Quelques années plus tard, le Forum est sorti du périmètre latino pour aller vers l’Asie et l’Afrique, de même qu’en Europe et en Amérique du nord, avec plusieurs centaines de forums continentaux, nationaux, thématiques, etc. L’idée étant, sur la base de principes établis par la charte du Forum, de multiplier les espaces de discussions et d’explorations, d’une part pour constituer un contrepoids à l’hégémonie néolibérale, d’autre part pour travailler du côté des alternatives altermondialistes, écologistes, féministes, pacifistes. C’est ainsi qu’on a connu deux forums québécois en 2007 et en 2009.
Cette effervescence a eu quant à moi des effets structurants, permettant à des organisations petites et grandes de prendre la parole, d’affirmer une nouvelle subjectivité de résistance, d’apprendre les unes des autres. Il y a eu certes des échecs, des ratés, des forums bâclés, des exercices où la polarisation l’a emporté sur la convergence, et bien d’autres choses encore, mais en gros, comme le dit l’expression consacrée, le bilan a été « globalement positif ».
D’autant plus que la méthodologie du FSM (insistance sur la prise de décision démocratique, emphase pour faciliter la participation des groupes traditionnellement minorisés, distance par rapport aux structures étatiques) a par la suite « contaminé des mouvements populaires de grande envergure. Pensons à Occupy, au printemps arabe et plus proche de chez nous, aux carrés rouges. Comme Monsieur Jourdain dans la fable de Lafontaine, on « faisait » du Forum même si on ne le savait pas.
15 ans plus tard, où en est-on ?
La grande vague de transformations elle subit les contre-chocs d’une puissante offensive du 1 % à tous les niveaux : économique, géopolitique, culturelle, militaire. L’échec (temporaire espérons-le) des mouvements populaires dans la zone Maghreb-Machrek, le renversement de régimes de centre-gauche au Brésil, en Argentine (demain peut-être au Venezuela), le retournement de la Grèce qui bouscule l’agenda des mouvements populaires en Europe, sont autant d’indicateurs qui démontrent ce changement d’humeur. Certes partout, c’est la confrontation. Les mouvements ne sont pas « aplatis » (comme ils l’avaient été dans les années précédentes). La résistance reste forte. Il y a de grandes convergences pour faire échec à la droite. On voit même de nouvelles coalitions émerger, comme aux États-Unis avec la campagne de Bernie Sanders. Ce n’est pas rien !
On se retrouve néanmoins devant un mur néolibéral encore plus haut et encore plus dangereux, devant des gouvernements ou la religion de l’austérité s’imbrique dans une guerre culturelle de grande envergure, l’idéologie de tout-le-monde-contre-tout-le-monde comme on le sait.
Alors arrive dans la discussion le Forum social mondial. Doit-il continuer ? Changer ? Laisser la place ? Passer ton tour ? Depuis quelques temps, le débat est ouvert, comme on l’a constaté dans des rencontres récentes à Montréal, Salvador, Porto Alegre, Paris, Casablanca, Tunis, Barcelone, Philadelphie et ailleurs. La question dans la question est en fait : quel rôle peut jouer le Forum dans ce moment où les luttes sociales sont plutôt à la défensive ?
En fin de compte, tout le monde convient qu’un espace international, ouvert et pluraliste, est une bonne idée, à part quelques nostalgiques qui voudraient comme avant avoir un « quartier général » de la révolution mondiale ! Cet espace doit être en continuité avec le FSM de l’origine. Ce n’est pas et ne sera pas un lieu de prises de décisions, encore moins une entité qui dirait aux mouvements populaires du monde entier quoi penser et quoi faire !
Pour autant, il apparaît nécessaire de permettre davantage de concertation, pour ne pas dire de convergence. Dit autrement, l’expression de la diversité du mouvement ne doit pas être une entrave pour l’identification de lignes stratégiques, de grands points où on se retrouve ensemble. Le respect des opinions ne doit pas tomber dans une sorte de marasme où tout est dit, mais jamais rien n’est conclu, et où l’individualité doit toujours l’emporter sur le collectif. On dirait au Québec qu’il faut un « accommodement raisonnable », entre d’une part la subjectivité des « multitudes » et d’autre part, la construction de stratégies. C’est tout un pari, et l’occasion est belle à Montréal de créer les conditions pour une relance du FSM.
C’est dans ce sens en tout cas que se dirigent plusieurs regroupements d’organismes qui ont décidé de travailler ensemble, au lieu de présenter chacune leur idée, et d’établir les liens, non seulement entre divers organismes, mais entre les divers moments de la pensée critique : diagnostic, identification des buts à court et moyen termes, stratégies et moyens d’action. Vous verrez dans le programme du FSM des « espaces » qui concrétisent ainsi l’effort de plusieurs, et qui ont offrent des parcours de réflexion cohérents, organisés et pourvus en ressources. L’espace « émancipation » par exemple, coordonné par les Nouveaux Cahiers du socialisme, permettra ce genre d’exercices. Il y aussi l’espace « éducation » (coordonné par la FNEEQ), l’espace « solidarité internationale (AQOCI), l’espace du « quartier ouvrier » (FSC, CSQ, FTQ) et quelques autres regroupements où vous constaterez l’effort en cours. Cela sera un incitatif pour que vous preniez le temps de vous inscrire et de vous joindre à la vague le 9 août prochain.