Au Canada, le gouvernement Harper a inventé un nouveau crime : être membre d’un « mouvement anti-pétrole canadien ». Il lui donne le statut de « terrorisme ». Alors qu’il commence à croire qu’il va perdre la bataille des projets d’oléoducs pour sortir le pétrole albertain (du pays), il met les environnementalistes sous surveillance.
Un rapport secret de la GRC [2]ii soutient que le militantisme contre les problèmes causés par l’extraction du pétrole et du gaz est en constante progression et devient une menace de violence à la sécurité du pays. Le rapport va jusqu’à mettre en doute l’idée que les activités humaines causent le réchauffement planétaire et même que ce réchauffement soit réellement un problème. Si 97% des scientifiques de l’environnement [3]iii sont d’accord pour dire que l’activité humaine cause le réchauffement de la planète, sur quelles bases un corps de police peut-il s’appuyer pour dire le contraire ?
Je laisse à d’autres, qui connaissent mieux la GRC que moi-même, le soin de déterminer si ces policiers croient vraiment ce qu’ils disent ou en savent plus que les experts de la question. Se peut-il qu’ils ne disent que ce que le gouvernement Harper veut entendre ? Quoiqu’il en soit, ce rapport est assez amusant à lire ; voici un exemple : « Il semble qu’un mouvement international contre le pétrole canadien soit en développement. Dans leurs publications ses membres soutiennent que le réchauffement climatique est maintenant la plus importante menace à l’environnement. Ils déclarent aussi que ces changements climatiques sont dus aux énergies fossiles et directement liés à la continuité de leur utilisation ». (p.5)
Quelles sont les sources d’une telle déclaration ? Pas ces scientifiques qui ne font que jouer à la mouche du coche en refusant de dire ce que les compagnies pétrolières et gazières veulent qu’ils disent tout comme l’aile droite du gouvernement.
La GRC cite l’Association canadienne des producteurs pétroliers qui elle-même réfère à un sondage commandité par une fondation proche de leur secteur et un chroniqueur du Toronto Sun, un tabloïd de l’aile dure de droite de l’empire Murdock. Selon le rapport de la GRC, ce chroniqueur aurait écrit : « les radicaux de l’environnement, (cherchent) à miner le développement du pétrole des sables bitumineux canadiens (…) pourtant un facteur négligeable dans les émissions de gaz à effet de serre ».
Les experts dans le domaine sont en désaccord avec une telle assertion [4]iv. Une analyse scientifique américaine cite plusieurs rapports d’étude qui soutiennent que si tout le pétrole des sables bitumineux était brulé, il y aurait 240 milliards de tonnes de carbone dans l’atmosphère. L’humanité tout entière, depuis ses débuts, en a introduit environ 588 milliards de tonne.
Qui allez-vous croire ?
Le Globe and Mail de Toronto rapporte la déclaration d’un porte-parole de la GRP qui nie les intentions du son corps de police d’espionner les protestataires pacifiques : « Nous ne nous concentrons pas sur les groupes environnementaux. La GRC n’en surveille aucun. Son mandat est d’enquêter sur les individus impliqués dans la criminalité [5]v ».
Mais, le journal soulignait que ce porte-parole a refusé de commenter le ton du rapport. Pourtant, le Globe and Mail, un journal lié à l’élite canadienne, trouvait que le « langage particulièrement fort » du rapport était difficile à accepter. Des organisations canadiennes de défense des droits humains ont porté plainte un peu plus tôt en février, pour espionnage des opposants-es à l’installation de l’oléoduc Northern Gateway. Il devrait transporter le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta à un port du nord de la Colombie Britannique en traversant des centaines de milles de terres particulièrement délicates au plan environnemental. Selon la plainte de l’Association des libertés civiles de la Colombie Britannique [6]vi, les environnementalistes et les peuples des Premières Nations sont été soumis à l’espionnage de la GRC et du Service canadien de renseignement et de sécurité (SCRS). Cette association s’oppose au projet de loi C-51 qui étendrait dangereusement les pouvoirs de ces agences. Elle écrit : « Le projet de loi C-51 apporte des changements majeurs dans le système de surveillance et de sécurité.
Chacun de ces changements, (que ce soit) la capacité d’emprisonner des gens sans accusation, la criminalisation du discours, l’étendue donnée aux organismes de surveillance, la diminution de la protection de la vie privée, est significatif soulève plusieurs questions et doit être soumis à un débat sérieux. Ramasser toutes ces visées dans un seul projet de loi et proposer de le faire passer à une certaine vitesse garantit pratiquement que le débat démocratique nécessaire sera bien insuffisant ».
