Le défi
Or sous l’égide de l’État canadien, les peuples qui habitent le territoire ont un sacré défi devant le gouvernement Harper. Plusieurs le disent, ce n’est pas un gouvernement « ordinaire » en comparaison avec les gouvernements qu’on a connus ces dernières décennies. Dans le passé, il y avait comme on s’en souvient une sorte d’alternance entre divers partis de centre-droit, certains plus au « centre (le Parti Libéral notamment) et d’autre plus à droite (le Parti « progressiste-conservateur », l’ancêtre du PC actuel). Aujourd’hui, Harper et son cercle rapproché veulent sortir de ce système et restructurer le Canada résolument et complètement à droite. Pour cela, il faut isoler et vaincre plusieurs adversaires, dont le mouvement syndical. C’est ce qui explique la stratégie actuelle du gouvernement et de ses alliés.
La bataille de l’Alberta
Le gouvernement de l’Alberta où se trouve l’épicentre si on peut dire du (néo)conservatisme canadien a adopté en décembre passé deux projets de loi qui ni plus ni moins enlèvent au secteur public le droit de négocier. Il faut dire que ces employés avaient déjà perdu le droit de grève en 1977, mais ils avaient, jusqu’aux dernières lois, le droit de recourir à l’arbitrage exécutoire, ce qui leur donnait une petite marge de manœuvre. Or c’est justement cela qu’ils viennent de perdre avec la nouvelle législation. C’est ainsi que le principal syndicat de la fonction publique (Alberta Union of Provincial Employees AUPE) doit répondre à la proposition patronale qui inclut un gel de salaires de deux ans. S’il n’y a pas d’entente, il n’y aura pas d’arbitrage et la proposition du gouvernement sera imposée. Selon le président de l’AUPE Guy Smith, c’est comme si « le gouvernement déposait un bâton de baseball sur la table de négociation ». Fait à noter, le gouvernement pourra imposer des amendes de $1000 à $250 000 au syndicat en cas de grève « illégale ». Pire, le gouvernement peut imposer des amendes à des individus ou des entités en dehors du syndicat qui soutiendraient l’action des syndicats ! La Fédération albertaine du travail (145 000 membres), de même que l’AUPE, contestent les nouvelles lois devant les tribunaux, car elles violeraient la Charte canadienne des droits et libertés. Elles ont également lancé une campagne publicitaire pour expliquer les enjeux au grand public.
Assaut tout azimut
Pendant que les conservateurs albertains foncent, le gouvernement fédéral s’est également lancé à l’assaut des syndicats qui œuvrent selon une charte fédérale ou encore qui relèvent du gouvernement fédéral directement ou indirectement. En 2011 et 2012 ainsi, la ministre du travail Raitt a ni plus ni moins forcé trois syndicats représentant les travailleurs et travailleuses d’Air Canada à accepter les offres patronales en menaçant de légiférer l’interdiction de la grève (projet de loi C-333). En mai 2012, Ottawa a fait la même chose en brisant la grève des employé-es de Canadien Pacifique qui refusaient les coupes sombres dans leurs régimes de pensions. Le pire est venu dans le cadre d’un conflit opposant le Syndicats des travailleurs et travailleuses des postes (STPP) et Postes Canada (été 2011) et où une loi a imposé un « règlement » salarial inférieur à celui qui était proposé par Postes Canada au début du conflit ! Depuis comme on le sait, Harper veut pratiquement démanteler Postes Canada. On pourrait mentionner également d’autres mesures prévues et en cours pour mettre le syndicalisme au pied du mur, tel le projet de loi C-377, présenté par un député conservateur qui voudrait forcer les syndicats à révéler leurs budgets et actifs financiers, soit disant pour empêcher les « abus » et l’utilisation « politique » des fonds syndicaux. Cette manœuvre menée en douce par le bureau du Premier Ministre serait un emmerdement de plus pour le mouvement syndical. (1)
La fin de la formule Rand est envisagée
Au Canada après la deuxième guerre mondiale, les syndicats ont obtenu le droit de représenter les travailleurs et travailleuses selon la formule élaborée par le juge Rand. Actuellement, un député conservateur très à droite, Pierre Poilièvre, (également ministre de la « réforme démocratique ») affirme que cette formule Rand est « dépassée ». Il suggère à demi-mots qu’il est temps de « libérer les gens de la tutelle syndicale ». L’idée est de faire comme aux États-Unis avec des législations de type « right-to-work », qui permettent aux employé-es d’une entreprise syndiquée de ne pas payer leur cotisation s’ils pensent qu’elle sert à autre chose que la négociation dans l’entreprise et éventuellement, de se retirer purement et simplement de l’accréditation syndicale qui devient alors un choix « individuel ». Ce point de vue extrême est tristement repris par le chroniqueur de droite du Journal de Montréal, Benoît Aubin, qui pense comme les « lucides » que le problème au Québec, c’est que les syndicats sont « trop forts ». Aux États-Unis, les syndicats représentent moins de 5 % des travailleurs du secteur privé et à peine un peu plus dans le secteur public, alors que les taux de syndicalisation au Canada sont de 16 % (secteur privé) et de 70 % (secteur public). Évidemment, la désyndicalisation qui surviendrait inévitablement de la fin de la formule Rand aurait des conséquences dramatiques sur le rapport de forces entre les employeurs et les syndicats. Pour le moment, on n’est pas rendus là, mais si jamais les Conservateurs gagnent les prochaines élections, on pourrait s’attendre à d’autres changements « révolutionnaires » dans la législation et la conduite des relations de travail.
Convergences syndicales légitimes et nécessaires
Il faudra toute une mobilisation à une grande échelle pour s’opposer au « bulldozer » Harper. Le FSP arrive alors au bon moment pour permettre de faire le point et d’identifier des éléments de stratégie. C’est ce qui explique que les principales organisations syndicales du Québec et de ROC sont au rendez-vous.
(1) Voir à ce sujet l’analyse détaillée de Serge Denis, Le gouvernement Harper et le monde du travail : ‘réforme ou révolution’ ?, à paraître prochainement dans l’ouvrage « Capital et travail à l’ombre de la révolution Harper », M Éditeurs.