Depuis près de trois ans (30 mois), le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie, (FARC), sont engagés dans des négociations de paix. La guerre à laquelle ils veulent mettre fin, a fait 250,000 morts-es ou disparus-es en 25 ans dans ce pays. L’avenir de ces négociations est maintenant incertain.
Le 8 juin dernier, lors d’un forum international consacré à la Colombie, l’ancien président uruguayen, M. Jose Mujica, à souligné que les développements de la situation en Colombie, y compris celle des pourparlers de paix, « sont les plus importants en Amérique latine » qu’ « aujourdhui, les montagnes et les forets colombiennes sont le cœur de l’Amérique latine ».
Le 30 mai dernier, dans une entrevue, le négociateur principal des FARCs, M. Ivan Marquez, soutenait que : « le climat de confiance à la table de négociation est très dégradé. Seul un cessez-le-feu unilatéral pourrait aider à l’avancée du processus ». Il ajouté que ce qui empoisonne l’atmosphère ce sont « les morts des défenseurs des droits humains dont plus de 100 membres de la coalition de la Marche patriotique et les persécutions envers les dirigeants-es des mouvements sociaux ».
Depuis mars dernier, à Cucuta, des gangsters ont tué quatre responsables syndicaux dont, le 2 juin, Alex Fabian Espinosa membre du groupe de défense des droits humains, MOVICE. En mai à Medellin, des assassins ont tué Juan David Quintana, militant populaire et le professeur et militant social Luis Fernando Wolff. L’analyste Azalea Robles dit que : « un total de 19 militants-es des droits humains ont été tué en Colombie au cours des quatre premier mois de l’année 2015 ».
Le 15 avril, les guérilléros des FARCs ont tué 11 soldats colombiens à Buenos Aires, (ville du département de Cauca). Selon M. Marquez : « Ils ne faisaient que se défendre. Les troupes qui venaient de descendre d’avion s’avançaient vers eux ». Un bombardement à tué 27 personnes le 21 mai à Guapi dans le même département dans ce qui a tout-à-fait l’allure de représailles. Immédiatement, les FARCs ont mis fin au cessez-le-feu de durée indéfinie adopté en décembre 2014. Dans les jours qui ont suivi, les forces gouvernementales ont tué 10 guérilléros dans le département du Choco. Parmi ces morts on compte deux des négociateurs de paix qui étaient en Colombie pour informer la guérilla sur l’état des négociations.
Il y a eut des ententes au cours de ces négociations sur trois éléments en discussion : la terre, le trafic des narcotiques et la participation à la vie politique. Jusqu’à maintenant, les négociateurs ont passé une année à discuter de la situation des « victimes ». Les réparations et la détermination des blâmes en étaient les points dominants. En complément, après 37 séances de négociations, il y a eut une entente pour la création d’une commission « vérité, réparation et non-retour comme partie intégrale du système ». Travailler sur ce projet peut empêcher les négociateurs gouvernementaux de se fixer sur leur point de focus continu de la « justice transitionnelle » qui comporte des peines avec condamnation à la prison pour les dirigeants-es des FARCs.
Il y a d’autres signes de progrès. Ainsi, la mise en place d’un projet pilote de déminage et des discussions entre les autorités militaires des deux côtés sur les mécanismes du cessez-le-feu. M. Mar quez insiste pour dire que : « la réconciliation repose sur l’histoire actuelle, sur la recherche du maximum de justice, sur des réparations vastes et détaillées et que tout cela dépend de transformations structurelles » (dans les institutions du pays). Ce dernier point est crucial.
Mme Azalea Robles explique : « Mettre l’accent sur la dépendance du gouvernement colombien envers des intérêts économiques puissants implique que ses négociateurs ont les mains liées. La réalité colombienne est faite de dépossession et de reconfiguration territoriale partout…ce sont les intérêts économiques à l’œuvre. C’est la logique capitaliste qui fait fie tout scrupule et passe de l’« écocide » au génocide ».
En Colombie la promotion des stratégies de terreur existe et elle est en lien avec les pilleurs capitalistes ». Par exemple, « 80% des violations des droits humains et 87% des déplacements de population ont lieu là où les minières multinationales ont des exploitations. 78% des attaques contre les syndicalistes ont eut lieu dans le secteur des mines et de l’énergie. Environ 40% du territoire colombien a été concédé à des multinationales ». Mme Robles a relevé 25 meurtres d’environnementalistes. Elle insiste pour dire qu’en Colombie le capitalisme est installé sur le « terrorisme d’État ». Elle cite « l’élimination physique » de la Union Patriotica, (parti politique de gauche fondé par les FARCs), 6,300 millions de dépossédés-es arrachés-es à leurs terres au bénéfice du grand capital et 60% des assassinats de syndicalistes dans le monde ont lieu en Colombie.