Ce qui se passe en ce moment à ce sujet est typique du Gouvernement Harper. Un de ses anciens ministres de l’environnement, Peter Kent, a déjà qualifié les opposants-es au pétrole des sables bitumineux de « traitres ». Il est bien connu pour avoir retiré toute la règlementation possible dans ce secteur. L’actuelle ministre de l’environnement, Mme Leona Aglukkaq, même si elle n’utilise pas la confrontation aussi directement, doute elle aussi de la réalité des changements climatiques.
De, « fumer est bon pour votre santé » à, « rien à redire du climat »,
Les compagnies gazières et pétrolières sont souvent les meilleurs soutiens financiers des groupes de réflexion qui se spécialisent dans la mise en doute des preuves scientifiques en matière de réchauffement climatique. Ils le font au nom de leurs bienfaiteurs. Le professeur de physique, J.W.Farley, a publié en mai 2012 dans Monthly Review, une excellente recension de ces négationnistes. Il y notait que, Exxon Mobil Corp., les frères Koch et d’autres directement intéressés ont dépensé des dizaines millions de dollars pour leur financement. Le Hartland Institute est l’un de ces groupes. Il a commencé en servant de courroie aux grands du tabac qui niaient le lien entre le cancer et le fait de fumer. L’Institut George C Marshall, à l’origine, était un lobby pour le projet insensé d’Initiative de défense stratégique du Président Reagan, également appelé : programme de la Guerre des étoiles. Un autre groupe maintenant disparu, la Global Climate Coalition, était composé de compagnies importantes du secteur pétrolier, de la Chambre de commerce américaine et de manufacturiers automobile. Il opère encore toutefois depuis les bureaux de l’Association nationale des manufacturiers.
M. Wei-Hock (Willie) Soon, un scientifique (du Harvard Smithsonian Center), souvent associé aux négationnistes du réchauffement climatique, selon une révélation récente, aurait touché plus de 1,2 millions de dollars de l’industrie des énergies fossiles. Le New-York Times [7]vii rapporte qu’en 2008, M. Soon a omis de divulguer ses sources de financement pour au moins 11 articles publiés et que 8 d’entre eux violaient les exigences éthiques des publications qui les ont diffusés. Le NY Times rapporte : « Que des documents montrent, qu’après avoir examiné la correspondance de M. Soon avec les compagnies qui le finançaient, il leur signifiait qu’il avait livré ses articles scientifiques tel qu’entendu et qu’il en réclamait le paiement. Il utilisait le même terme pour demander le paiement de ses témoignages devant le Congrès ».
Tel que les choses se présentent, le monde fait face à une catastrophe environnementale. Augmenter la production du pétrole de l’Alberta ne fera que la précipiter. La capacité de le transporter par train atteindra bientôt ses limites. Et ce mode de transport est dangereux comme l’ont montré tous les accidents qui sont arrivés récemment. C’est donc dire que le développement des oléoducs est primordial : non seulement le Keystone XL à travers les États-Unis mais aussi le Northern Gateway et les autres qui devraient traverser le Canada vers les ports de l’est. Le 24 février dernier, le Président Obama a opposé son véto au projet de loi républicain pour forcer la construction de Keystone XL. Cela met le projet à l’arrêt pour le moment. Le Département d’État a émis un avis douteux [8]viii à l’effet que cet oléoduc n’augmenterait pas les gaz à effet de serre et qu’il créerait des dizaines de milliers d’emplois.
L’opposition à cet oléoduc ne faiblit pas et la forte résistance à celui de Northern Gateway se continue. Non seulement devrait-il transporter le pétrole albertain à travers montagnes et forets à l’environnement fragile, mais le pétrole devrait ensuite être transbordé dans des pétroliers pour compléter le transport sur 100 kilomètres et rejoindre le Pacifique depuis le point d’arrivée de l’oléoduc dans le nord de la Colombie Britannique. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il pourrait prendre la route vers l’Asie. Ce sont les peuples des Premières Nations qui mènent la lutte pour empêcher la traversée de leurs territoires ; ils opposent même une résistance physique au projet.
TransCanada Corporation qui veut construire Keystone XL jusqu’au golfe du Mexique, propose aussi l’installation d’un autre oléoduc, celui appelé Énergie Est. Il devrait transporter le pétrole albertain vers ses terminaux à Québec et à St-John au Nouveau-Brunswick. S’il aboutit, ce projet, à lui seul, émettrait autant de gaz à effet de serre que sept millions de nouvelles voitures sur les routes du Canada selon 350.org. Il utiliserait en partie des gazoducs existants qui n’ont pas été prévus pour le transport du pétrole lourd ce qui augmente les risques de bris sur le parcours.
Selon le rapport de la GRC : « les extrémistes sont une vraie menace pour l’industrie du pétrole au Canada ». Est-ce que plaider pour de l’air et de l’eau purs est un crime ? La bataille doit viser tous les oléoducs. Permettre l’augmentation des profits des pétrolières n’arrangera en rien les villes étouffées et les fermes réduites en poussière.