Même si les causes exactes de l’incendie restent à être déterminées, il
est clair que la lourde perte de vies humaines est due à l’absence de
gicleurs dans la partie la plus vieille de la résidence, bâtie en 1997.
Alors que la partie la plus vieille de la résidence en bois de trois
étages a été rapidement dévorée par les flammes, rendant impossible
l’évacuation des résidents peu mobiles, la partie la plus récente de la
résidence, bâtie en 2002 et équipée de gicleurs, a subi peu de dommages
suite à l’incendie.
Pendant des décennies, des pompiers, des coroners et des analystes
expérimentés ont cherché à convaincre le gouvernement de rendre les
gicleurs obligatoires dans toutes les résidences pour aînés, mais le
gouvernement a refusé en citant les coûts qui en découleraient.
Et même aujourd’hui, après la tragédie de l’Isle-Verte, le gouvernement
péquiste maintient que la question doit encore être étudiée.
Entre-temps, des informations ont filtré montrant qu’au cours des
dernières années, les propriétaires de résidences pour aînés et le
gouvernement du Québec ont travaillé de concert pour réduire les normes
de sécurité et les coûts de fabrication des bâtiments. La priorité n’est
pas la sécurité des résidents et des employés, mais plutôt que les
personnes âgées soient hébergées au moindre coût avec la possibilité
d’en retirer un profit. Tout cela a contribué au désastre.
De nombreuses études ont montré l’efficacité des gicleurs à ralentir la
progression des incendies. L’Association américaine de la protection
contre les incendies (US National Fire Protection Association) a fait
savoir que ses dossiers montrent que pas plus de deux personnes sont
mortes lors d’incendies dans des bâtisses résidentielles,
institutionnels ou pour enseignement qui sont complètement équipées de
gicleurs.
Pourtant au Québec, /où un grand nombre de personnes âgées vivent dans
des bâtisses en bois, le gouvernement n’exige des gicleurs que dans les
résidences de quatre étages ou plus, ou bien là où vivent des personnes
jugées en perte d’autonomie. /
Trente-sept des résidents à la résidence de l’Isle-Verte étaient âgées
de 85 ans ou plus, certains souffraient de l’Alzheimer, la plupart
utilisaient une chaise roulante, mais le gouvernement n’a pas exigé de
gicleurs parce que les résidants étaient jugés « semi-autonomes ».
Selon le président de l’Association des chefs en sécurité incendie du
Québec, Daniel Brazeau : « Un gicleur équivaut à la présence d’un pompier
au coeur du foyer d’un incendie dès les premiers instants. Cela permet
de contenir l’élément destructeur en attendant l’entrée en action des
premiers intervenants. »
Daniel Perron, le président de l’Association des chefs de pompiers du
Québec a déclaré, lors d’une entrevue téléphonique à Post Media : « Nous
parlons depuis des années de gicleurs. Nous sommes exaspérés par la
situation... Nous avons demandé (des lois pour les gicleurs) pendant des
années, mais nos penseurs, nos décideurs, ils finissent par trouver des
choses qui nous ralentissent ».
Il a cité la classification des personnes âgées en personnes « autonomes »
et « semi-autonomes » comme un exemple. « Même si elles peuvent utiliser
une fourchette et se nourrir elles-mêmes », a expliqué Perron, « ça ne
veut pas dire qu’elle peuvent sauter du lit s’il y a un incendie la nuit ».
Perron a dit que faire la promotion des gicleurs au Canada, c’est « comme
être un prêtre : on a beau prêcher, beaucoup de gens vont encore en
enfer ». Selon /La Presse/, 976 des 1953 résidences privées pour aînés de
la province possèdent une charpente faite entièrement en bois. Sur les
976, 699 n’ont aucun système de gicleur. Autrement dit, 36 pour cent des
résidences privées pour aînés sont fabriquées entièrement en bois et
n’ont pas de gicleurs.
Un comité de travail interministériel avait été mis sur pied par le
gouvernement libéral précédent pour adopter un nouveau règlement sur la
certification des résidences pour aînés et établir de nouvelles normes
de sécurité. L’Association des chefs en sécurité incendie et d’autres
groupes faisant partie de ce comité avait recommandé l’obligation
d’installer des gicleurs.