Le Département des Indiens Wayuu à La Guajira résume la terreur que l’extrême pauvreté et l’impuissance (constitue pour ces populations). Les quelques 600,000 membres de cette nation sont installés-es à la frontière de la Colombie et du Venezuela. En 2012, 14,000 enfants y sont mort de faim et les 36,000 survivants-es souffrent de mal nutrition. 38.8% de ceux et celles de moins de 5 ans, y meurent.
La mine de charbon El Cerrejon de La Guajira est la propriété de BHP Billiton et d’autres entreprises anglos américaines. Il s’agit de la plus grande mine de charbon à ciel ouvert au monde. Les opérateurs de la mine ont détruit des villages des Wayuu, empoisonné le sol et les puits. Ils pompent 35,000 litres d’eau de la rivière Rancheria chaque jour privant ainsi les Wayuu de l’eau dont ils ont besoin pour leur survie.
Alors que la violence et la terreur constituent le contexte pour les pourparlers de paix, ironiquement, c’est aussi cette réalité qui, au point de départ, a poussé le Président Juan Manuel Santos à débuter le processus. Avec son entourage et ses alliés du monde des affaires il a évalué que si la guerre civile continuait les entreprises multinationales et les investisseurs internationaux pourraient prendre peur. Ils voulaient donc protéger l’économie capitaliste colombienne et son intégration dans le système économique mondial dominé par les États-Unis. Mettre fin à la guerre civile devenait de première obligation.
Mais on se demande ce qu’il peut bien y avoir de commun entre un régime capitaliste habitué de la brutalité criminelle et des insurgés-es marxistes qui sont encore en activité 50 ans plus tard ?
Il se peut qu’il n’y ait pas de compromis et que la guerre civile se continue. Sur rebellion.org, José Antonio Gutiérrez D. accuse le gouvernement Santos d’utiliser les négociations seulement pour se donner les moyens de renforcer le pouvoir militaire puisqu’il ne cesse de casser du bois sur son opposition et sur les FARCs. Il souligne que la paix n’est pas un objectif de son gouvernement.
En fait ce que le gouvernement voudrait, c’est une « paix néolibérale ». Cela veut dire que les FARCs renoncent à leur objectif de base qui est d’assurer la justice par l’action politique. Leurs négociateurs demandent depuis longtemps que la paix soit issue de mécanismes qui assurent la justice et des transformations structurelles. La revendication pour une assemblée constituante en est un exemple.
Le commentateur Fernando Dorado adhère à la position du gouvernement. Il craint que les FARCs ne profitent d’une trêve unilatérale pour rétablir leurs forces militaires. Selon lui : « La seule solution (crédible) est la désescalade dans la confrontation et l’accélération des pourparlers ». Il estime que le récent virage du Président Uribe vers le concept de « paix néolibérale » va faciliter cette approche. Il rappelle et souligne que le gouvernement américain insiste pour que : « le bloc hégémonique au pouvoir (en Colombie) s’unifie afin d’arriver à cet objectif : la paix néolibérale avec un minimum de concessions démocratiques ».
Les forces conservatives sont divisées. Celles du groupe sous le leadership de M. Santo, font face à l’aile droite, celles dont le porte-parole est M. Uribe. Ces dernières sont loyales au pouvoir oligarchique traditionnel et comprennent entre autre, les grands propriétaires terriens, les grands exploitants agricoles, les militaires, les paramilitaires et depuis un certain temps, les narco trafiquants.
Le gouvernement domine les négociations en s’appuyant sur sa nature militaire mais aussi sur sa gestion de l’économie et son alliance avec les États-Unis. Pour pouvoir arriver à un accord de paix et réaliser leurs objectifs, les FARCs doivent absolument viser à prendre le pouvoir. Les bonnes idées ne suffisent pas. Depuis le début des négociations en 2012, les stratèges des FARCs ont clairement expliqué comment ils y arriveraient. Ils ont travaillé à développer la mobilisation populaire pour défendre la paix accompagnée de la justice. Ils ont visé un soulèvement populaire.
Dans une récente entrevue, M. Carlos Antonio Lozada, commandant des FARCs et délégué aux pourparlers de paix de La Havane, expliquait : « Avec les hésitations de M. Santos et les pressions constantes contre le processus de paix, la seule garantie qu’il se poursuive et se consolide définitivement repose sur les secteurs majoritaires qui croient en une solution politique et de mobilisent pour sa défense. La paix qui vient avec la justice sociale pour le peuple ne nous sera pas donnée comme un cadeau de la part de l’oligarchie ». Et il regrette que : « Nous n’ayons toujours pas réussi à structurer un large front qui rallierait et mobiliserait définitivement toutes les forces politiques et sociales qui ont soif de paix et de changements démocratiques ».
En fin de compte, le résultat des négociations va probablement dépendre de ce qui va se passer en Colombie. Jaime Caycedo, secrétaire général du Parti communiste, a annoncé le 4 juin, que : « les organisations politiques et sociales vont préparer une mobilisation nationale en faveur de la paix et exiger un cessez-le-feu bilatéral ». Cela est prévu pour la fin juillet.