin, secrétaire au Trésor en 1997, a pris la tête du Citigroup dont la création a été permise par la dérégulation de la finance. Alors que cette « monstruosité financière » a coulé en 2008 suite à une chute de son action de 70%, Rubin a tiré son épingle du jeu avec 100 millions d’euros sous le bras ;

•Larry Summers remplace son mentor Robert Rubin à la tête du Trésor américain sous l’administration Clinton. Il prend ensuite la tête de Harvard tout en travaillant en tant que conseiller pour des « hedge funds » et en donnant des conférences à 135 000 dollars pour JP Morgan, Goldman Sachs et d’autres, acroissant sa fortune de quelque 23 millions d’euros. Il devient en 2009 un des conseillers spéciaux d’Obama et prend la tête du Conseil économique national. Il est maintenant pressenti pour prendre la tête de la Réserve fédérale américaine.

Greg Palast relativise cependant l’importance du mémo :

« Est-ce que tout ce mal et cette souffrance proviennent d’un seul mémo ? Non, bien entendu : le mal était la partie elle-même, jouée par la clique des banquiers. Le mémo révèle seulement leur tactique de jeu pour mettre échec et mat. »

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