Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Le Festival de la décroissance conviviale dans la forêt Steinberg

Lucide, sans pessimisme, la militance dresse le bilan des luttes

On connaît l’organisation citoyenne Mobilisation 6600 du quartier Hochelaga Maisonneuve à Montréal pour sa lutte acharnée pour la transformation en parc nature de l’immense friche L’Assomption, assemblage contigu de plusieurs composantes (l’ancienne cour de triage du CN devenue une mini-forêt poussant à travers les rails, l’ancienne usine Canadian Steel Foundries achetée par Raymond Logistique qui a rasé la forêt naissante pour une plateforme de containers, la « forêt Steinberg » devenu emboisée depuis longtemps avec ses milieux humides vestiges du ruisseau Molson et le petit boisé Vimont devenu la forêt enchantée des enfants).

Depuis des années de lutte sans relâche, Mob6600 a créé des liens avec d’autres groupes menant des combats semblables et avec le mouvement écologique dans son ensemble. Son noyau militant s’est intéressé à la théorie écologique, à l’analyse des luttes écologiques et à leur stratégie. Telle était la raison d’être du Festival de la décroissance conviviale organisé dans la forêt Steinberg sur toute la journée du samedi 1er juin. La cinquantaine de gens y participant ont écouté et discuté avec des militants et militantes du groupe de recherche Polémos, de l’IRIS, de Rage climatique, de Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC) et de Mob6600. Ont clos la journée des conférences de Yves-Marie Abraham de Polémos à propos de « l’esquisse géographique d’un monde post-croissance » et de Dalie Giroux sur les « figures de gratuité » que j’ai ratées pour cause d’un vieux corps qui demandait son dû.

Incompatible avec le capitalisme, la décroissance exige quel mode démocratique ?

Louis Marion de Polémos a théorisé la décroissance comme signifiant produire moins, partager plus et décider ensemble. La décroissance implique une sortie du capitalisme du simple fait du partage et de la décision collective. Plus fondamentalement, aurait-t-il pu préciser, la croissance est inhérente au capitalisme. La compétitivité entre capitaux, aujourd’hui titanesque, conduit inéluctablement à leur accumulation par leur nécessaire réalisation en argent sonnant afin de recommencer à une plus grande échelle un cycle sans fin faute de périr par la banqueroute. Tel est le fondement de la consommation de masse, de la course aux armements et de plus en plus de la gargantuesque ingénierie de la résorption des GES. Dans une société de décroissance, la relation entre les gens primera sur celle vis-à-vis les choses dont la propriété combinera des droits conjoints tout en éliminant le droit de nuire implicite à l’exclusive propriété capitaliste.

Les choix politiques du décider ensemble s’élargiront à l’économie et à la technique. C’est là la planification démocratique. Reste en suspens les formes de la démocratie. Le conférencier récuse l’anarchie car même l’organisation confédérative ne règle pas la question clef de l’arbitrage entre base et sommet. L’État demeurerait nécessaire car il faudra que les experts éclairent les assemblées délibératives. Il me semble qu’il y a ici un danger d’un platonicien « gouvernement des sages » manipulateur. Ne serait-ce pas la dynamique de l’affrontement des partis qui aurait la capacité de corriger les erreurs des décisions collectives en autant que la dictature de quelque sage ne vienne la contrer ? Faire l’hypothèse que les assemblées populaires ne puissent adéquatement prendre en compte les intérêts des générations futures et de la nature ne révèle-t-il pas un préjugé de « sage » ? On peut penser que la sagesse collective sans cesse réajustée résultera en davantage de services publics et d’agriculture biologique et beaucoup moins d’énergivore production matérielle assise sur la sobriété, la consommation collective, la durabilité et la réparabilité.