Selon André St-Hilaire, le président du comité de prévention de
l’Association des chefs en sécurité incendie du Québec, le gouvernement
s’interrogeait sur l’ampleur des investissements qu’une obligation
d’installer des gicleurs allaient entraîner. « C’était majeur comme
investissement, c’est clair. Alors il a été décidé de faire un comité de
travail sur la question des gicleurs. »
Quant aux résidences publiques, qui hébergent des gens qui ont besoin
d’assistance pour se déplacer, elles ne possèdent pas toutes des
gicleurs. « La majorité des CHSLD sont "giclés", mais quel est le
pourcentage exact ? Est-ce que c’est 80% ? 70% ? 90% ? J’ai demandé un
inventaire », a déclaré Réjean Hébert, le Ministre de la Santé et des
Services sociaux. C’est seulement depuis l’an 2000 que le gouvernement
prescrit l’installation de gicleurs lors de la construction de nouveaux
centres d’hébergement public, ou CHSLD.
Tandis que le gouvernement prétend « manquer d’argent », les propriétaires
des résidences pour aînés sonnent la même cloche. Selon Yves Desjardins,
président du Regroupement québécois des résidences privées pour aînés :
« En dessous de 16 résidants, la marge de profits des propriétaires est
souvent minime, voire inexistante. Les petites résidences ne pourront
pas payer pour tous ces changements. Et fermer des petites résidences
dans des villages, ça aurait un impact désastreux sur les aînés qui y
habitent. C’est bien de resserrer la sécurité. Mais il faut considérer
plusieurs éléments avant d’agir. »
La question des gicleurs semble être la pointe de l’iceberg.
En 2005, les critères ont été diminués pour l’installation de murs
coupe-feu. Si la nouvelle partie de la résidence du Havre avait été
construite après 2005, il est possible que l’incendie aurait été encore
plus dévastateur, car il semble que les coupe-feu en ciment ont
contribué à empêcher le feu de s’y propager.
Le ministre Hébert a admis cette semaine que le niveau de formation pour
les surveillants de nuit dans les résidences privés pour aînés allait
être abaissé dans le cadre d’une nouvelle législation adoptée avant la
tragédie.
Hébert prétend que l’intention du gouvernement était de n’appliquer ce
critère réduit qu’aux résidences pour aînés de moins de 50 personnes,
mais qu’une erreur avait été commise lors de la rédaction, et qu’il est
écrit qu’il pourrait s’appliquer également à de plus grandes résidences.
Même si Hébert dit la vérité, cette erreur ne fait que souligner la
négligence et l’indifférence du gouvernement.
« Il y avait un puissant lobby en faveur d’un assouplissement de cette
règle, mais j’ai résisté », a prétendu Hébert. « Nous n’accepterons pas de
compromis quand il s’agit de la sécurité des gens et de la qualité des
services. »
La tragédie de l’Isle-Verte démontre, toutefois, que les gouvernements
péquistes et libéraux ont compromis la sécurité des gens.
De plus, Hébert a admis qu’il s’est plié aux demandes des résidences
pour ainés dans les petites communautés qui disaient avoir besoin de
réduire leurs coûts.
« Elle ont soutenu qu’elles n’avaient pas besoin d’employé de nuit. Ce
pourrait être un résidant ayant reçu une formation pour faire face aux
urgences, et on a accepté », a dit Hébert. « Autrement ces résidences
auraient été forcées d’augmenter leurs tarifs ou même être décertifiés,
ce qui aurait été contraire à nos objectifs ».
Lors de la nuit de la tragédie à l’Isle-Verte, seulement deux employés
travaillaient, conformément aux normes en vigueur. Selon les reportages
de presse, ils ont fait de vaillants efforts pour venir en aide aux
résidents, cognant à leurs portes alors que le feu et la fumée
envahissaient la bâtisse.
Mercredi, Hébert refusait toujours d’engager son gouvernement à exiger
que toutes les résidences pour ainés soient munies de gicleurs, disant
que ça pourrait coûter jusqu’à 80 millions de dollars. « Ce n’a pas été
fait parce que c’est un problème complexe. ... L’installation de
gicleurs dans une bâtisse existante est une rénovation majeure. »
Le refus de rendre les gicleurs obligatoires et de règlementer les
résidences pour ainés vise à protéger les profits de leurs propriétaires
et à garder un faible niveau de taxes sur la grande entreprise et les
riches. Ce refus a causé une série d’incendies mortels dans les
résidences pour ainées sans parallèle dans le monde capitaliste avancé.
Il y a eu l’incendie à une résidence pour aînés de Notre-Dame-du-Lac,
Québec, en 1969, causant la mort de 54 personnes ; un incendie à Petty
Harbour, Terre-Neuve, causant la mort de 21 personnes âgées en 1976 ; un
incendie à Mississauga, Ontario, en 1980 qui causa la mort de 25
personnes ; et un incendie à une résidence pour retraités à Orillia,
Ontario, qui causa la mort de quatre personnes et de graves blessures à
six autres.