Il se présente sur une plateforme radicale qui reconnaît l’urgence écologique comme une menace existentielle et le capitalisme et le militarisme comme obstacles implacables aux solutions nécessaires. Il propose une réponse écosocialiste en commençant avec la socialisation immédiate du secteur de l’énergie et, à plus long terme, l’exploitation minière, la sylviculture, la pêche et les transports. Il s’engage à tout mettre en œuvre pour réduire à zéro les émissions nettes de carbone d’ici 2030 ou 2040 au plus tard. Il affirme par ailleurs qu’il serait erroné de laisser au NPD le titre du parti des travailleurs et travailleuses. Pour en faire la démonstration, il avance une série de propositions pour les droits des travailleurs incluant entre autres un salaire vital de 20 $ l’heure, l’amélioration de l’accès à la syndicalisation prévu au Code canadien du travail, un meilleur accès à la résidence permanente pour les travailleurs migrants temporaires et une législation obligeant les entités commerciales à maintenir un rapport de rémunération ne dépassant pas 10:1 entre les cadres et les employés. Il propose également une profonde réforme fiscale incluant une augmentation du taux d’imposition marginal à 75 % pour les revenus supérieurs à 500 000 dollars par an et une imposition à 100 % de la valeur nette des particuliers dépassant 500 millions de dollars.
Né en Ontario et avocat de formation, Lascaris est l’un de 8 prétendants dans la course, dont deux de Québec : M Lascaris lui-même, qui réside à Montréal depuis 2018, et Meryam Haddad, jeune avocate spécialisée en droit de l’immigration qui, elle aussi, vise à faire pencher le parti vers la gauche. Mme Haddad renonce au slogan adopté par le PVC pour les élections en 2019 « Ni à droite ni à gauche. Vers l’avant ensemble », faisant appel à une révolution « melon d’eau » - vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur. Sur son site web, on apprend qu’elle est également membre de Québec solidaire.
Au grand dam d’Elizabeth May, chef du PVC de 2006 à 2019, de nombreuses personnes ont adhéré au parti dans les derniers temps précisément pour appuyer des candidats et candidates particuliers, ce qui est certainement le cas avec M Lascaris, dont la candidature suscite un vif intérêt de la part des gens de gauche à travers le Canada et le Québec.
De dire Radhika Desai, professeure au Département d’études politiques de l’Université du Manitoba à Winnipeg et membre de l’équipe de campagne de M Lascaris, l’enthousiasme que suscite sa campagne témoigne d’une soif pour une transformation sociale profonde et une recherche d’alternatives au menu politique bien conventionnel.
« Dimitri est certes une personnalité charismatique et il a un programme très crédible et bien pensé qui mérite le plus grand appui. Cependant, je pense que sa campagne a pris une importance qui dépasse les limites de sa seule candidature, son programme ou même le Parti Vert. Le fait que plus d’une douzaine de milliers de personnes sont devenues membres du PVC, y compris – à en juger par de nombreux cas que je connais personnellement — des néo-démocrates désabusés et de nombreux gens de gauche qui n’avaient jamais adhéré à un parti politique, démontre que les gens ont envie de changement radical et pensent que l’heure est venue. »
Le PVC, qui détient 3 sièges à la Chambre des communes, a gagné quelque 15 000 nouveaux membres grâce à cette course, pour un total de presque 35 000 membres répartis dans toutes les provinces avec une concentration plus forte en Ontario et en Colombie-Britannique.
Malgré leur préoccupation commune pour les changements climatiques et l’accélération de la transition vers les énergies renouvelables, les candidat.e.s à la chefferie du PVC sont loin d’être homogènes sur le plan politique. Deux des candidats, David Merner et Glen Murray, sont d’ailleurs d’anciens libéraux. Avant de se joindre au PVC, M Merner, qui est originaire d’Alberta et réside en C-B, était affilié au Parti libéral au niveau fédéral et provincial depuis 30 ans et s’est même porté candidat du parti à l’île de Vancouver dans l’élection fédérale de 2015. Pour sa part, M Murray, né au Québec, a déjà été maire de la ville de Winnipeg (le premier maire ouvertement gai au Canada) et plus récemment il a siégé comme ministre de l’Environnement sous le gouvernement libéral de Kathleen Wynne en Ontario de 2014 à 2017.
Il y également un candidat qui courtise les électeurs conservateurs : Andrew West, avocat à Ottawa, qui tient à maintenir ce qu’il qualifie comme l’orientation centriste du parti.
Perçue par certains comme la « front-runner » dans la course, la Torontoise Annamie Paul est une autre avocate de formation qui a fait carrière dans le domaine des affaires internationales. Femme noire de confession juive, elle incarne la diversité qui fait d’ailleurs sérieusement défaut au PVC. Selon une étude de l’Institut de recherche en politiques publiques, le PVC est avant-dernier en matière de la diversité de leurs candidat.e.s parmi les partis politiques au niveau fédéral, juste avant le Bloc Québécois. C’est une situation que Mme Paul vise à corriger ; elle s’engage à rendre le parti plus démocratique et plus inclusif autant au niveau des rôles de leadership du parti qu’à la base, en attirant « plus de jeunes, plus de personnes issues de groupes en quête d’équité et plus des gens de chaque région du pays ».
