Édition du 17 décembre 2024

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Canada

Le Nouveau Parti Démocratique au Québec : en état de mort cérébrale

Le constat n’est pas nouveau, mais il se confirme de scrutin en scrutin, à l’exception notable de celui de 2011 où, sous la direction de Jack Layton, il avait réussi à faire élire 103 députés (dont 59 au Québec), un exploit demeuré sans lendemain ; il s’explique par le fait que Layton était né au Québec, qu’il en comprenait l’importance stratégique et qu’il avait résolu d’y percer coûte que coûte. Il a donc déployé dans ce but les efforts nécessaires de 2003 à 2011 et le résultat a été probant. Pour la première fois de son histoire, le parti social-démocrate canadien a pu former aux Communes l’Opposition officielle.

Hélas, son décès prématuré le 22 août 2011 a brisé l’espoir d’un enracinement durable au Québec, au grand soulagement inavoué des libéraux, des conservateurs et des bloquistes.

Ses successeurs ne se sont pas montré à la hauteur de leur prédécesseur : tout d’abord, Thomas Mulcair, un ancien ministre libéral provincial québécois de l’Environnement dans le cabinet Charest, situé au centre-droit de l’échiquier politique qui a laissé filer l’appui de bon nombre d’électeurs et d’électrices canadiens au profit du Parti libéral de Justin Trudeau lors du scrutin de 2015 ; leur priorité consistait à chasser du pouvoir du gouvernement réactionnaire de Stephen Harper.

Le successeur de Mulcair fait encore pire au Québec par la suite puisque le NPD a continué sur sa pente descendante et s’y est retrouvé en fin de compte avec un seul député, l’indélogeable Alexandre Boulerice qui représente la circonscription de Rosemont-La-Petite-Patrie.

Il fait office à la fois de lieutenant québécois de Singh et de caucus du Québec. Il possède un bon sens de la stratégie politique, mais il est ligoté par la discipline de parti. Il ne semble pas avoir une influence déterminante sur la direction du parti. Pourtant, le Québec compte le plus grand nombre de comtés au Canada tout de suite après l’Ontario.

Malgré cette donnée cruciale, l’actuelle direction du NPD a de toute évidence renoncé à essayer de renouveler la performance de Layton ; elle préfère laisser Boulerice faire de la figuration. Singh, lui, bénéficie de l’appui de la majorité des membres, vu ses positions multiculturalistes qui rejoignent sa base canadienne-anglaise, et ses origines sikhes. Il tient le discours qu’elle veut entendre et défend les orientations idéologiques qu’elle affectionne. Il serait intéressant de savoir ce qu’en pense Alexandre Boulerice...

Cette adhésion idéologique de la masse des partisans néo-démocrates empêche les militants et militantes les plus clairvoyants de secouer le cocotier du parti, c’est-à-dire de le convaincre (comme avait su le faire Layton) de déployer les efforts nécessaires pour conquérir le Québec. Il importe de contester certains dogmes du parti comme la relative centralisation fédérale par rapport aux provinces (il lui faudrait réexaminer sa position, pareille à celle des libéraux, sur le régime d’assurance-dentaire), son opposition à la loi 21, mesure législative à laquelle une bonne majorité des Québécois et Québécoises est attachée. La position de Singh par rapport à la clause dérogatoire consiste à soutenir une éventuelle démarche du gouvernement Trudeau auprès de la Cour suprême pour "encadrer" ou "baliser" cette disposition constitutionnelle, ce qui revient à l’affaiblir. Déjà qu’elle fait partie d’une constitution adoptée par Ottawa et les provinces anglophones malgré l’opposition du Québec, cette attitude ne facilite pas rapprochement du parti de l’électorat québécois francophone.

Jagmeet Singh a transformé le NPD en appendice parlementaire du gouvernement libéral minoritaire, qui en effet se maintient aux commandes grâce à lui. Il peut donc retirer sa confiance au cabinet Trudeau n’importe quand et provoquer sa chute, mais agir ainsi équivaudrait à scier la branche sur laquelle il se tient. En renonçant aux efforts requis pour percer au Québec, les néo-démocrates se condamnent à l’opposition perpétuelle.
Il n’existe pas d’incompatibilité entre l’électorat québécois et le grand parti social-démocrate à Ottawa. Son incapacité persistante à vaincre au Québec tient avant tout à l’incompréhension qu’il démontre à l’endroit du nationalisme québécois ; s’il se mettait à l’écoute des revendications nationales des Québécois et Québécoises, cela lui permettrait de se connecter à l’importante frange nationaliste de la société du Québec, une corde qu’ont su si bien faire jouer les libéraux fédéraux pendant longtemps. Cette stratégie a contribué à assurer leur hégémonie politique dans la "Belle province" durant plus des trois premiers quarts du vingtième siècle, à quelques périodes près Il ne suffit pas de proposer de loin des mesures progressistes pour rallier une proportion significative d’électeurs et d’électrices québécois. Un facteur d’identification national et culturel est aussi nécessaire.

Au fond, les néo-démocrates commettent la même erreur que celle de beaucoup de socialistes dans le monde : sous-estimer le poids de la dimension nationale au profit des éléments socio-économiques, le nationalisme étant considéré par eux comme une manipulation bourgeoise, un discours de diversion.

C’est bien connu, à l’étranger c’est du nationalisme et chez soi, c’est du patriotisme. Le nationalisme "canadian" n’est pas vu comme tel mais comme une norme de rassemblement allant de soi ; le double standard inconscient, quoi.

Jean-François Delisle

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