Les mythiques croissance verte et économie circulaire contournent la difficulté

Ambre Fourrier aussi de Polémos a tâché de déboulonner les mythes de la croissance verte et de l’économie circulaire. Toutes les études démontrent que le découplage absolu entre croissance du PIB et croissance des GES sur le long terme et pour une proportion significative de la population mondiale est inexistant, y compris pour le « modèle » norvégien, malgré la croissance du rapport services versus produits tangibles, la prétention à l’intégration des externalités dans les coûts de production et surtout la légende urbaine de l’innovation technologique substituant l’immatériel au matériel. En plus, il faudrait mesurer le découplage non seulement par rapport aux réducteurs GES mais à l’incommensurable biodiversité. Il n’y a là rien de surprenant puisque le capitalisme prédateur ne se distingue pas par la rareté des produits mais par un trop-plein consumériste accaparé par certains, le 1%, le 10% et même jusqu’à un certain point le 40% de la dite classe moyenne, aux dépens de la majorité d’où l’apparence de rareté.

Si l’économie circulaire demeure une solution en dernière instance, elle est une fausse solution de prime abord. La production de masse et celle d’armements, circulaire ou non, reste un problème à résoudre. La minimisation des coûts pour fabriquer un produit technologiquement complexe (plastique, batterie) n’en fait pas un produit inhéremment ni facilement recyclable ni sans production minimum de déchets au cours de son processus de production, et ni durable. Tant le recyclage du produit final que celui des déchets, en autant qu’ils sont possibles, en deviennent énergivores et polluants. Le conte de fées de l’économie circulaire tricote une liaison fantaisiste avec le mode de production autochtone tout en permettant de dépolitiser l’économie c’est-à-dire de justifier le statu quo du tout marché et la prééminence des entreprises maîtresses du processus. Le recyclage n’est-il pas une invention de l’industrie du plastique ? Il ignore le principe scientifique de l’entropie qui prouve l’inéluctabilité de la dégradation de la production matérielle. Il reste silencieux sur la rigidité des filières du recyclage face au continuel changement des produits finaux, conséquence réellement existante de l’innovation technologique compétitive du capitalisme.

La coalition décroissanciste a besoin de la lutte des classes pour vaincre

Colin Pratte de l’IRIS a été frappé par l’absence de la référence à la lutte des classes de la part des penseurs de la décroissance tout en constatant la grande méfiance du monde du travail vis-à-vis cette idée. Il y voit deux explications. Le point d’entrée de la compréhension de la réalité des penseurs de la lutte des classes est le monde du travail où traditionnellement a été confinée la lutte des classes. Les tenants de la décroissance appréhendent plutôt la réalité par le biais des conditions d’existence, de la reproduction sociale, de l’écosphère. En résultent deux imaginaires opposés conduisant les uns vers le monde prométhéen du productivisme et les autres vers l’idéalisation du bucolisme. L’écosocialisme a beau tenter une réconciliation des deux imaginaires, il n’en découle pas la disparition de la méfiance ouvrière vis-à-vis le décroissancisme.

Cette contradiction a engendré une alliance de classe particulière, celle des intellectuels organiques de l’écologie avec la catégorie sociale des personnes exclues du système, en particulier les autochtones et les paysans surtout dans les pays dépendants, mais aussi le peuple travailleur en tant que villageois et résident de quartiers. Toutefois, sans l’apport de la classe ouvrière organisée sur les lieux de travail, cette alliance ne saurait remporter de victoires stratégiques pour lesquelles il faut un mouvement gréviste touchant l’appareil productif d’où origine le profit. Après tout, les millionnaires du monde, soit le 1%, grèveront au rythme actuel 75% du budget carbone restant pour ne pas hausser de façon pérenne de 1.5°C la température terrestre par rapport à l’époque préindustrielle. La lutte climatique est donc une lutte de classe. Ce sont ces millionnaires et milliardaires qui imposent cette consommation de masse qui, même réduite au seuil de pauvreté, ferait que l’ensemble de la population québécoise consommerait quand même deux fois plus de ressources naturelles que le minimum requis.