Diversité et démocratie sont également des engagements prioritaires de Mme Haddad, qui en tant qu’immigrante, femme de couleur et lesbienne elle aussi représente un départ du profil habituel de candidats verts, ainsi que d’un autre concurrent pour la direction du parti, Amita Kuttner, jeune astrophysicien.ne britanno-colombien.ne, qui s’auto identifie comme non-binaire et dont la plateforme inclut la décentralisation du pouvoir vers les gouvernements locaux , une réforme électorale étendue et l’abolition de la police.
Sur les 8 candidats, 4 sont des femmes. Outre Haddad, Paul et Kuttner, il y a aussi Courtney Howard, urgentologue à Yellowknife dans les territoires du Nord Ouest. Experte de renommée internationale en matière des impacts sanitaires des changements climatiques, elle met l’accent dans son discours et sa plateforme sur la santé de la civilisation humaine et les systèmes naturels sur lesquels elle dépend.
Les clivages politiques parmi les concurrents étaient particulièrement évidents à certains moments lors d’un débat sur la politique étrangère parrainé par le Canadian Foreign Policy Institute. Les divergences, pas toujours prévisibles selon l’axe droite-gauche, était bien en évidence dans les positions des candidat.e.s sur l’adhésion à l’OTAN et le groupe Lima, par exemple, ainsi que face à la proposition que le Canada devrait imposer des sanctions sur Israël.
Outre les désaccords politiques importants mêmes dramatiques parmi les candidat.e.s sur les questions comme les déficits, les dépenses militaires, et les meilleures stratégies pour gagner la confiance des électeurs et électrices, il y a de nombreuses orientations qui font largement consensus, dont l’impératif de décoloniser le Canada et de respecter pleinement les droits des peuples autochtones. Les candidats s’accordent généralement sur l’urgence de lutter contre les inégalités et sur la nécessité d’instaurer une forme ou une autre du revenu universel. Il y a bien sûr beaucoup de différences dans les détails de leurs approches aux enjeux qui sont présentées dans des plateformes individuelles étoffées.
Depuis sa création en 1983, le PVC n’a jamais réussi à se doter d’une base populaire au Québec. Dans la dernière élection fédérale, il a recueilli 1,1 million de votes ou 6,4% du scrutin populaire, mais seulement 4,5% au Québec - et ça représentait le double des appuis pour le parti par rapport à l’élection précédente. Avec cette course à la direction, par contre, l’intérêt du parti grandit parmi les Québécois-es à en juger par l’augmentation des adhésions. Il est à noter que tous les candidats sauf Andrew West s’expriment bien en français et soulignent l’importance pour le parti de communiquer en français à l’interne autant qu’à l’externe. Par contre, il y a peu d’informations publiques sur leurs positions par rapport à la question nationale.
Ce silence reflète peut-être le manque d’attention à cette question dans les documents officiels du PVC. Il faut remonter au programme électoral de 2015 pour trouver un texte qui fait référence au droit du peuple québécois à s’autodéterminer, mais qui est plus restrictif que ce que prévoyait Stéphane Dion. Lors de la dernière campagne électorale, Elizabeth May a laissé entendre que Pierre Nantel, ancien député du NPD, ne pouvait pas se présenter pour le parti s’il affichait ses convictions souverainistes. Mais elle a changé sa position et le parti a émis une déclaration indiquant que même si le PVC est un parti fédéraliste qui prône l’unité nationale, les souverainistes sont libres d’y adhérer. Commentant cet épisode après la démission de Mme May, le chef adjoint du parti, Daniel Green, a suggéré dans le journal Metro le 4 novembre 2019 que la controverse « a permis au reste du Canada de comprendre qu’au Québec, on peut être souverainiste et Vert ».
Dans l’actuelle course à la chefferie, la question de la souveraineté est plus abordée en termes de droits linguistiques et de reconnaissance de la diversité culturelle. Cependant lors du débat organisé par le Parti vert du Québec (entité qui est indépendante du parti fédéral), on a posé la question de la croissance du PVC au Québec et l’impression qui ressortait de la discussion qui s’en suivait est que la plupart des candidat.e.s se rallient à une vision d’un fédéralisme asymétrique qui reconnaît l’autonomie du Québec dans le cadre d’un partenariat fédéral. Pour Dimitri Lascaris, par exemple, le gouvernement fédéral doit permettre de pousser à sa limite l’autonomie des provinces et se contenter de rôle de coordination, dans le cadre d’une société progressiste. Annamie Paul, pour sa part, affirme être très sensible à l’autonomie pour le Québec comme société distincte. Mais elle place cette approche « flexible » envers le Québec au même niveau que celle envers les autres provinces et les municipalités.
C’est quand même le début d’une nouvelle ère pour le PVC et le parti se trouve devant un tournant décisif. Reste à voir s’il choisira de sortir de l’empreinte laissé par Elizabeth May. Si le courant représenté par Dimitri Lascaris, Meryam Haddad et Amita Kuttner parvient à prévaloir lors de cette élection historique, ce sera un signe qu’il y a un renouvellement réel dans la base qui ouvre la porte au lancement des fondements d’un vrai défi à la politique sociale-démocrate anémique du NPD. Il faut s’attendre bien sur à ce que l’Establishment du parti mobilise toutes ses forces pour garder le contrôle.
L’élection se déroule majoritairement en ligne et, démocratie oblige, on se fie au vote préférentiel pour s’assurer que le gagnant éventuel ait l’appui d’une majorité des membres plutôt qu’une simple pluralité.
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