Si l’égalité reste encore à gagner, c’est qu’il y a de sérieux blocages. Dès la révolution française, et aussi par la suite dans de nombreux combats démocratiques, les anciennes classes dominantes ont réussi à s’en tirer, la plupart du temps en se fusionnant avec de nouvelles classes dominantes. L’ancien 1% composé de seigneurs, de rois et d’évêques s’est amalgamé avec les nouveaux riches (entrepreneurs, élites politiques et intellectuelles, etc.). On a fini par appeler cela la bourgeoisie …
Cette nouvelle-ancienne classe dominante a remplacé une religion par une autre. L’accumulation pour l’accumulation, la compétition sans fin, le « droit » à la propriété (en l’occurrence la leur) sont devenus des principes sacrés. Avec les structures étatiques mises en place par ce 1% - 2.0, cela est devenu des lois dont l’une d’elle dit, « on ne peut violer les lois ».
Et c’est ainsi que la modernité dont les siècles passés et actuels est devenue la scène d’une interminable bataille entre les « principes » imposés par le 1% et la volonté d’égalité du 99%.
Mais parfois, l’histoire a basculé. Le 1% a été forcé d’accepter sous la pression populaire de grands compromis : le vote universel, par exemple (il ne l’était même pas au Québec jusque dans les années 1940), un minimum de protection sociale, le droit de se syndiquer, etc. Autrement, lorsque le 1% a été trop stupide pour négocier, les mouvements populaires ont renversé les régimes en place. C’est encore arrivé récemment en Bolivie.
Cette bataille pour l’égalité, c’est ce qui reste sur l’ordre du jour. Elle prend maintenant des connotations différentes. Par exemple, elle inclut la bataille pour Pachamama, en d’autres mots, pour la défense de l’environnement. Dans la logique du 1%, la nature est une ressource à exploiter, avec les conséquences désastreuses que l’on observe pour la nature, mais aussi pour les humains ! Et c’est ainsi que, dans la logique du 99%, on ne peut pas penser à un monde d’égalité si la logique d’une humanité en phase avec la nature ne domine pas la « logique » du profit.
Pour moi en tout cas, cette bataille de l’égalité, c’est la vraie cause « sacrée »…
Tout de suite alors se pose la question des moyens. Comment parvenir à un monde où l’égalité serait au même niveau que la liberté et la fraternité ? Ce n’est pas si simple. Certes, la démocratie, une démocratie réelle, pas en trompe-l’œil comme c’est le cas actuellement, est indispensable. Cette démocratie veut dire que le pouvoir citoyen est réellement en mesure de s’imposer, à la fois pour mettre le 1% à sa place, à la fois pour réguler les différences et les langages différents qui existent au sein du 99%. Car dans cette majorité, tous ne sont pas égaux en partant. L’émancipation des femmes par exemple est maintenant un socle du projet démocratique qui émerge et c’est un grand progrès. Mais cela a été une bataille centenaire, y compris au sein des mouvements d’émancipation ! Et ce n’est pas terminé !
La reconnaissance des peuples, nationalités, identités, communautés est un autre avancement, car des oppressions construites pendant des siècles continuent de reléguer des parties du 99% dans l’ombre. Au Canada et au Québec par exemple, c’est le cas avec les communautés autochtones, qu’on peut aussi appeler les « Premiers peuples ». La bataille pour la démocratie, contre le 1%, ne peut pas occulter cette dimension, car si les Autochtones se retrouvent encore subjugués dans une situation coloniale, il n’y aura jamais de libération pour personne d’autre.
Parmi les moyens pour atteindre l’égalité et la démocratie, il y a la question de l’autodétermination. Les peuples doivent s’autodéterminer, car sans cela, ils ne peuvent s’émanciper. C’est ainsi que notre monde moderne a vu l’élan de grandes luttes d’autodétermination pour briser les chaînes du colonialisme et de l’oppression nationale. Pour autant, un certain nombre de ces luttes d’autodétermination ont été perverties. Elles ont permis à un nouveau 1% de parvenir au pouvoir au nom du 99% qui s’est retrouvé au bout de la ligne avec un nouvel État, mais sans l’égalité et la plupart du temps, sans la démocratie réelle. Comment cela a été possible ?
Dans certaines situations, on a évacué la question de l’égalité pour réduire la revendication à celle de la mise en place d’un nouvel État. L’indépendance nationale, disait-on, était la chose la plus importante, au-dessus de toutes les autres. On évitait de dire que l’indépendance nationale était un moyen, et non une fin, pour arriver à une société égalitaire, ce qui impliquait que la bataille ne pouvait pas être limitée à la création d’un autre État indépendant.
Le résultat malheureux, on l’a vu dans un tas de pays qui ont acquis leur indépendance. Aujourd’hui, l’Angola « indépendante », l’Algérie « indépendante », la Lituanie « indépendante, sont des champs de ruines où on est passés du colonialisme au néocolonialisme. Mais cela ne s’est pas passé comme cela partout. La Chine, Cuba et quelques grosses « exceptions » ont réalisé leur autodétermination avec, au moins en partie, la lutte pour l’égalité (l’émancipation sociale).
Ici au Québec, on a encore quelques chevaliers d’une certaine indépendance qui vont dire que le social est détaché du national, et que la création d’un État québécois est une « cause sacrée » ou encore, une étape incontournable et nécessaire. Désolé, mais l’histoire va à contre-courant de ce discours. Imaginez-vous un seul moment avec un État indépendant sous la coupe de Lucien Bouchard (cela aurait pu arriver) ! Pensez-vous une seule seconde qu’un milliardaire québécois briseur de grève de surcroît va faire avancer notre société vers l’égalité ?
Il faut confronter les discours hypocrites, parfois naïfs, qui ont été trop longtemps dominants au Québec. On ne choisit pas l’émancipation sociale au détriment de l’émancipation nationale ni l’inverse. On ne choisit pas d’aimer son père ou sa mère non plus. Si on est coincés pour aller dans un sens contre l’autre, on est généralement perdants dans la vie.