Comment convaincre le prolétariat organisé d’entreprendre cette lutte pour la survie de l’humanité mais qui paraît dans l’immédiat menacer son niveau de vie et même son emploi ? C’est la question que le conférencier a posé aux petits ateliers de quinze minutes après sa conférence. On a proposé des nationalisations, en particulier de Northvolt, le recyclage des emplois, le revenu de base garanti, le revenu maximum, même le rationnement comme lors de la Deuxième guerre mondiale. A aussi été proposée la baisse du temps de travail tout en expliquant que baisse du niveau de vie n’équivaut pas à baisse du niveau de bien-être si, par exemple, le prolétariat habite des logements collectifs de qualité dans des « quartiers 15 minutes » desservis par une infrastructure adéquate de transport actif et de transport en commun gratuit et fréquents jusqu’au moindre village.

Mobiliser tous les niveaux politiques et entreprendre la conquête des syndiqué-e-s

Cette deuxième conférence s’est terminée par un panel de militantes et militants de Rage climatique, des TJC et de Mob6600. On a constaté des modes d’organisation fort différents allant du mode anarchiste sans adhésion formelle ni mécanisme de fonctionnement collectif, sans même de direction élue, de Mob6600 jusqu’à celui démocratique traditionnelles des TJC en passant par celui en comités de travail, particulièrement sur Northvolt, de Rage climatique avec décision consensuelle en assemblées générales. Mob6600 pratique la diversité des tactiques pour s’adapter aux divers niveaux politiques allant de pétitions à des blocages en passant par des manifestations et une abondance d’activités culturelles qui sont presque sa marque de commerce. Rage climatique, constatant l’insuffisance du BAPE pour arrêter Northvolt, participe et pousse au blocage.

TJC, pour gagner les syndicalistes de l’éducation, secteur plus favorable aux luttes climatiques, mise sur la discussion lors des assemblées syndicales pour soit inclure une clause climatique dans les conventions ou initier une campagne « Sortir du gaz » des lieux de travail. Dans les milieux syndicaux plus difficiles à pénétrer, il faut miser sur le respect mutuel entre collègues et sur la rigueur démocratique des assemblées. Une travailleuse de Bombardier, membre des TJC à cause de l’avenir de son enfant, sera plus écoutée par ses collègues comme elle impliqués dans la fabrication de jets privés, peut-être le pire produit anti-climat qui soit. Le projet TJC d’états généraux sur l’éducation vise à poser la question cruciale de la formation de la jeunesse pour s’adapter au monde tel qu’il est ou pour le transformer de fond en comble. Plus fondamentalement se pose la question de la possibilité de transformer une organisation syndicale fort bureaucratisée ou la contourner.

Il y a loin de la coupe aux lèvres surtout quand dérape le soutien politique

Comment Mob6600 peut-il vaincre la grande coalition étatique-patronale du Port de Montréal sous juridiction fédérale et avec un conseil d’administration à majorité patronale, de Raymond Logistique, du gouvernement québécois et de la Ville de Montréal sans l’appui proactif jusqu’à la grève du syndicat des débardeurs et de la gent étudiante du Cégep Maisonneuve ? Comment Rage climatique peut-il arrêter la transnationale Northvolt ou changer sa vocation, celle-ci étant appuyée par les transnationales de l’automobile avides de batteries et étant soutenue par de les subventions milliardaires d’Ottawa et de Québec ?

Un peu au bout du rouleau lors de ce panel final, je n’ai pas été assez prompt pour souligner le grand oublié de la discussion soit la promotion de la décroissance sur la scène proprement politique ce qui devrait être la responsabilité de Québec solidaire. Bien que le comité de coordination élargi de la circonscription d’Hochelaga-Maisonneuve de Québec solidaire, où se situe la forêt Steinberg, ait proposé l’amendement d’ajouter au nouveau simili-programme Solidaire, dite Déclaration de Saguenay, la promotion de « la décroissance de la surproduction », celui-ci fut battu. De même fut défait l’amendement que l’usine Northvolt donne la priorité à la production de batteries pour le transport en commun alors que l’on sait que selon l’IRIS « [l]’Agence internationale de l’énergie prévoit qu’en 2030, 90 % des batteries produites dans le monde alimenteront des automobiles individuelles et seulement 3,5 % propulseront des autobus. »

Jusqu’où ira le recentrage centregauche à la NPD du grand parti de la gauche québécoise ?

Marc Bonhomme, 3 juin 2024
https://www.marcbonhomme.com

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